«Les Enfants vont bien»: comment Camille Cottin confirme son envergure dramatique en mère malgré elle

Dans Les Enfants vont bien, Camille Cottin incarne une femme qui doit prendre en charge les enfants de sa sœur, disparue.

Rencontre avec le jeune cinéaste français Nathan Ambrosioni qui sort son deuxième film, le délicat Les Enfants vont bien, avec la décidément excellente Camille Cottin.

Les Enfants vont bien

Drame de Nathan Ambrosioni. Avec Camille Cottin, Juliette Armanet, Monia Chokri. 1h51.

La cote de Focus: 3,5/5

Jeanne mène une vie bien réglée, solitaire depuis que Nicole l’a quittée. Agente d’expertise en assurance, elle évalue les sinistres des autres, se tenant à distance des siens, notamment des relations familiales compliquées, avec son père, malade, et sa sœur Suzanne. Quand un jour celle-ci disparaît, lui confiant la charge de ses enfants, Jeanne voit son vœu de non-maternité sérieusement remis en cause. Après avoir refusé cette responsabilité, elle finit par trouver l’art et la manière pour Gaspard, Margot et elle de faire famille, sur les cendres de celle abandonnée par Suzanne. Ce drame inversé élégant, qui commence par la crise pour tendre vers l’apaisement, tout en silences parlants et en gestes retenus, est admirablement porté par Camille Cottin qui, après Rembrandt, confirme son envergure dramatique, et les deux jeunes interprètes, Manoâ Varvat et Nina Birman.

A 26 ans à peine, Nathan Ambrosioni sort déjà son deuxième long métrage de fiction, Les Enfants vont bien, découvert au Festival du Film d’Angoulême, où le film a remporté le Valois de diamant. Après avoir dressé le portrait lumineux et terriblement émouvant d’une (jeune) mère de famille célibataire qui tentait de se réinventer en reprenant ses études alors que sa fille aînée s’apprêtait à les commencer, il s’emploie cette fois-ci à observer la façon dont une femme qui revendique son désir de ne pas avoir d’enfant se retrouve obligée par la force des choses d’offrir un foyer à ses neveu et nièce. Si Jeanne se retrouve face à cette responsabilité, c’est que sa sœur Suzanne a disparu du jour au lendemain, sans prévenir.

«Il y a quelques années, j’ai découvert que l’on avait le droit de disparaître en France, et c’est quelque chose qui m’obsède depuis, explique le réalisateur. D’abord, il y a eu de l’incompréhension, voire de la colère. Puis quand est née l’empathie, pour ceux qui partent et ceux qui restent, quand j’ai compris pourquoi ça me touchait personnellement, je me suis dit que le moment était venu d’en faire un film. Alors j’ai commencé une recherche documentaire sur ce qui se passe administrativement. Puis est arrivé le temps des personnages.»

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Figure de l’«antimère»

Au coeur du réacteur, il y a Jeanne, une femme solitaire, taiseuse et sérieuse, experte en assurance, qui gère au quotidien les sinistres des autres. «J’aime bien que les personnages pré-existent au film, poursuit Nathan Ambrosioni et j’ai l’impression que Jeanne, je la connaissais depuis longtemps dans mes notes, sa façon de parler, sa façon d’être, son métier.» Camille Cottin, avec laquelle le réalisateur avait déjà travaillé, interprète Jeanne. «J’avais envie d’aborder un autre registre que celui de Toni en famille. Ici, il fallait qu’elle aille vers une zone d’inconfort. Comme Camille est très drôle, on ne perçoit pas au premier abord son incroyable délicatesse. Elle a quelque chose dans le regard qui est vraiment sur le fil, et qui me touche beaucoup.»

Ensemble, ils inventent un personnage féminin hors des sentiers battus. «Je ne voulais pas que Jeanne soit une héroïne flamboyante, avec un métier déconnecté de la vraie vie. Ele a un quotidien très terre à terre. Elle est à la fois pragmatique et empathique, ce qui l’amène à prendre des décisions rationnelles plutôt que d’être dirigée par ses émotions. Et ça peut déranger, car c’est un état d’esprit plutôt associé aux personnages masculins d’habitude. Quand on cherchait des financements pour le film, j’avais des retours disant: « Mais elle est horrible avec les enfants. » Ce n’est que maintenant que le personnage est incarné que cela passe. Pareil avec le fait qu’elle soit lesbienne. On me disait: « Tu ne trouves pas que ça complique l’histoire? » Eh bien, non, je ne pense pas qu’avoir un ex-mari plutôt qu’une ex-épouse simplifie les choses! En revanche, ça change au niveau des représentations et il me semble que la fiction est un endroit où questionner nos schémas sociétaux. Et puis il faut changer de paradigme. J’ai l’impression que pendant tout un temps, tout ce que les personnages homosexuels avaient le droit de vivre au cinéma, c’était des drames où ils étaient malades ou mourraient, ou bien des coming-of-age où ils s’éveillaient à leur sexualité. Je ne dis pas que ce ne sont pas des récits importants, mais ce ne sont pas les seuls récits de la vie des personnes homosexuelles.»

«D’une certain façon, c’est un film de fantôme.»

Icarner l’absence

De fait, la vie sentimentale de Jeanne est à l’arrière-plan, ce qui constitue le récit, c’est la relation qui se noue avec les enfants. C’est avec eux que l’on débute le film, à l’arrière d’une voiture où ils attendent leur mère, incarnée par Juliette Armanet. La musicienne désormais comédienne joue donc Suzanne, cette mère à laquelle on a à peine le temps de s’attacher, et qui déjà disparaît.

«D’une certain façon, c’est un film de fantôme. Même quand Suzanne est là au début du film, elle n’est pas vraiment là. On la filme de loin, dans la pénombre, presque de dos. Mais je voulais qu’on ait accès à son humanité, à sa tendresse pour ses enfants. L’idée n’était ni de donner des réponses, ni de juger l’acte de Suzanne. J’avais envie de faire un drame inversé, qu’on commence par le pire. Au lieu de dérouler une tragédie, on va vers quelque chose de plus beau, de plus lumineux. Comme le sujet était assez lourd, je rêvais d’un film qui s’apaise sur la longueur.»

Comment représenter les fantômes? On comprend bien qu’ici il n’est pas question de faire réapparaître Suzanne, mais plutôt de rendre présente son absence. «On a imaginé des plans très larges, avec peu de découpage, des cadres qui durent, à travers des fenêtres. L’idée c’est d’être loin, de regarder à travers les embrasures.» Comme pour laisser dans le champ suffisamment de place à l’évocation des êtres disparus? «Oui, avec ce sentiment que Jeanne et les enfants sont observés, peut-être. Je ne voulais pas forcer l’émotion avec des plans trop rapprochés sur les visages qui souffrent ou qui doutent. Il fallait laisser le spectateur souffler, qu’il ait le temps et l’espace de ressentir, à son rythme.»

Si au début du film, les enfants, Margot et Gaspard, fonctionnent comme une fratrie solidaire, la façon dont ils abordent l’épreuve les singularise peu à peu. «Il y a parfois quelque chose d’un peu fonctionnel dans la représentation des enfants au cinéma, « au service » des enjeux des adultes. Ici, je voulais vraiment être au plus près de leurs interrogations, et même embrasser complètement leur point de vue. Il fallait notamment tenir compte de la différence d’âge entre les deux. Gaspard a 9 ans, Margot en a 6, ils ne vivent pas dans la même temporalité. Elle est dans l’immédiateté du quotidien, ce qu’elle va manger, à quoi elle va jouer. Lui, en revanche, se pose d’autres questions, se demande notamment ce qu’il en est de sa responsabilité.»

Et c’est là l’une des franches réussites du film: parvenir à faire exister individuellement chaque personnage des enfants, comme dans Toni en famille. Nathan Ambrosioni confirme son talent pour dresser des portraits familiaux sensibles et réalistes et ce, en quelques scènes poignantes, toujours avec délicatesse, tout en questionnant nos représentations culturelles. «En tant que cinéaste et personne queer, cela m’intéresse d’interroger dans mon travail les normes extrêmement hétéronormatives de la famille nucléaire.» Mission accomplie.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Expertise Partenaire