Léa Seydoux: « dans le cinéma français, il n’y a que des films d’auteurs ou des films super nuls »
Quatre ans après Les Adieux à la Reine, Léa Seydoux retrouve Benoît Jacquot pour un Journal d’une femme de chambre qu’elle illumine de sa présence, volontaire et mutine.
Si l’on devait énoncer une évidence, on dirait qu’à l’instar d’une Marilyn avant elle, Léa Seydoux a le don de magnétiser la caméra, qui a pour elle des attentions toutes particulières, constat vérifié de La Belle Personne à Grand central. A même pas 30 ans, l’actrice française affiche ainsi une filmographie rien moins qu’éloquente, qui l’a conduite de Woody Allen à Wes Anderson, tutoyant au passage les Quentin Tarantino, Bertrand Bonello, Raoul Ruiz, Ridley Scott ou autre Abdellatif Kechiche. « J’ai beaucoup travaillé pour, sourit-elle, alors que l’on évoque sa bonne fortune, à la faveur d’un entretien bruxellois au long cours. Rien n’arrive au hasard, on se berce d’illusions si l’on pense que les choses se produisent comme ça, quel que soit le métier. C’est lié au travail, à un certain talent, à la volonté et à la nécessité. Et, évidemment, il y a une part de chance. Mais la chance, je crois qu’on va la chercher. »
La détermination, voilà une qualité qu’elle partage avec Célestine, l’héroïne du Journal d’une femme de chambre, le film de ses retrouvailles avec Benoît Jacquot, quatre ans après Les Adieux à la reine. Et il en fallait pour rebondir après La Vie d’Adèle, une Palme d’or à la puissance trois -pour Kechiche, Adèle Exarchopoulos et elle-, mais aussi une polémique semblant ne plus devoir finir d’enfler, au risque d’emporter le film avec elle, et tant qu’à faire, son formidable duo d’interprètes. « La polémique, franchement, on s’en fout un peu, ce n’est pas ce qui restera. C’est un très beau film. J’ai vécu une expérience difficile, j’ai souffert sur ce film, mais ça ne me dérange pas, il y a pire dans la vie. Il faut se mettre en danger, mettre de soi sur la table, sans quoi on ne sera pas dans la création, de façon générale. Je suis très contente de l’avoir fait. » Point barre, ou peu s’en faut. Tout au plus si Benoît Jacquot raconte que l’actrice avait une exigence, au moment d’aborder le Journal: ne pas tourner nue; conséquence sans doute, concède-t-elle, de cette expérience. « Mais jouer un rôle où l’on n’est pas nu est aussi très agréable. Une femme, il faut toujours la foutre à poil, ou qu’il y ait une scène de cul. Moi, j’aime être là où on ne m’attend pas. »
Une femme virile
Femme de chambre employée dans une famille bourgeoise au début du siècle dernier, la voilà donc qui illumine le film de Benoît Jacquot de sa présence volontaire et mutine, refusant de se conformer à sa condition. Le réalisateur parle d’un film féministe, en résonance objective sur le présent; Léa Seydoux recadre cet engagement: « A l’époque, les inégalités étaient plus grandes. Moi, par exemple, je n’ai pas été élevée en pensant que les femmes étaient inférieures ou plus faibles que les hommes. Si la situation reste encore fort précaire dans certains pays, j’ai l’impression qu’en France, c’est rentré dans la conscience collective, il y a plus d’égalité aujourd’hui. Il y a encore ces trucs de salaires, et tout, mais je pense que ça arrivera. Je suis un individu avant d’être une femme: je me sens comme une femme de ma génération, l’égale des hommes. » Et cela, même si elle évolue dans un milieu cinématographique n’étant certes pas avare de stéréotypes, dont elle évoque volontiers la misogynie: « Je n’ai pas envie de rentrer dans les détails, mais on entend, sur les tournages, des réflexions que l’on ne ferait pas à des hommes. C’est aussi inhérent à la condition d’actrice, avec le côté séduction permanent. Il y a cette phrase connue (empruntée à Robert Mitchum, ndlr) qui dit: « Une actrice, c’est un peu plus qu’une femme, et un acteur, c’est un peu moins qu’un homme. » L’actrice représente la femme de façon exacerbée: la fragilité, les sentiments mis à nu, la séduction. On doit l’accepter, même si les choses évoluent: les femmes changent, et le cinéma avec, puisqu’il est le reflet du monde dans lequel on vit. Personnellement, je me considère plus comme une femme virile, une femme homme. Les actrices ont beaucoup changé: on n’est plus dans l’image de la femme comme objet sexuel. »
Et si la voilà qui marche dans les pas de Paulette Goddard et Jeanne Moreau, qui furent respectivement les Célestine de Jean Renoir et Luis Buñuel, elle concède d’ailleurs être plus fascinée par les acteurs, Marlon Brando et autres, question de liberté de mouvement justement. Tout en soulignant ce qui, à vrai dire, crève l’écran lors de chacune de ses apparitions: « Je n’ai pas de références par rapport à des actrices, je ne cherche pas à ressembler à une telle ou une telle. J’ai mon propre style, j’ai presque inventé ma façon de jouer, je ne pense pas que l’on puisse me comparer. Après, je vois bien qu’il y a des actrices qui ont leur style bien particulier, ce sont d’ailleurs celles qui restent, comme Jeanne Moreau, ou Catherine Deneuve. Elles sont uniques, et irremplaçables. » Léa Seydoux est de la même trempe, dont la présence incandescente tient peut-être à sa conviction de tout devoir au cinéma, et jusqu’à… la vie même. « Si je n’étais pas actrice, je crois que je serais morte. Le cinéma m’a tout offert: une vie, et une « place » dans la société. J’étais un peu larguée, marginale et en dehors de tout. Ce métier m’a aidée à comprendre le monde, et à être dans la vie. Voilà pourquoi je parlais de nécessité: ne pas exister était une de mes plus grandes angoisses. »
Au-delà des frontières
Qu’elle ait fait bon usage de ce don relève de l’euphémisme, les cinéastes se la disputant des deux côtés du Channel, et même de l’Atlantique. « Ces deux carrières ont commencé au même moment, et je les imagine comme deux amis se tenant la main, un Français, et un Anglo-saxon. Je me sens aussi à l’aise en anglais qu’en français parce que, étant née en 1985, et avec la mondialisation, l’anglais fait partie de ma culture. Je n’ai pas du tout l’impression qu’il y ait là un monde lointain et intouchable. » Quant au fait qu’elle semble privilégier le cinéma d’auteur en France, les blockbusters côté américain, il n’y a là rien que de fort naturel à l’en croire: « Dans le cinéma français, il n’y a que des films d’auteurs, ou sinon, des films super nuls. Cela ne me correspond pas, ce n’est pas mon univers. Aux Etats-Unis, il y a des films grand public de meilleure qualité parce qu’ils sont faits par des auteurs, avec plus de moyens et, peut-être, plus de talent. En France, je travaille forcément avec des auteurs, parce qu’ils racontent quelque chose de plus intéressant. Faire ne m’intéresse pas, c’est chercher qui m’importe. Et, pour les films anglo-saxons, je m’en tiens toujours à la même devise, à savoir que je m’attache au metteur en scène. »
Une ligne lui ayant plutôt réussi, et qui l’a amenée récemment devant la caméra de Sam Mendes pour le fort attendu Spectre, nouvel épisode de la franchise James Bond. « Je l’aurais fait de toute façon, c’est James Bond (rires). Mais j’ai été encore plus contente que ce soit Sam Mendes. Au début, j’ai été assez étonnée. Ce n’était pas vraiment une proposition: j’ai fait un casting, j’ai rencontré Sam, on a parlé acteurs et mise en scène, il m’a revue et il m’a demandé si j’avais envie de jouer dans le film. C’est le genre de proposition qui ne se refuse pas… Je n’allais pas lui dire: « Je ne suis pas sûre, je vais y réfléchir. »… (rires) S’étonne-t-on de l’image sexiste des James Bond Girls, plutôt éloignée, en tout état de cause, des personnages qu’elle a incarnés par le passé qu’elle objecte: « Pareil, ça évolue. Mon personnage a plus de caractère, elle est plus l’égale de James, c’est une forte femme. Je ne pense pas correspondre aux clichés de la James Bond Girl. » Et pour cause. Léa, c’est tout. Et plus encore, elle qui confie, en guise de coda à l’entretien, et en écho à The Lobster, qu’elle vient d’achever avec le cinéaste grec Yorgos Lanthimos, l’auteur de Alps: « J’aime beaucoup tourner à l’étranger. Cela me fait voyager et élargit mon prisme, il y a d’autres cultures qui rentrent. Aujourd’hui, je me sens plus internationale. J’aime faire un cinéma qui soit au-delà des frontières. Pas plus que je n’apprécie qu’on m’appose une étiquette sur le visage, je n’aime pas qu’il y ait des frontières au cinéma. Je n’aime pas les choses qui sont établies… »
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici