Titre - Le temps d'aimer
Genre - Mélodrame
Réalisateur-trice - Katell Quillévéré
Casting - Anaïs Demoustier, Vincent Lacoste
Sortie - En salles
Durée - 2h05
Critique - Jean-François Pluijgers
Avec Le Temps d’aimer, Katell Quillévéré signe un mélodrame au long cours autour de deux amants tentant de se réinventer -Anaïs Demoustier et Vincent Lacoste, vibrants.
On avait laissé Katell Quillévéré sur une adaptation du roman Réparer les vivants de Maylis de Kerangal. On la retrouve sept ans et une série –Le Monde de demain, coréalisé avec son compagnon, Hélier Cisterne- plus tard pour un film d’inspiration toute personnelle, Le Temps d’aimer, ce mélodrame débutant au lendemain de la Seconde Guerre mondiale lui ayant été inspiré par l’histoire de sa grand-mère: “Elle a eu, pendant l’Occupation, une histoire avec un soldat allemand. Elle avait 17 ans, je pense que c’était sa toute première relation. Elle est tombée enceinte et s’est retrouvée fille-mère, comme on disait alors. Sa vie a vraiment basculé à partir de ce moment. Elle a rencontré mon grand-père quatre ans plus tard sur une plage en Bretagne. C’était quelqu’un d’un milieu social plus aisé que le sien, et il a eu ce geste, très atypique pour l’époque, d’épouser cette femme malgré son passé, de reprendre son enfant et de l’adopter contre l’avis de sa famille. Et ils ont gardé le secret de cette paternité toute leur vie. Cette histoire était en moi depuis très longtemps, c’était une source d’inspiration vraiment forte.”
Le temps d’aimer: « J’ai besoin de ce rapport cathartique au cinéma »
Elle donne son point de départ intense à un film qui, s’ouvrant sur des images documentaires de l’expérience traumatisante de femmes tondues à la libération, adopte ensuite un tour puissamment romanesque. Et de dévider sur une vingtaine d’années l’histoire d’un couple -Madeleine et François, qu’incarnent Anaïs Demoustier et Vincent Lacoste-, uni jusque dans les secrets dont ils sont l’un et l’autre porteurs, et faisant front face aux vents contraires de l’existence. Soit la matière dont sont faits les purs mélodrames, genre dont la réalisatrice se réclame bien volontiers.
“J’ai une passion pour le cinéma de Douglas Sirk notamment, James L. Brooks et Todd Haynes aussi, et j’ai un amour pour le récit romanesque, pour la fresque, un genre qui n’est pas très exploité par le cinéma français. J’avais commencé à l’explorer dans Suzanne, qui se passait déjà sur presque 20 ans, et je suis revenue à cette forme en essayant de la déployer de manière encore plus ambitieuse. Parce que ce que j’aime particulièrement dans ce défi-là, c’est le défi temporel: comment être près du personnage sur un temps le plus long possible, mais qui reste dans une contrainte temporelle très forte qui est celle du cinéma, et donc de 2 heures. Qu’est-ce qu’on va pouvoir raconter de spécifique au passage du temps? Quelles sont les thématiques, les vérités qu’on arrive à extraire qui sont précisément liées au temps qui passe? Ça me passionne. Si le mélodrame me touche, c’est aussi parce que c’est un genre qui a une relation très forte à l’émotion, qui est sans doute ce que je viens chercher avant tout au cinéma en tant que spectatrice. J’ai besoin de ce rapport cathartique au cinéma, et j’ai très à cœur de transmettre de l’émotion.”
Collision entre fond et forme
Pour dépasser le simple hommage maniériste et donner à son propos un tour moderne, Katell Quillévéré a su tirer profit des contraintes, financières notamment, le budget avoisinant les 7 millions d’euros, “beaucoup pour un film d’auteur, mais très peu pour un film d’époque situé sur 20 ans”. “L’enjeu, c’était comment faire pour que sa facture soit la plus romanesque, la plus belle, la plus ambitieuse possible dans cette contrainte. Une des manières que j’ai eues de me sortir de cette problématique, ça a été de casser le code esthétique du mélodrame, un genre qui, en soi, induit énormément de budget. Si on veut que la forme épouse le fond, ça suppose de l’ampleur dans la machinerie, dans la sophistication des mouvements, dans l’utilisation du studio pour la reconstitution. Je ne pouvais pas le faire, et j’étais assez convaincue que pour réussir ce film, au contraire, il fallait que j’aille chercher de la collision entre le fond et la forme, et que j’aille vers une forme non classique et moderne. J’ai donc pris le parti de tourner tout le film à l’épaule, en caméra légère, et de filmer cette histoire comme si elle se passait aujourd’hui.”
Histoire d’instruire un dialogue entre passé et présent, en prolongement aux thématiques du film dans ce qu’elles disent du couple, de la famille, de la sexualité ou de la parentalité, autant de questions résonnant limpidement avec aujourd’hui. Jusqu’aux acteurs qui semblent faire le lien entre les époques, la cinéaste ayant demandé à Anaïs Demoustier et Vincent Lacoste de “préserver une modernité dans le langage corporel et dans le jeu”. “J’ai beaucoup revu, par exemple, les films d’époque de Pialat, comme Van Gogh, très intéressant sur la direction d’acteurs, qui est totalement moderne.” Sans même parler de la modernité toute contemporaine de Madeleine, dont la pulsion de vie l’emporte sur la honte initiale, comme s’il n’avait jamais été question de rien d’autre que de réparer les vivants…
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