Le Syndrome des amours passées: le retour d’Ann Sirot et Raphaël Balboni après le succès d’Une vie démente
Deux ans après Une vie démente, Ann Sirot et Raphaël Balboni reviennent avec une nouvelle comédie autour du couple: Le Syndrome des amours passées.
Qu’on aime ou pas le travail d’Ann Sirot et Raphaël Balboni (pour être clair d’emblée, on adhère très moyennement), force est de reconnaître que le tandem est occupé à se tailler une place bien à lui dans le paysage cinématographique belge, et au-delà. Une vie démente, leur premier long métrage, était ainsi, par exemple, reparti auréolé de sept récompenses aux Magritte l’an dernier, et Le Syndrome des amours passées, qui nous occupe aujourd’hui, était sélectionné à Cannes, en mai dernier, à la Semaine de la Critique. En outre, les deux cinéastes ont déjà leurs aficionados, conquis notamment par leur recherche de fantaisie et leur méthode de travail, il est vrai, très singulière. D’où cette envie de leur donner la parole et d’écouter ce qu’ils ont à nous dire.
L’idée à l’origine du Syndrome des amours passées tient de l’absurde revendiqué: Sandra et Rémy, un couple ne parvenant pas à avoir d’enfant, y consultent un spécialiste qui les enjoint à revisiter leur passé sexuel afin de débloquer leur problème d’infertilité. En clair: chacun doit recoucher avec tous ses ex pour espérer “guérir”. On le comprend bien vite, ce prétexte lunaire permet surtout aux deux scénaristes et cinéastes bruxellois de questionner le modèle traditionnel du couple, la possibilité de la non-exclusivité dans la relation et le spectre vieux comme le monde de la jalousie… Ann Sirot embraie: “Oui, le postulat de départ est absurde. C’est un peu un postulat à la Hibernatus. Aux États-Unis, ils appellent ça la fantasy comedy. Comme dans Liar Liar avec Jim Carrey, par exemple. C’est donc l’idée d’avoir un postulat fantastique qui autorise des ressorts de comédie sur l’ensemble du film. Mais la vraie origine du projet, en effet, tient au désir de provoquer une situation sociologiquement très particulière qui va obliger les personnages à questionner plein de choses sur le fonctionnement du couple en général, sur le fonctionnement des hétéros, de la famille, sur l’injonction d’avoir un enfant biologique… Le syndrome des amours passées n’existe pas, bien sûr, dans la réalité, mais en même temps, ce qui est drôle, c’est qu’il est quand même fortement inspiré d’un syndrome qui existe vraiment et qui est le syndrome du lâcher-prise. Il s’agit de ces couples qui s’essoufflent complètement à essayer d’avoir un enfant, décident de laisser tomber et puis qui finissent par y arriver quand ils y ont renoncé. Il y a encore une grosse part de mystère dans ces histoires de fécondité. Ça nous permet d’être absurdes tout en restant dans une zone de la science assez floue et énigmatique.”
En quête d’équilibre
Comme dans Une vie démente,il y a beaucoup de discussions sur l’oreiller dans Le Syndrome des amours passées. Les personnages y parlent énormément. Mais ces scènes de discussions sont régulièrement contrebalancées par des tentatives très plastiques, très visuelles, très oniriques… Le film semblant constamment en quête d’équilibre entre la parole, surabondante, et une recherche beaucoup plus graphique. “C’est une tendance qu’on a depuis le départ, poursuit Ann Sirot. C’était déjà là dans nos courts métrages. C’est-à-dire qu’on a toujours un endroit un peu irréel dans nos films. On ménage souvent un espace qui n’est pas un espace naturaliste du tout, qui est comme un espace à l’intérieur même de la tête de nos personnages. Par contre, quand les personnages parlent, on est très fort en quête de naturel et de vérité. Faire un film, c’est toujours un peu chercher la ligne de crête entre l’artificiel et le naturel. Et nous, il y a des endroits où le naturel nous intéresse, par exemple dans la façon de parler, ou dans la façon de réagir à ce qui est dit, et puis il y a des endroits où le naturel ne nous intéresse pas du tout. Par exemple, s’agissant d’Une vie démente, les bras nous en tombaient déjà d’ennui à l’idée de reconstituer un cabinet de neurologue ou un bureau de banquier, et c’est ce qui nous pousse à aller vers des solutions plus décalées, à développer des codes différents de ceux du réel qui vont nous amuser et possiblement amuser aussi le spectateur. On cherche toujours une connexion humoristique avec le public, une connivence particulière, c’est quelque chose qui nous intéresse beaucoup.”
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Un environnement vivant
Tourné quasi exclusivement à Anderlecht, Le Syndrome des amours passées résulte d’une méthode de travail très particulière, déjà expérimentée sur Une vie démente: les cinéastes travaillent très tôt en compagnie des comédiens, dans les décors qui seront ceux du film, se nourrissant d’impros et de nombreuses répétitions pour tourner et monter un premier film brouillon, qui servira ensuite de nouvelle base pour le “véritable” tournage. “On a toujours cherché à expérimenter dans la manière de fabriquer, approuve Raphaël Balboni. En nous inspirant notamment de méthodes de travail qui ont cours dans le milieu du théâtre. Concrètement, on n’attend pas d’avoir absolument toutes les scènes avant de travailler avec les acteurs. C’est-à-dire qu’on laisse des trous dans notre canevas pour voir ce qui va se passer entre eux une fois plongés dans les situations et les décors. Pour nous, c’est très important que les comédiens soient vraiment dans une espèce d’état d’alerte en permanence par rapport à ce qui se joue. Donc on propose des situations, ils essaient des choses et puis on va petit à petit voir avec eux ce qui nous semble fonctionner. Ensuite, on va monter ça et on va réécrire. Et le film se construit dans ces multiples allers-retours. Ces répétitions, ce sont aussi des répétitions pour nous. Quand on arrive sur le tournage, les comédiens ont leurs marques, et nous aussi. On est tous dans un environnement vivant.”
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