Le Royaume, un film de mafieux réalisé par le fils du dernier parrain corse: «Mes personnages sont victimes de leurs origines»

Julien Colonna, réalisateur du Royaume: "La culture de la vengeance et de l'honneur est profondément ancrée dans l'ADN de la Corse."

Le réalisateur Julien Colonna, lui-même fils d’un chef de la mafia, transpose Le Parrain en terre corse dans Le Royaume, étouffant drame sur les liens entre un père et sa fille.

Et si votre père n’était pas seulement un parent aimant, mais aussi un chef de la mafia avec du sang sur les mains? C’est à cette situation que Lesia, 15 ans, est confrontée tout au long de sa vie dans Le Royaume, le premier film de Julien Colonna, qui s’était déjà illustré avec le court métrage Confession, des publicités et les séries Brutal et Gloria. Le cinéaste français, fils de Jean-Jé Colonna, surnommé “le dernier parrain corse”, plonge les spectateurs dans la face sombre de son île natale. Pas de carte postale romantique ici, mais une immersion dans un univers poisseux où les traditions ancestrales de la vengeance côtoient une corruption profondément enracinée.

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Au cœur du film, la jeune Lesia –Ghjuvanna Benedetti, qui rayonne dans son premier rôle au cinéma- est prise entre sa loyauté envers son père et son dégoût pour la vie violente qu’il mène. Lorsqu’un de ses hommes de main décède dans l’explosion d’une voiture piégée, Lesia, qui vit normalement avec sa tante, est forcée de faire face aux choix de son père. La police est à ses trousses et une guerre avec un clan rival couve. Elle est forcée de choisir entre les liens familiaux et son propre avenir.

Pour Julien Colonna, fils d’un chef mafieux longtemps en fuite, mort dans un accident de voiture suspect en 2006, Le Royaume était plus qu’un projet de film. “Je voulais faire un film qui se déroule dans mon propre monde, un monde qui ne s’explique pas simplement par des mots, mais que l’on ressent à travers chaque action, chaque geste.” Le réalisateur a estimé que la violence du film, qui n’éclate qu’à mi-parcours, devait être ressentie comme une évidence. “Pour les personnages, la violence est comme la pluie: elle tombe sans que l’on puisse y faire grand-chose. La culture de la vengeance et de l’honneur est profondément ancrée dans l’ADN de la Corse.”

En Corse, « le paysage est beau mais hostile« , explique Julien Colonna.

Comme une tragédie grecque

Présenté à Cannes dans la section Un Certain Regard, Le Royaume est un drame familial où le destin se tient toujours à l’affût sur les rives escarpées d’Ajaccio. Julien Colonna compare même la dynamique de son premier film à certains récits de l’Antiquité: “Comme dans les tragédies grecques, mes personnages sont victimes de leurs origines. Ils ne peuvent échapper à leur sang, quels que soient leurs efforts.”

Le choix d’aborder ce thème à travers la relation entre un père et sa fille n’est pas dû au hasard. “Tout a commencé lorsque ma femme m’a annoncé qu’elle était enceinte, il y a six ans, explique-t-il. Je me suis demandé quel genre de père je serais. J’ai également repensé à l’enfant que j’avais été moi-même et aux parents que j’avais eus. Un souvenir d’enfance m’est revenu en mémoire. J’avais 9 ou 10 ans et je campais sur la côte avec mon père et quelques-uns de ses amis. Il n’y avait personne d’autre dans les environs. Nous passions nos journées à pêcher et à nous raconter des histoires. Le soir, nous dormions à la belle étoile. C’est ainsi qu’est née l’idée d’un film sur un père et sa fille qui sont en fuite et n’apprennent à véritablement se connaître qu’à ce moment-là.”

Le Royaume se déroule dans les années 90, à une époque où la Corse était secouée par des attentats terroristes perpétrés par des séparatistes qui voulaient arracher l’île à la France. Julien Colonna, né en 1982, a voulu évoquer non seulement ses propres souvenirs d’enfance, mais aussi le contexte sociopolitique particulier de cette époque. “C’était une période où le mouvement indépendantiste était encore très actif, mais où des divisions internes rendaient la situation complexe. Loyauté et trahison se croisaient constamment, et cela rentre parfaitement dans l’histoire.” Son film dégage donc une atmosphère de “modernité passée”, dans laquelle les personnages ne peuvent pas encore se cacher derrière des téléphones portables, des drones et d’autres technologies, mais doivent se fier à leur intuition. “Je voulais montrer une voyoucratie, un monde où tout est voué à disparaître.”

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Lutte intérieure

Le réalisateur corse a également décidé de travailler principalement avec des acteurs amateurs, et pas uniquement pour des raisons budgétaires. “Je voulais des gens qui connaissent et comprennent cette vie sans avoir à la jouer. La Corse a son propre rythme, sa propre façon de parler et de bouger. Un professionnel peut imiter ça, maisça reste de l’imitation.” Pour le rôle du chef de la mafia Pierre-Paul, il a trouvé un guide de montagne local, Saveriu Santucci, qui n’avait jamais tourné mais qui dégageait exactement le type d’énergie brute qu’il recherchait. « Saveriu a compris la dualité, la lutte intérieure du personnage. Ca, ça ne peut pas se jouer, il faut le ressentir.”

Dans Le Royaume, Julien Colonna montre donc moins la beauté naturelle de son île que son côté obscur. Les criques accidentées et les visages des personnages sont captés sans fioritures, et les dialogues laissent aussi beaucoup de place aux stridulations des grillons. “Le paysage est beau, mais hostile. explique le réalisateur, qui dit s’être inspiré non seulement du Parrain et des films policiers de Jean-Pierre Melville, mais aussi du néoréalisme italien. La Corse est un lieu de contrastes. La nature est le reflet de ses conflits intérieurs. C’est un duel permanent entre la protection et la menace.”

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