Le mercredi soir à Anima, ce n’est pas pour les enfants
Asura de Keiichi Sato et The King of Pigs de Yeun Sang-Ho questionnaient hier la frontière ténue entre l’homme et l’animal.
Il y avait deux façons de passer la soirée d’hier. Rester au chaud, loin du vent glacial, avec une couette, un film et un thé chaud. Ou aller au festival Anima en mangeant des crêpes, toujours au chaud mais avec de bons coups dans le bide en bonus. Car les deux films projetés hier étaient d’un genre dur, amer et sans concession. Récit d’une soirée où le Studio 4 s’est teinté de rouge.
Asura, de Keiichi Sato (2012) – La bête humaine
La salle était bien remplie hier pour voir le premier moyen-métrage de Keiichi Sato. Bien connu des amateurs d’animation japonaise, il a travaillé sur des séries de robots comme The Big O ou Tiger & Bunny. Pas d’enfants à l’horizon, la soirée étant réservée aux plus de 16 ans, et avec raison: Asura n’est que violence, colère et giclées de sang. Une heure un quart sans espoir aucun, dans un japon 15e siècle où la famine décime les populations. Au milieu de ce désastre, le petit Asura est devenu un monstre, n’hésitant pas à consommer de la chair humaine pour survivre. Le film suit son errance en pleine désolation, ainsi que sa lutte pour retrouver son humanité.
Les films-chocs comme celui-ci provoquent toujours des réactions très diverses. À la projection d’Asura, le public oscillait entre un silence pesant et quelques rires discrets. Difficile en effet de ne pas rester bouche-bée face à une mère que la faim pousse à brûler son enfant. C’est ainsi que le film s’ouvre, et la suite ne sera pas plus tendre, car rien ne nous est épargné des repas cannibales d’Asura. Agile, rapide, il saute au cou des humains et les mord comme une bête. Le sang coule à flots et inonde le cadre. C’est là que de petits rires se font parfois entendre. Une sensation de gêne, probablement. Une manière de dédramatiser. Cependant, il faut bien avouer que le film ne manque pas de pathos dans son dernier tiers, sa noirceur extrême pouvant devenir comique. Quelques instants de répit ainsi qu’une musique plus discrète auraient permis d’éviter cet écueil.
Malgré ce bémol, Asura ne se limite pas à sa violence. Le film touche à des choses aussi essentielles que la survie et le langage. De quoi est-on capable, quand on meurt de faim? Le 20e siècle a montré que certaines famines poussaient au cannibalisme, comme en Chine ou en Corée du Nord. Face au manque d’eau et de nourriture, les paysans d’Asura n’ont d’autre choix que de libérer la bête qui sommeille en eux. Mettre en route l’instinct de survie le plus primaire, quel qu’en soit le prix. Et plus le pauvre Asura s’humanise, plus les humains qui l’entourent deviennent sauvages. Lui qui s’est ouvert au langage, et même à l’amour, constate que la mort met forcément l’homme en échec. Face à tant de désespoir, le public encaisse comme il peut. À la sortie de la séance, une femme imite les grognements d’Asura pour amuser ses amies.
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The King of Pigs, de Yeun Sang-Ho (2011) – Banalité du mal
« Ce n’est pas le jour des films pleins d’espoir et de lumière« , nous dit la présentatrice. On l’avait compris. En revanche, c’était bien le soir du mélange de l’animation 2D et de l’animation 3D. Asura comme The King of Pigs donnaient l’impression d’être face à un jeu vidéo en « cel-shading« , pour le meilleur comme pour le pire. Si les décors sont réussis, notamment dans Asura, les visages semblent parfois sortir d’une cinématique sur console. Malgré tout, ces partis-pris graphiques ont le mérite de rappeler que l’animation est justement riche des possibilités visuelles infinies qu’elle offre.
Cette réserve n’empêche pas The King of Pigs d’être un très bon film. Il raconte les années collège de deux jeunes hommes sud-coréens, Kyung-min et Jong-suk. Un soir, ils se retrouvent pour discuter de ces dures années, faites de violence et de maltraitance. Mais pourquoi déterrer des souvenirs si terribles? Y aurait-il un secret au bout de cette histoire? Tout au long de l’heure et demie que dure le film, le passé qui défile devant nos yeux jette une lumière froide sur le présent. Kyung-min est un homme d’affaires ruiné qui vient d’étrangler sa femme. Jong-suk, lui, est un écrivain stressé qui tente de joindre les deux bouts et passe son dépit sur sa soeur.
Au collège, les deux amis subissaient les abus des chefs de classe. Sous le faux prétexte de faire respecter l’ordre, cette bande de gamins lèche-bottes martyrisaient les faibles et les bons élèves. Et l’équipe éducative, complice et corrompue, n’offrait aucun secours. Seul Kim Chul osait affronter la terrible bande des chefs. Endormi dans un coin de classe, il se réveillait parfois pour défendre Kyung-min et Jong-suk, devenus ses amis. Sa philosophie était simple: pour répondre aux bêtes, il faut en devenir une. L’homme tutoie la bête, encore une fois. C’était le thème de la soirée.
Là encore, le public sourit parfois, surtout à cause du jeu très expressifs des comédiens de doublage. Mais à la sortie, une telle soirée laisse quand même un goût amer dans la bouche. Le festival Anima, lui, peut se féliciter d’avoir sélectionné deux premiers films si radicaux. À voir maintenant si la compétition leur réussira.
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Lucas Godignon (stagiaire)
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