« Le Jeune Imam », un film de femmes puissantes

Une des grandes réussites du film de Kim Chapiron est d'avoir trouvé, en la personne d'Abdulah Sissoko, un “nouveau visage” pour incarner Le Jeune imam. © National

Avec Le Jeune Imam, Kim Chapiron change de registre et imagine, aux côtés de Ladj Ly, de nouveaux récits et de nouveaux héros français.

Fondateur de l’association et collectif d’artistes Kourtrajmé, auteur de trois films qui radiographiaient la jeunesse à trois endroits bien différents de la société –Sheitan, Dog Pound et La Crème de la crème-, Kim Chapiron revient avec un quatrième long métrage qui élargit le spectre générationnel de ses observations. En effet, si le jeune Ali (Abdulah Sissoko) est le héros du film, Le Jeune Imam introduit un personnage nouveau dans l’univers du réalisateur: celui d’une mère de famille célibataire, immigrée malienne qui lutte pour élever son fils dans le respect des lois et des traditions (Hady Berthe). “On dit souvent qu’il y a trois films: celui que l’on écrit, celui que l’on tourne et celui que l’on monte. Au fil du travail, on s’est aperçu que le cœur de l’histoire, c’était vraiment la relation qui unit un fils et une mère, confie le réalisateur. On s’est même demandé à un moment si nous n’allions pas appeler le film La Maman de l’imam. Ce dont nous voulions parler, avec Ladj Ly (Les Misérables), avec qui j’ai co-écrit le film, c’était la blessure (la mère, pour canaliser les écarts de conduite de son fils, le renvoie adolescent au Mali pour l’inscrire dans une école coranique, NDLR) et le chemin de guérison qui s’ensuit.

Si Ali rentre au pays, c’est aussi parce que c’est comme ça qu’on éduque les jeunes hommes. Le film explore la construction de la masculinité, quand on est élevé par une mère seule. “Ces garçons grandissent dans des climats où les femmes, par tradition ou nécessité, sont puissantes. Les gens n’ont pas toujours conscience du côté très dur et très autoritaire de ces mères. Ce sont des héroïnes, qui ont eu des vies semées d’embûches, ont dû quitter leur pays dans des conditions chaotiques, ont connu l’extrême pauvreté. Autant de choses dont elles ne parlent pas, ne se plaignent jamais. Tsui Hark a dit: “Le cinéma c’est ce qu’on ne peut pas faire dans la vraie vie”. Dans la vraie vie, ces femmes ne peuvent pas se plaindre. Nous, on voulait les montrer fléchir un peu, pour pouvoir partager ce qui pèse sur leurs épaules.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Drame des gens ordinaires

Le film est inspiré d’une histoire vraie, celle d’un jeune imam qui se retrouve impliqué presque malgré lui dans une arnaque au pèlerinage à La Mecque. Un jeune guide religieux qui s’empare des moyens de son époque (en l’occurrence les réseaux sociaux) pour partager sa foi et qui, enivré par la reconnaissance et le succès, perd de vue le sens premier de ses intentions. L’affaire génère la tension dans le récit, mené au rythme effréné de son fougueux personnage principal, toujours en mouvement. Mais ce thriller est avant tout un thriller de l’intime. “En écrivant, j’ai beaucoup pensé à Asghar Farhadi, mais aussi au cinéma scandinave, les films de Susanne Bier ou Thomas Vinterberg, ou encore à ce que les Japonais appellent le shomingeki ou “drame des gens ordinaires”. Des films où d’un seul coup, une situation de la vie quotidienne peut être vécue comme la plus intense des scènes d’action, où l’on est si proche des personnages que l’on développe une tension qui relève d’habitude du cinéma de genre. C’est toute une culture du non-dit, où le trouble se loge entre les mots, entre les regards, c’est quelque chose que l’on retrouve dans la culture malienne notamment.

Kim Chapiron: “Les gens n'ont pas toujours conscience du côté très dur de ces mères.”
Kim Chapiron: “Les gens n’ont pas toujours conscience du côté très dur de ces mères.” © National

Un genre codifié en somme, mais appliqué à des héros et héroïnes que l’on n’a pas coutume de voir dans le cinéma français. Avec Ladj Ly, son ami d’enfance, Kim Chapiron a voulu saisir quelque chose de son époque, mais surtout donner à voir autrement des territoires qui relèvent d’habitude plus de l’actualité et des chaînes infos que de la fiction. Des banlieues souvent traitées sous un mode spectaculaire, abordées ici sous l’angle de la proximité. “Quand on a commencé à travailler sur ce film, on s’est dit qu’on avait envie de le voir, et que si on ne le faisait pas, on ne le verrait jamais. On voulait que ces personnages échappent aux représentations dont ils font souvent l’objet, en général maladroites, voire superficielles.” Et de fait, pour les héros du Jeune Imam, être musulman ne représente ni un conflit interne, ni un conflit externe. “C’était important pour nous de faire un film qui traite de l’islam sans que ce soit le sujet. On voulait montrer qu’on peut aborder un sujet qui peut apparaître ailleurs comme extrêmement clivant, qui sature notre actualité, pour en faire quelque chose de non polémique, qui génère de belles questions plutôt que des certitudes agressives. On s’est demandé comment aborder le sujet de la foi et du sacré aujourd’hui avec une certaine sérénité à une époque où on est constamment tenté par le conflit. Comment raconter tout ça avec poésie et douceur?

L’une des solutions, c’est de se donner le temps long du cinéma pour traiter les personnages par l’intime. Un temps long qui permet d’aborder avec nuance la façon dont la foi du personnage principal s’ancre dans la modernité et de s’interroger sur la dissension entre le caractère éminemment privé de la foi et sa mise en scène sur les réseaux sociaux, tout en admirant l’énergie communicative déployée. L’autre réussite, c’était de trouver les nouveaux visages qui allaient incarner ces nouveaux récits: “Le pari numéro un, c’était de trouver notre jeune imam. On a fait la sortie des mosquées, des cours d’arabe. On a vu beaucoup de gens, et puis on a eu énormément de chance de tomber sur Abdulah Sissoko, qui avait fait une école coranique à Bamako, mais avait aussi suivi des cours de théâtre et qui a incroyablement nourri le personnage. J’adore quand le réel se mélange à la fiction comme ça.

Le Jeune Imam. De Kim Chapiron. Avec Abdulah Sissoko, Hady Berthe, Issaka Sawadogo. 1 h 38. Sortie: 21/06.

***

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content