Le cinéma selon Martin Scorsese
The Irishman, son nouveau film de gangsters au casting pléthorique et au budget monstre produit par Netflix, sera l’un des grands rendez-vous de 2019.
Robert De Niro n’avait pas fait le voyage seul à Marrakech en décembre dernier. Son mentor, ami et collaborateur de toujours Martin Scorsese était également de la partie. Débit mitrailleur et anecdotes cinéphiles longues comme un banquet mafieux, le réalisateur culte de Taxi Driver, Raging Bull, Goodfellas et autre Casino a fait, le temps d’une fervente masterclass, le bonheur des festivaliers. Morceaux choisis.
L’enfance de l’art
Né de parents d’origine sicilienne, « Marty » Scorsese a grandi dans le quartier de Little Italy à New York. « À l’âge de trois ans, on m’a diagnostiqué un asthme sévère. Mes parents ne savaient pas trop quoi faire avec moi, alors ils m’ont emmené voir des films. Je ne pouvais pas faire de sport, je ne pouvais pas courir, je ne pouvais même pas trop rigoler à cause des spasmes que ça provoquait. Nous étions issus de la classe ouvrière, il n’y avait pas de livres à la maison. À la fin des années 40, mon père a pu se payer une petite télévision. Il y avait une chaîne locale qui diffusait des films italiens avec sous-titres le vendredi soir. J’avais à peine cinq ans, et je n’oublierai jamais l’émotion de mes parents et de mes grands-parents face au Païsa de Rossellini. »
Le cinéma comme sacerdoce
Adolescent, Scorsese entre au séminaire afin d’y être ordonné prêtre. Jugé trop jeune et trop turbulent, il en est renvoyé au bout d’une année. De The Last Temptation of Christ au tout récent Silence, l’ensemble de sa filmographie est travaillé par la question de la foi. « La plupart de mes films sont affaire de rituels, c’est certain. Le protocole même de réalisation a quelque chose de solennel en soi. Par exemple, quand un technicien enregistre des sons ambiants sur le tournage d’un film, tout le monde se tient là en silence pendant quelques minutes, dans un état proche de la méditation. C’est un moment sacré. »
Frères ennemis
Immense cinéphile devant l’éternel, l’Italo-Américain doit beaucoup à l’Histoire du 7e art. Le travail d’Elia Kazan, le réalisateur d’ Un tramway nommé Désir et À l’est d’Eden, a notamment eu une influence déterminante sur son oeuvre. « Je me souviens d’avoir vu Sur les quais, un jour, avec mon frère. Pour la première fois, nous avions l’impression de retrouver à l’écran des personnes que nous avions l’habitude de côtoyer dans notre quotidien. Ils n’avaient pas l’air de jouer un rôle. J’ai été marqué au fer rouge par cette histoire de trahison entre deux frères. C’est un thème que je n’ai pas arrêté de décliner dans mes films durant près d’un demi-siècle. Et, en un sens, The Irishman ne raconte à nouveau rien d’autre aujourd’hui. »
Le goût du risque
Attendu sur Netflix dans les prochains mois, The Irishman réunit à nouveau Robert De Niro et Al Pacino à l’écran, mais aussi Joe Pesci (!) et Harvey Keitel. Avec un budget approchant les 200 millions de dollars, le film, qui contient plus de 300 scènes et avoisine les trois heures, revient sur le destin chahuté de Frank Sheeran, dirigeant syndical et tueur à gages lié à la disparition de Jimmy Hoffa au mitan des années 70. Il est le plus cher de toute la carrière de Scorsese. « Durant plusieurs années, personne n’a voulu financer ce projet. Nous continuions tous de vieillir et rien ne se faisait. The Irishman est un film casse-gueule sur bien des aspects. Seul Netflix a accepté de prendre le risque de s’engager dans ce grand chantier. »
Un futur incertain
Si le septuagénaire a donc lui aussi trouvé refuge chez le géant du streaming, il ne s’en montre pas moins perplexe face aux récentes mutations de l’industrie cinématographique. « Est-ce qu’il serait possible de faire des films comme Mean Streets ou Taxi Driver aujourd’hui? Bien sûr que ce serait possible! Ce serait même plus facile. Tout le matériel technique nécessaire à des tournages de ce type est désormais bien plus performant et accessible qu’à l’époque. La vraie question est: où pourriez-vous les voir une fois terminés? Il y a tellement à dire sur la problématique actuelle en matière de distribution… Avec la dématérialisation, nous ne savons même pas sous quelle forme les films vont exister dans le futur. Jusqu’à preuve du contraire, le moyen le plus sûr et durable de conserver un film reste encore et toujours le celluloïd. »
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