LaCinetek fait peau neuve
Lancée au mitan des années 2010, la “plateforme des cinéastes” étoffe son offre pour pérenniser sa présence dans un paysage de la VOD toujours plus concurrentiel.
Apparue dans le paysage de la VOD en 2015, LaCinetek imposait d’emblée son originalité, celle d’un site dédié à l’Histoire du cinéma en s’appuyant sur un concept imparable, son catalogue étant composé des films de chevet des cinéastes associés, un nouveau réalisateur étant appelé chaque mois à choisir 50 titres. Ils sont aujourd’hui 125 environ, une liste allant de Claire Denis à Bong Joon-ho; de Lukas Dhont à Martin Scorsese, le dernier en date étant Xavier Dolan, invité du mois d’octobre. Pour un total de quelque 3 500 films dont 2 000 accessibles en ligne, à l’unité ou par abonnement -on y reviendra.
Cette “cinémathèque des cinéastes” constituait alors l’aboutissement d’un processus entamé deux ans plus tôt, à l’initiative de Pascale Ferran, Laurent Cantet et Cédric Klapisch. “On s’est demandé pourquoi il n’y avait pas un seul site en France qui soit dédié aux grands films classiques”, se rappelle la première. “On était confrontés à la difficulté croissante de voir des films qui nous avaient formés et que nous avions aimés, relève le réalisateur d’Entre les murs. On a eu le sentiment qu’il fallait essayer de réunir dans un même lieu ces films qui nous avaient fabriqués. L’idée est née après une réunion de la Société des Réalisatrices et Réalisateurs de Films où on avait parlé de l’avenir de la VOD, encore un peu balbutiant à l’époque, lors d’une discussion avec Alain Rocca, qui était le président d’UniversCiné: on voulait créer un site le plus associatif possible, d’où l’expression d’arborescence amicale qui a commencé entre nous, avant de s’étendre à d’autres réalisateurs. Le concept de départ, c’était de faire des cinéastes des prescripteurs, et d’aller à l’encontre de l’idée d’algorithme qui fabrique les spectateurs des grosses plateformes. On voulait éditorialiser au maximum, et essayer d’avoir un rapport beaucoup plus affectif aux films qu’on allait proposer dans nos listes, mais aussi montrer grâce au site.” Le contre-pied aux mastodontes du streaming en somme.
Cinéphilie sans œillères
Arborescence amicale, on en a l’illustration par une matinée de septembre où les trois cinéastes fondateurs sont rejoints par cinq autres -Bertrand Bonello, Michel Hazanavicius, Olivier Nakache, éric Tolédano et Rebecca Zlotowski- dans l’arrière-salle d’une brasserie parisienne pour évoquer la nouvelle offre et l’avenir de LaCinetek. Non que le concept de départ n’ait fait ses preuves: reposant sur une “logique d’intérêt général”, à l’opposé de celle “de supermarché” présidant à Netflix par exemple, la plateforme a trouvé son public (elle compte entre 12 et 15 000 abonnés), tout en élargissant son champ d’action -elle est notamment disponible en Belgique depuis bientôt trois ans.
Le fruit d’une ligne éditoriale séduisante, ayant notamment permis l’accès à 900 films jusqu’alors inédits en streaming, tout en proposant une cinéphilie décloisonnée où, si l’orthodoxie domine –Vertigo, de Hitchcock, est le titre le plus cité par les réalisateurs et réalisatrices, suivi de Voyage à Tokyo, d’Ozu, et L’Aurore, de Murnau-, les surprises n’en sont pas moins légion. La simple navigation sur le site s’avère à ce titre pur plaisir, qui permet par exemple de voir que Justine Triet, la réalisatrice d’Anatomie d’une chute, apprécie tout particulièrement le cinéma de Richard Fleischer de même que The Thing, de John Carpenter, ou que Damien Chazelle cite, entre deux musicals, Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle), d’Arnaud Desplechin, mais aussi Bambi. “L’idée n’est pas de sortir les 50 meilleurs films de l’Histoire, parce que ça, c’est une approche professorale, observe Michel Hazanavicius. Ce sont des films qui vous ont marqué, et ont jalonné votre parcours, et pour moi, il y en a plein qui sont de purs films populaires.” La Chèvre, de Francis Veber, ou la trilogie Back to the Future, de Robert Zemeckis, en attestent. Rebecca Zlotowski, pour sa part, cite aussi bien, aux côtés des Varda, Cukor ou autre Fellini, Walter Hill (The Warriors), Diane Kurys (Diabolo menthe) ou Claude Pinoteau (L’Étudiante): “Il y a dans ma liste quelques guilty pleasures, s’amuse-t-elle. Ils font partie de ce moment de la cinéphilie dans lequel je suis arrivée, qui brouillait vraiment les pistes entre la culture noble et la culture mineure. Je crois que c’est le trajet qu’on fait tous, critiques compris, se désincarcérer de nos chapelles pour proposer un cinéma qui puisse être très auteur et très mainstream. Quand on voit qu’à l’époque, les films d’Alain Resnais faisaient 1 million d’entrées en France, peut-être qu’on en revient à un moment de la cinéphilie où c’est possible. Anatomie d’une chute qui fait 1 million d’entrées en quatre semaines d’exploitation, ça raconte un peu ça. Peut-être qu’on a traversé des moments où il y avait tellement de films qui sortaient qu’il fallait mettre des étiquettes. ça a marché un temps, ca ne marche plus.”
Offre élargie, ADN préservé
Ce constat d’une réalité mouvante s’applique également à l’univers des plateformes, devenu, après le pic consécutif au confinement et le repli qui a suivi, plus concurrentiel que jamais. Pascale Ferran: “C’est à la fois un peu plus difficile, parce que la concurrence est rude, de tous les côtés: en plus de Netflix et Amazon, les grosses majors américaines ouvrent de plus en plus leurs plateformes, Disney, Paramount, Universal. Et au niveau français, il y a une addition de petites plateformes, y compris liées au patrimoine, comme celles de Gaumont ou MK2. En même temps, on a quelque chose de très rare, qui est le plus beau catalogue possible.” Pour mieux le valoriser, notamment à destination d’un public jeune, les moins de 25 ans constituant pour l’heure 25% des abonnés, la plateforme a donc décidé d’élargir son offre: pour 5 euros (3 anciennement), l’abonnement mensuel donne désormais accès à une petite centaine de films (contre dix auparavant). Un choix fortement éditorialisé, avec une thématique -celle d’octobre porte sur les “Écrits”, avec notamment Mishima de Paul Schrader, Le Temps retrouvé de Raoul Ruiz ou La Salamandre d’Alain Tanner-, une rétrospective, des films en écho à l’actualité mais aussi des Trésors cachés du cinéma européen, l’accent étant mis pour l’heure sur l’âge d’or du cinéma slovaque.
À terme, l’objectif est d’atteindre les 20 000 abonnés, condition pour être pérenne, quitte pour ce faire à négocier avec Amazon pour rejoindre son bouquet, sans altérer pour autant l’ADN de cette “cinémathèque idéale”, ni remettre en cause son indépendance, l’association, qui emploie dix personnes, fonctionnant sans apport de fonds privés. Un modèle utopique? Voire: “On n’a pas de rêves de grandeur, souligne Laurent Cantet, mais on a l’impression d’être devenus un tout petit peu un site de référence. Quand on parle d’une plateforme originale, on est souvent cités, et c’est cette originalité-là qui va faire qu’on va subsister. Et la passion des habitués du site qui en parlent…”
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