La Cinematek offre une rétrospective à Fien Troch qui nous parle de son “cinémaginaire”

Under the Skin © DR

Découverte au mitan des années 2000 avec son premier long métrage Een ander zijn geluk (Le Bonheur d’un autre), Fien Troch s’est imposée comme une valeur sûre du cinéma belge et mondial. Alors que la Cinematek lui consacre une rétrospective, on lui a demandé quels étaient les films qui jalonnaient son imaginaire de cinéma.

Sorti à l’automne dernier, Holly, film fantastique dans tous les sens du terme et cinquième long métrage de Fien Troch, venait compléter une filmographie riche d’œuvres percutantes, avançant sur une ligne de crête entre sensations et sentiments. Un cinéma de non-dits (c’est d’ailleurs le titre français de son deuxième long, Unspoken), mais de beaucoup de ressentis. À l’occasion de la rétrospective qu’organise la Cinematek, Fien Troch revient pour nous sur les films qui peuplent sa propre cinémathèque personnelle.

Quels sont vos premiers souvenirs de cinéma?

Petite, nous n’avions pas la télévision à la maison, mais mon père étant monteur, nous allions beaucoup au cinéma. J’ai vu les films de Disney bien sûr, je me souviens notamment des Aristochats. Enfant et adolescente, je voulais devenir comédienne, j’allais voir beaucoup de films hollywoodiens, certains pas terribles, d’autres qui m’ont marquée. Je me souviens qu’on avait bricolé de fausses cartes d’étudiantes pour aller voir Thelma & Louise! Cependant, le premier film d’auteur qui m’a vraiment bouleversée, que j’ai vu un peu par hasard, c’est Au hasard Balthazar. C’était la première fois que j’étais complètement happée par un film. Quand j’ai (re)découvert Bresson à l’école de cinéma, le film m’est revenu. C’est vraiment l’un de mes films de chevet depuis.

Au hasard Balthazar © DR

À l’école de cinéma, quelles sont les découvertes qui vous ont le plus impressionnée?

Au début, j’avais l’impression que mes camarades avaient tout vu. Moi j’avais vu beaucoup de films aussi, mais des films mainstream, je me sentais un peu moins légitime, je crois. Je travaillais bien, mais je devais encore apprendre à ouvrir mon esprit, et à me libérer.

Deux auteurs ont été très importants, Bresson, et Fassbinder. Au début, j’étais très interpellée, en allemand on dit umheimlich, mal à l’aise. Cet inconfort m’a fait réfléchir à la façon dont en tant que cinéaste, on montre les émotions. Je me souviens aussi que la première fois que je suis venue à la Cinematek avec l’école (ndlr: Sint-Lukas), c’était avec Marc Didden, il avait choisi Série Noire d’Alain Corneau, un film très direct, très émouvant, avec un Patrick Dewaere incroyable, qui nous prouvait qu’il ne fallait pas forcément de grands effets pour raconter des histoires.

Série noire © Getty

Et puis il y a eu Gummo d’Harmony Korine, ça se voit dans mon court métrage Wooww je crois! La liberté de filmer que le film faisait ressentir… On y retrouve d’ailleurs cette notion de malaise.

Une autre découverte importante par ce qu’elle m’a appris sur mon identité de cinéaste, c’était Lost Highway de Lynch, j’ai trouvé ça absolument incroyable, mais j’ai dû arrêter, parce que je sentais bien que je ne pourrai pas le transformer dans mon travail, que c’était très loin de moi, contrairement à Korine ou Bresson. Je n’aurais pu que copier, pas m’approprier.

Gummo © 1997 New Line Cinema

Au fil de votre carrière, quels sont les films qui ont nourri les vôtres?

Pour chacun de mes films, j’ai l’impression que les inspirations sont très différentes. Mon premier film Een ander zijn geluk était très inspiré du travail de Todd Haynes, Safe notamment. Pour Unspoken, j’étais en résidence à la Cinéfondation à Paris. J’y ai vu beaucoup de films français, dont ceux de Patrice Chéreau. Et puis les films de Claire Denis. Je me rends compte que jusqu’ici je n’ai cité que des hommes mais quand j’étais jeune, on nous montrait essentiellement des films de réalisateurs. Je me souviens avoir vu Wanda de Barbara Loden. Un film fait avec zéro budget, mais tellement libre. J’ai ressenti sa solitude de réalisatrice, et la mienne aussi. Même si moi, j’avais Chantal Akerman comme référence, au moins un modèle.

Pour Kid, c’était Bresson et Dreyer. Je me suis vraiment demandé comment montrer les émotions, la douleur, la solitude. Pour Home, j’ai beaucoup pensé au travail de Frederick Wiseman, pour le style du film, visuellement, mais aussi la façon de faire jouer les comédiens, de les laisser vivre.

Enfin pour Holly, c’est étrange, ce n’est pas que l’écriture était inspirée par des films, je cherchais plutôt des films pour inspirer mon écriture. Quand mon récit s’est orienté vers le surnaturel, j’ai commencé à regarder des films d’horreur. Et puis il y avait les films de Reygadas et Escalante, je suis aussi très fan aussi de Jonathan Glazer, Under the Skin et Birth à l’époque.

Aujourd’hui quel genre de spectatrice êtes-vous?

Je regarde beaucoup de films pour le travail, savoir ce que font les autres, m’inspirer, je les regarde chez moi, même sur mon ordinateur. Pendant longtemps, j’avais du mal à accepter que je pouvais voir des films ou lire des livres dans la journée. Heureusement, j’ai presque fait la paix avec ça. En regardant un film sur mon ordinateur assise devant mon bureau, c’est du travail. Si je suis dans mon canapé, j’ai des remords (rires). J’ai des listes de films à voir, que je ne terminerai jamais évidemment, et j’adore des sites comme LaCinetek, avec des listes établies par des cinéastes qui m’inspirent. J’ai un petit côté obsessionnel. J’ai un carnet dans lequel je note tous les films que j’ai vus. Et quand je découvre un réalisateur que j’aime, je regarde tout, j’ai besoin d’épuiser sa filmographie. Ces cinq dernières années, j’ai revu tout Kiarostami, un cinéma qui m’a bouleversée dès la première vision. Cela dit, j’essaye d’aller le plus souvent possible au cinéma, j’ai d’ailleurs redécouvert ces dernières années le plaisir d’aller à la Cinémathèque avec mon fils adolescent.

Justement, quels films avez-vous pris plaisir à (re)voir avec vos enfants?

Jour de fête de Jacques Tati, les Chaplin, les Buster Keaton, les Marx Brothers, Louis de Funès aussi! Et puis les classiques des années 80 que j’avais vus enfant, Ferris Bueller’s Day Off, Back to the Future, E.T. On vient de revoir Groundhog Day, Bill Murray est tellement, tellement drôle. Autre chose qui me fait toujours rire, dans le style plaisir coupable, c’est The Hangover. Et puis bien sûr, à l’autre bout du spectre, Au revoir Balthazar, qui lui m’émeut aux larmes, à chaque fois.

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