Kristoffer Borgli s’amuse de l’image de Nicolas Cage dans « Dream Scenario »
Dans Dream Scenario, le Norvégien Kristoffer Borgli (Sick of Myself) joue de l’image virale véhiculée par Nicolas Cage pour livrer une comédie acide sur la célébrité.
Découvert l’an dernier avec Sick of Myself, satire d’une férocité peu commune dans laquelle une mythomane de compétition cherchait désespérément à se rendre intéressante en s’inventant une maladie rare, le Norvégien Kristoffer Borgli n’aura pas tardé à récidiver. Quittant l’Europe pour le continent américain, il se penche aujourd’hui, dans Dream Scenario, sur l’histoire d’un professeur en mal de reconnaissance joué par Nicolas Cage dont l’existence se voit complètement bouleversée le jour où il commence mystérieusement à apparaître dans les rêves de millions de personnes. Il devient ainsi, du jour au lendemain, un véritable phénomène médiatique, avant que cette popularité inattendue ne se retourne contre lui…
Effets pervers de la célébrité et besoin maladif d’attention: les thèmes autour desquels se structure Dream Scenario rappellent inévitablement ceux qui étaient au cœur de Sick of Myself. “C’est indéniable, opine le cinéaste alors qu’on le contacte par Zoom. J’ai vraiment conçu Sick of Myself et Dream Scenario comme les deux faces d’une seule et même pièce. Je les ai d’ailleurs écrits quasiment en même temps, sans même savoir lequel des deux j’allais réaliser en premier. Or il se trouve que les financements des deux projets se sont également débloqués au même moment. J’ai donc enchaîné les deux tournages quasiment dans un même geste. C’est ce qui explique les nombreuses similarités qu’ils affichent. En un sens, ces deux films communiquent entre eux. Ils sont le fruit d’un même état d’esprit créatif. Je ne cherche pas consciemment à construire une œuvre cohérente, travaillée par des thématiques et des obsessions communes à tous mes films (en 2017, DRIB, le tout premier long métrage de Kristoffer Borgli, traitait déjà d’une histoire de popularité virale appelée à mal tourner, NDLR). Je pense d’ailleurs que mon prochain projet sera quelque chose de très différent. Mais disons que ça fait quelques années que la question de la célébrité et de l’attention occupe mon esprit. Je ne sais même pas très bien pourquoi. J’essaie simplement de me laisser guider par ce qui m’intéresse. Vous savez, je pense qu’on ne choisit pas vraiment les idées qui germent en nous, ce sont les idées qui nous choisissent. Le désir de faire un film sur tel ou tel sujet a tendance à s’imposer à moi de manière impérieuse.”
Et Kristoffer Borgli, dans la foulée, de s’ouvrir encore davantage sur la manière dont il conçoit ses films et leur écriture. “Je pense que, bien souvent, à l’origine d’un film, vous avez peut-être quelque chose comme trois vagues idées qui viennent toquer à la porte de votre cerveau. Et puis, peu à peu, ces idées commencent à se combiner entre elles pour former un tableau plus vaste. Pour Dream Scenario, j’ai d’abord pensé à un personnage qui évolue dans un contexte académique et est frustré par son manque de reconnaissance. Et puis j’ai commencé à lire des choses autour de Jung, et son concept d’inconscient collectif. Jung observe que des images ou des histoires similaires peuvent parfois émerger dans le cerveau des gens au même moment à travers le globe, sans qu’il y ait vraiment d’explication claire à ça. Tout ça m’a ramené à l’hyper connexion qui caractérise notre époque, où, en un sens, nous vivons en permanence dans la tête des uns des autres. Pour moi, c’est quelque chose de très proche d’un scénario de film d’horreur. Pensez au film de Wes Craven, par exemple, A Nightmare on Elm Street, où plusieurs personnes sont hantées par le même cauchemar en même temps. Jung, Wes Craven, le village global et hyper connecté dans lequel nous vivons… Peu à peu, ces pièces ont commencé à former un puzzle dans ma tête. Celui d’une comédie noire flirtant avec la satire sociale.”
Jeux de miroirs
Floutant habilement les frontières entre espaces physiques et espaces mentaux, Dream Scenario explore avec beaucoup de malice la dimension cauchemardesque que prend l’existence de son anti-héros. “Vous savez, nous passons tellement de temps dans nos pensées que je crois que nous vivons davantage dans notre tête que dans la réalité. Le passé, le présent et le futur que nous fantasmons se mélangent en permanence dans notre esprit. Notre existence est bien plus qu’une simple succession de moments. La vie est un mélange complexe de pensées, de rêves, d’imagination et de réel. Et je pense que le cinéma est l’outil idéal pour tenter de traduire la manière dont nous l’expérimentons vraiment. C’est en tout cas ce qui m’intéresse énormément dans son langage.”
Tout en jeux de miroirs, le film trouve en Nicolas Cage le véhicule idéal de ses ruminations sur la célébrité. “Je n’avais pas vraiment d’acteur spécifique en tête en écrivant le film, se rappelle Kristoffer Borgli. Je ne pensais même pas qu’il serait possible d’attirer quelqu’un d’aussi connu que Nicolas Cage. Mais une fois que l’opportunité s’est présentée, j’ai réalisé que personne ne pouvait convenir mieux que lui. Tout simplement parce que, à un moment de sa carrière, son image a en quelque sorte englouti sa personne et a commencé à avoir une espèce d’existence propre. Il occupe une place vraiment à part dans notre culture populaire. Et je crois que cette idée de lui qui circule dans l’esprit des gens lui échappe complètement. Il a dû accepter à un moment qu’il n’avait plus aucun contrôle là-dessus. Et j’ai pensé que le film pourrait en quelque sorte venir jouer le rôle d’exorciseur de ses démons. Ça rend bien sûr son personnage d’autant plus authentique et ça confère au film une dimension méta qui n’était pas présente à l’origine dans son écriture mais qui, à l’arrivée, vient, je crois, l’enrichir considérablement.”
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