Jeremy Allen White dans la peau de Bruce Springsteen? «Ça aurait été totalement déplacé de raconter une telle histoire sans sa bénédiction»

Jeremy Allen White endosse la mélancolie de Bruce Springsteen dans Deliver Me from Nowhere. © Macall Polay / 2025 20th Century Studios.

De The Bear au «Boss». Jeremy Allen White a dû apprendre à chanter, à jouer de la guitare et à sombrer dans la mélancolie pour Springsteen: Deliver Me from Nowhere.

Springsteen: Deliver Me from Nowherede Scott Cooper

Biopic avec Jeremy Allen White, Jeremy Strong, Stephen Graham. 1h52.

La cote de Focus: 3/5


Macall Polay © 2025 20th Century Studios.

Dans une approche similaire à l’excellent A Complete Unknown sorti ce début d’année, Deliver Me from Nowhere nous épargne l’habituel autobiographie pour se focaliser sur une période charnière de la vie de Bruce Springsteen: l’enregistrement de son album Nebraska. À cette époque, le «Boss» a du mal à conjuguer son succès fulgurant avec les démons de son existence –notamment sa relation tumultueuse avec son père. Une dépression qui va le pousser à s’écarter des salles combles pour composer de nouveaux morceaux acoustiques.
La modestie de la démarche est aussi celle du cinéaste Scott Cooper: son biopic prend la forme d’une tendre introspection nostalgique. Si la mise en scène est trop plate pour emmener le film vers des sommets d’émotion, Deliver Me from Nowhere peut capitaliser sur des interprétations solides et sur le magnétisme inhérent à la figure de Springsteen.

J.D.P.

Le biopic réalisé par Scott Cooper n’est pas une hagiographie de Bruce Springsteen, ni un survol complaisant de ses succès, de ses albums et de ses concerts. Il brosse plutôt le portrait du jeune dieu du rock à l’un des moments les plus sombres et les plus vulnérables de sa vie.

En 1982, Springsteen est sur le point de devenir une star mondiale. Son album The River (1980) et la tournée qui l’a accompagné ont été un triomphe. Il écrit déjà certains morceaux qui feront de Born in the U.S.A. (1984) un album explosif. Mais, installé dans une maison de Colts Neck, dans le New Jersey, non loin de l’endroit où il a grandi, il se sent de plus en plus attiré par des chansons sombres, peuplées de marginaux et de losers. Il est également paralysé par des sentiments d’aliénation et des souvenirs douloureux de son enfance.

Ces chansons aboutissent, non sans peine, à l’album folk Nebraska (1982). Mais la dépression, elle, n’est pas encore maîtrisée. Le jeune dieu du rock a besoin d’aide. Autant dire que dans Springsteen: Deliver Me from Nowhere, Jeremy Allen White passe davantage de temps à contempler un lac dans la brume qu’à embraser des salles de concert.

Vous n’êtes pas particulièrement connu pour vos qualités de chanteur et de guitariste… Savez-vous comment vous avez attiré l’attention de Bruce Springsteen et du réalisateur Scott Cooper?

J’ai pu le déduire des conversations que j’ai eues avec eux. Le film se déroule durant une période très spécifique, durant laquelle Bruce vit dans cette maison de Colts Neck. Scott et lui voulaient un acteur capable de raconter cette histoire intime avec retenue: sans grands gestes, sans grands mots. Je pense qu’ils ont vu en moi cette qualité.

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Vous avez eu six mois pour apprendre à jouer de la guitare et à chanter comme le Boss. N’était-ce pas un peu court?

Evidemment, c’est trop court pour devenir un bon guitariste. Même avec cinq leçons par semaine données par un professeur brillant et rusé. Il ne m’a pas vraiment appris à jouer de la guitare, juste les quelques chansons du film. Ne me demandez pas d’en jouer d’autres!

La plus grande difficulté, sans doute, fut d’entrer dans l’état d’esprit de Springsteen à l’époque. Impossible de prendre un coach pour cela…

C’est vrai. Heureusement, j’avais beaucoup de matière sur laquelle m’appuyer. Il existe énormément d’informations pour quiconque veut comprendre le Bruce Springsteen de cette époque. C’était une période difficile, un tournant de sa vie. Ces dix dernières années, il s’est montré très ouvert et honnête à ce sujet. Son autobiographie Born to Run (2016) m’a beaucoup aidé: j’ai écouté la version audio en boucle. Son one-man-show Springsteen on Broadway (NDLR: disponible sur Netflix) a aussi été une mine d’or. Tout comme le livre de Warren Zanes, Deliver Me from Nowhere. Enfin, Bruce Springsteen lui-même n’était jamais bien loin. J’ai pu passer beaucoup de temps avec lui.

«Si moi, je ressens déjà une énorme pression pour être à la hauteur, que devait-il éprouver, lui?»

Cela ne dit toutefois pas comment incarner ce jeune artiste tourmenté.

J’ai dû me demander ce qu’on avait en commun tous les deux. Au début, il me semblait impossible de trouver des parallèles entre lui et moi. Mais plus j’apprenais à le connaître, plus il me racontait ce qu’il avait vécu, plus la distance se réduisait. J’ai reconnu beaucoup de mes propres luttes. Peut-être les siennes étaient-elles plus lourdes, plus complexes, mais elles ne m’étaient pas étrangères.

Laquelle de ses luttes vous a semblé la plus familière?

Le film montre un Bruce Springsteen en proie à de profonds doutes, à des peurs, à un sentiment de culpabilité. Il se demande quelle est sa place dans le monde, comment vivre quand il n’est pas sur scène ou en train de faire de la musique. Il se sentait comme un imposteur dans la vie quotidienne. Ce genre de doutes et d’angoisses m’est, hélas, familier. J’ai longtemps eu du mal à vivre dans l’instant, à rester concentré. Je m’échappais facilement. J’ai appris à mieux le gérer. Et si moi, je ressens déjà une grande pression pour répondre aux attentes, imaginez ce que cela devait être pour lui…

Il était souvent présent lors du tournage. N’était-ce pas encore plus intimidant?

Au début, avant chaque prise, je recherchais son approbation, sa confiance. Je voulais être sûr d’être sur la bonne voie. J’étais englué dans ma propre vulnérabilité et mes doutes. Je ne m’attendais pas, c’est vrai, à ce que Bruce soit là aussi souvent, surtout durant la première semaine de tournage. Mais après une semaine, j’ai compris qu’il était lui aussi dans une position fragile. C’est un chapitre délicat de sa vie. Cela aurait été étrange qu’il ne soit pas impliqué. Ça aurait même été totalement déplacé de raconter une telle histoire sans sa bénédiction. Avec le temps, sa présence est devenue naturelle. J’ai remarqué qu’il se laissait parfois emporter par les scènes, qu’il y prenait même du plaisir.

Quand a-t-il eu du mal à supporter ce qu’il voyait?

Je me souviens surtout des scènes de son enfance: les flash-backs avec Gaby Hoffmann et Stephen Graham, qui incarnent respectivement sa mère et son père, et Matthew Anthony Pellicano Jr. dans le rôle du jeune Bruce. Ces scènes l’ont profondément touché. Les souvenirs liés à son père, aussi, la scène où je dis à sa compagne, Faye, que je pars à Los Angeles… Tout cela lui a coûté.

Vous avez dû beaucoup exprimer par le regard, l’expression, la posture, les silences. Vos quatre saisons dans The Bear vous y ont-elles aidé?

J’ai toujours été sensible à cet aspect du jeu. Je me souviens très bien de ma première expérience: un exercice avec deux personnages et des monologues. Pendant que l’un parle, l’autre doit improviser, écouter et jouer en silence. Ce fut une révélation. J’ai ressenti une grande présence, une sérénité, une concentration nouvelles. J’avais 14 ans, et comme tout adolescent, j’étais dispersé, incapable de me concentrer. Mais tout s’est dissipé durant cet exercice. Je me suis rendu compte que j’avais captivé l’attention de mes camarades, pourtant agités. J’ai compris alors qu’il n’est pas nécessaire de crier, de pleurer ou d’exprimer un chaos total pour capter l’attention. La simplicité, le silence et la sincérité peuvent être bouleversants.

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