Jeff Bridges: « Je ne voyais pas l’intérêt de jouer dans True Grit »
Jeff Bridges, le merveilleux interprète de True Grit, n’est entré qu’avec réticence dans le monde du cinéma. Nous ne nous en plaindrons pas.
Il balaie d’un grand sourire toute allusion à un second Oscar d’affilée après celui de Crazy Heart l’an dernier. « Je n’ai aucune chance de gagner! C’est au tour de Colin (Ndlr: Colin Firth, bien sûr, pour son interprétation dans The King’s Speech)! » Le Dude de The Big Lebowski ne masque pas son plaisir d’avoir retrouvé les frères Coen, qui lui écrivent « des répliques qui se dégustent comme des friandises ». Impérial en marshal bougon dans True Grit, Jeff Bridges tient la forme quand nous le rencontrons dans un palace berlinois, au lendemain de la présentation du film en ouverture du festival.
Les Coen disent que vous n’avez pas immédiatement dit oui quand ils vous ont proposé True Grit…
C’est exact. Je ne voyais pas l’intérêt de faire un remake du film avec John Wayne, ni de rejouer un rôle qui avait valu l’Oscar à John Wayne… Il a fallu que Joel et Ethan m’expliquent à quel point leur projet était différent pour que je m’engage, avec enthousiasme. Vous savez, je suis très bon dans l’art de me faire prier pour accepter un engagement. Je fais de mon mieux pour n’en accepter aucun (rire). Je me dis à chaque fois que sitôt que j’aurai signé pour un film, on m’en proposera un bien meilleur que je serai bien obligé de refuser. Et puis je n’aime pas me retrouver éloigné de ma femme et de mes filles. En 2010, je suis resté loin de chez moi pendant 11 fichus mois. Ce n’est pas une manière saine de vivre une relation conjugale, même quand c’est une relation de 35 ans déjà, et que nous avons assez de pratique en matière d’intimité pour résister à nos séparations quand je tourne… Ce qui était cool sur True Grit, c’est que j’ai pu prendre ma fille Jessie pour assistante, et comme elle fait aussi de la musique, donner quelques concerts avec elle en cours de tournage!
Un tournage serein et complice, vu les méthodes des Coen?
Oui, ils ont cette manière très relax, très familiale, de travailler avec tous ces techniciens qui les suivent depuis longtemps déjà pour un bon nombre d’entre eux, à commencer par le directeur de la photographie Roger Deakins. Avec les acteurs aussi, ils ont la manière douce. Ils dirigent comme des cavaliers très confiants et respectueux monteraient un cheval, sans jamais crier, presque à voix basse. Ils n’ont jamais un mot plus haut que l’autre, et leur humour à froid, leur détachement apparent, maintiennent tout le monde dans une atmosphère calme, positive et en effet complice.
Des westerns, vous en avez tourné plusieurs. Dont un certain Heaven’s Gate, le film de Cimino que beaucoup considèrent comme un chef-d’oeuvre, mais qui fut assassiné à sa sortie…
Je suis de ceux qui pensent que c’est un chef-d’oeuvre. Je n’oublierai jamais le soir de la première, à New York, quand les lumières se sont rallumées et que seuls quelques maigres applaudissements se sont timidement fait entendre dans un silence glacial. On a voulu croire que les gens étaient tellement sous l’impression du film qu’ils ne pouvaient pas réagir comme espéré. Mais en lisant les critiques dans la presse du lendemain, nous savions que c’était mort. Quelqu’un a même écrit que si on rasait le crâne de Cimino, on y découvrirait probablement trois fois le chiffre 6 (le signe du diable, ndlr)… Personnellement, j’adore le film, et je garde du tournage un souvenir inoubliable. C’était un truc de fous. C’est là que je me suis lié d’amitié avec T-Bone Burnett. Kris Kristofferson ayant lui-même amené ses potes musiciens, ce fut une gigantesque jam session de 6 ou 7 mois!
Les scènes de soûlographie de True Grit sont remarquablement réalistes. Avec l’aide d’alcool, pour de vrai?
Nooon! Cela fait quelque temps déjà que je sais qu’il s’agit d’une erreur de boire vraiment pour de telles scènes. Car il y a les scènes du lendemain matin qui en prennent un coup. Et puis j’ai été le soulard que je dois jouer, je le connais très bien, ça suffit pour le faire. Et pour que les partenaires soient dans l’ambiance, je verse un peu d’alcool sur mes vêtements, j’en mets un peu dans ma barbe, aussi…
Est-il vrai qu’au départ, déjà, vous n’étiez pas très demandeur pour devenir acteur?
Pas du tout, oui! J’avais envie de devenir musicien ou photographe (deux choses que je continue à faire en parallèle du cinéma). C’est mon père (Ndlr: Lloyd Bridges (1913-1998) fut un excellent second rôle dans de nombreux films, avant de connaître un sommet de popularité dans la série de films parodiques Hot Shots, de Jim Abrahams) qui voulait absolument faire de moi et de mon frère des acteurs. J’avais à peine 6 mois qu’il m’emmenait sur un tournage de son ami John Cromwell (acteur et réalisateur, père de James Cromwell), sachant qu’il fallait un bébé pour une scène avec Jane Greer (dans The Company she Keeps). En moins de deux, j’étais dans les bras de l’actrice, qui m’a trouvé super mignon. Mais pour la scène, il fallait que je pleure. Et j’étais apparemment très bien dans ses bras. Alors ma mère (Dorothy Bridges, elle-même actrice) a soufflé à Jane: « Pincez-le, et il finira par pleurer… »
Bien des années plus tard, j’ai retrouvé Jane Greer quand nous tournions Against All Odds, et je lui ai rappelé cette anecdote… Mes parents voulaient vraiment me donner la passion du métier. Vous comprenez que je n’y suis pas allé avec tout l’enthousiasme souhaité (rire)…
Louis Danvers, à Berlin
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