Avec Avatar: Fire and Ash, troisième volet de son épopée de science-fiction, James Cameron poursuit sa conquête d’Hollywood, et de la planète entière. Rencontre.
Avatar: Fire and Ash
Film d’action de James Cameron. Avec Sam Worthington, Zoe Saldana, Stephen Lang. 3h15.
La cote de Focus: 3/5
Après une année morose pour le box-office, les cinémas attendent le troisième opus d’Avatar comme le messie, l’épopée qui réunira grand public et cinéphiles dans un même élan épique. D’un point de vue technologique, la saga de science-fiction demeure trois coudées au-dessus de la concurrence, et cette virtuosité culmine lors d’une bataille finale démentielle sur trois strates (le ciel, la surface et les profondeurs) d’une densité jamais vue auparavant. Hélas, avant d’y arriver, il faut tout de même subir l’un des scénarios les plus laborieux écrits par James Cameron. Outre les facilités et les incohérences, Avatar 3 peine à justifier son existence, comme s’il n’était qu’un prolongement du deuxième volet, au point d’en recycler les décors et dynamiques narratives. Alors certes, Pandora fascine encore, mais pour la première fois de son histoire, Avatar tourne en rond.
J.D.P.
James Cameron apparaît étonnamment détendu lorsqu’on le rencontre dans une suite de l’hôtel de luxe parisien Le Bristol, qui ressemble aujourd’hui davantage à une fourmilière de journalistes et d’attachés de presse. Il a l’allure d’un général grisonnant mais vigoureux, conscient depuis longtemps que la victoire est acquise. C’est que le colosse canadien cumule des années d’expérience dans la maîtrise de projets-mastodontes qui écraseraient bien d’autres réalisateurs. Fire and Ash, troisième volet de sa saga Avatar, en est la nouvelle preuve: un film de 197 minutes, à peine plus court que Spartacus et Ben-Hur.
James Cameron a tourné cette épopée entre 2017 et 2020, en Nouvelle-Zélande, en même temps que l’épisode deux, Avatar: the Way of Water (2022), qui, avec ses 2,3 milliards de dollars de recettes, a démontré la force d’attraction durable de la franchise. Les volets quatre et cinq –prévus pour fin 2029 et 2031– sont en préparation, bien que leur concrétisation dépende, «en théorie», des performances de Fire and Ash au box-office. Mais même l’analyste le plus cynique jugerait improbable que le titan ultime du blockbuster hollywoodien perde soudain son mojo.
La marche victorieuse de Cameron a débuté avec Terminator (1984), le classique cyberpunk qui lança Arnold Schwarzenegger. Suivirent Aliens (1986), où il transformait le film claustrophobique de Ridley Scott en un space opera explosif; Terminator 2: Judgment Day (1991), pionnier en matière d’effets spéciaux numériques; Titanic (1997), le phénomène culturel aux onze Oscars, resté pendant des années le film le plus lucratif de l’histoire. Et puis, à une échelle encore supérieure, Avatar I (2009) et II (2022) qui ont cumulé plus de cinq milliards de dollars et inauguré une nouvelle forme de cinéma immersif.
Que, parmi toutes ses fantasmagories mégalomanes, Avatar soit son œuvre-monde, James Cameron ne le nie pas: «J’ai commencé la production du premier film en 2005, cela fait donc 20 ans. J’ai fait au passage un petit détour pour une expédition en haute mer (NDLR: il a plongé en 2012 au fond de la fosse des Mariannes, dans l’océan Pacifique, à bord du Deepsea Challenger spécialement conçu à cet effet), donc disons 18 ans. Mais c’est une toile très vaste sur laquelle je peux peindre.»
La matrice de la saga est personnelle: «Je travaille à partir de la vie et d’émotions réelles, en tant que père, époux, être humain témoin des menaces que représentent la guerre, le racisme, l’intolérance et la dégradation de l’environnement, et aussi comme quelqu’un qui fut un adolescent ordinaire avec toutes ses peurs. Ensuite, je transpose tout cela dans mon imaginaire, de sorte que je n’ai jamais à me réfugier dans un monde complètement méconnaissable, ou dans un paysage contemporain. D’autres réalisateurs savent faire cela mieux que moi. Je me suis toujours senti en terrain familier lorsque je pouvais créer quelque chose de visuellement radical et dense, mais en même temps universel par rapport aux thématiques abordées.»
Pour James Cameron, la planète vierge Pandora, où la culture autochtone Na’Vi est menacée par des colonisateurs humains, n’est pas un simple terrain d’évasion. C’est une mégastructure qui accueille toutes ses préoccupations: «L’écologie, la guerre, les tensions raciales, la résistance à la déshumanisation technologique. Les premières images et premiers dessins du monde d’Avatar sont nés quand j’étais adolescent, enfant même. Ils étaient déjà là dans Aliens et dans Terminator.» L’exposition organisée l’an dernier par la Cinémathèque française, à Paris, en attestait: croquis et storyboards des années 1970 et 1980 révélaient que Cameron avait toujours été un créateur talentueux.
La construction du monde est pour lui aussi essentielle que le drame. «Dans Abyss (NDLR: son épopée de science-fiction de 1989 sur des plongeurs découvrant une civilisation extraterrestre, et, avec la comédie d’action True Lies, sa seule contre-performance au box-office), je n’avais pas encore trouvé l’équilibre entre drame, intimité, ampleur et spectacle, reconnaît-il. Mais dans Titanic, cet équilibre était juste. J’ai ensuite transposé ces leçons dans un monde totalement nouveau, et avec Avatar nous avons inventé une nouvelle forme de cinéma, davantage fondée sur l’image onirique que sur le conflit humain.» Il estime que Fire and Ash atteint cet équilibre mieux que jamais: «Le troisième acte est immense, un champ de bataille colossal, mais nous revenons toujours aux moments intimes. C’est ce qui maintient le spectateur en haleine.»
Lors de la conférence de presse plus tard dans la journée, le réalisateur prolonge sa réflexion sur la portée universelle de sa saga: «Avatar traite de famille, d’identité, de devoir. De réfugiés, de cultures métissées, d’enfants cherchant leur place. De perte et de deuil. C’est reconnaissable par chacun, et partout, surtout au vu de ce qui se passe actuellement dans le monde.»

Lorsqu’une journaliste lui demande en plaisantant si Fire and Ash comporte un clin d’œil à la scène finale de Titanic –celle où Jack dérive vers une mort certaine dans les eaux glacées–, Cameron répond avec une pointe d’agacement: «Je n’ai eu que cinq bonnes idées dans ma vie, je les reconditionne simplement à l’infini.» Mais il rayonne lorsqu’il parle de l’équipe avec laquelle il travaille depuis quasi 20 ans. Dans le troisième volet, Sam Worthington revient dans le rôle de Jake Sully, l’ancien marine devenu Na’Vi et chef de leur clan. Stephen Lang est de retour en colonel Quaritch, ennemi de Jake, militaire ressuscité dans un corps d’avatar. Zoe Saldana et Sigourney Weaver apparaissent également, respectivement en Ney’tiri, partenaire de Sully, et en Kiri, jeune Na’Vi adoptée. Nouvelle venue, Oona Chaplin (petite-fille de) incarne Varang, cheffe impitoyable des Mangkwan, le peuple des cendres.
«Nous nous appelons « la famille Avatar », sourit le réalisateur. C’est la phase la plus sacrée du processus créatif. Vivre avec les acteurs, jour après jour. Et c’est ce que nous avons fait, pour les volets deux et trois, pendant 18 mois. Ensuite, je peux travailler avec les plus extraordinaires designers, créateurs de décors et techniciens.» Puis vient la phase moins sacrée: cinq années de postproduction durant lesquelles chaque pixel est lavé et repassé.
La vision à long terme de Cameron était d’ailleurs intégrée très tôt. «La première ébauche d’Avatar, que j’ai rédigée en 1995, présentait un écologisme à peine masqué», reconnaît-il, et il est frappant de constater à quel point il s’est révélé prophétique. Le monde qu’il décrivait alors –un écosystème sous pression, des peuples en errance, des guerres pour les ressources– résonne aujourd’hui de manière douloureusement actuelle.
«L’IA ne nous remplacera jamais. Elle restera un outil. Du moins, je l’espère.»
Et puis, il y a la réputation de Cameron en tant qu’oracle de la technologie. Lorsque Terminator est sorti en 1984, cette dystopie autour de l’intelligence artificielle était encore perçue comme de la science-fiction futuriste. Aujourd’hui, son Skynet trouve un écho bien réel, à ceci près qu’il s’appelle ChatGPT ou CoPilot. Le réalisateur coréen Bong Joon-ho (The Host, Parasite, Mickey 17) a déjà appelé à «rassembler une armée pour détruire l’IA», mais lorsqu’on demande à Cameron s’il accepterait dans ce cas d’en devenir le général, il répond: «Absolument pas. Je suis profondément ambivalent à propos de l’IA. La superintelligence est une chose. C’est un énorme problème sociétal. Mais dans l’industrie du divertissement, nous faisons face à un problème mineur: l’IA générative qui remplace les artistes? Je trouve cela tout simplement répugnant.»
Il en voit toutefois les potentialités: «Je ne l’ai pas encore fait, donc cela reste un « si », mais si nous pouvons créer des outils qui rendent le flux de travail plus efficace, de sorte que je puisse faire un film Avatar en deux ans plutôt qu’en quatre, j’aimerais y investir. Surtout maintenant que j’ai 71 ans. Mais jamais pour remplacer des artistes ou des acteurs.» La question est pour lui philosophique: «Il s’agit du sens de l’humain. L’IA rend tout générique. Par définition. Parce qu’elle repose sur des modèles qui se nourrissent les uns les autres. Pourquoi voudrions-nous cela? Pourquoi voudrions-nous nous rendre superflus? Ce que nous apprécions dans l’art, la littérature, la poésie, la musique, c’est précisément l’unique, l’idiosyncratique. C’est pour cela que je pense que, tôt ou tard, les gens y seront moins sensibles. L’IA ne nous remplacera jamais. Elle restera un outil. Du moins, je l’espère.»
Pour James Carmeron, un film reste aussi un rituel, une expérience immersive qui n’existe qu’en salle. D’où son attachement indéfectible à la technologie de la motion capture, qui transforme les acteurs en personnages Na’Vi t, et à la 3D, qu’il défend depuis le premier Avatar comme la voie ultime pour immerger le public. Cela donne plus de relief à ses propos récents: selon lui, les films Netflix ne devraient pas être éligibles aux prix cinématographiques puisqu’ils ne sortent pas en salle. Et même si le géant Netflix a fait une offre –de 82,7 milliards de dollars– pour racheter Warner Bros Discovery, un véritable séisme dans le paysage des studios. Cameron ne se laisse pas intimider. Il continue à bâtir son monde. Plus bleu, plus vert, plus vaste, plus radical. A commencer par Avatar 3: Fire and Ash, puis les volets 4 et 5, et, qui sait, davantage encore.
Reste à savoir s’il restera toujours aux commandes. «Ecoutez, j’aime ce travail, j’aime cet univers, confie-t-il. Le fait est que je me trouve aujourd’hui à une sorte de carrefour où je me dis « d’accord, je suis peut-être resté trop longtemps sans interruption dans ce domaine, et j’aimerais faire d’autres choses qui ne correspondent pas à cet univers ». Avatar est né de mon imagination, mais il est maintenant porté par tous les autres artistes impliqués, par la distribution, par des gens que j’aime et avec qui j’aime travailler. Pour moi, il s’agit davantage du momentum de la famille Avatar, du paysage social en coulisses.» James Cameron explorera peut-être bientôt d’autres territoires, mais il veillera toujours fidèlement sur ses troupes et sur Pandora. Pour paraphraser Terminator, «He’ll be back.»
Les autres sorties ciné de la semaine
The Secret Agent
Thriller atmosphérique de Kleber Mendonça Filho. Avec Walter Moura, Gabriel Leone, Maria Fernanda Cândido. 2h40.
La cote de Focus: 4,5/5
Marcelo prend la route pour rentrer à Recife, où il compte récupérer son fils, confié à ses beaux-parents. En attendant, il loge dans une sorte de pension pour «réfugiés». Pour un ex-prof d’université, sa trajectoire est chahutée, semée de cadavres (entiers ou en morceaux), d’hommes de main patibulaires, d’industriels véreux, mais aussi de compagnons d’infortune généreux. En 1977, le Brésil est sous le joug d’une dictature militaire. Kleber Mendoza Filho plonge le spectateur en immersion dans cette société sous surveillance à l’atmosphère tout à la fois poétique et suffocante. Ce thriller sinueux où l’on relie peu à peu les fils de l’intrigue offre un millefeuille narratif et sensoriel étonnamment léger, servi par la mise en scène virtuose du cinéaste, et la performance (primée à Cannes) de Walter Moura.
A.E.
L’Ame idéale
Comédie d’Alice Vial. Avec Magalie Lépine-Blondeau, Jonathan Cohen, Florence Janas. 1h38.
La cote de Focus: 3,5/5
Elsa voit les morts. Elle leur parle, et même, elle les aide à régler les derniers problèmes qu’il leur reste sur terre. Ce genre de pouvoir, forcément, ça isole. Et travailler dans un service de soins palliatifs n’arrange pas les choses. Elsa aimerait croire à l’amour, mais son don rend l’idée d’une relation de couple compliquée. Jusqu’à ce qu’elle croise le chemin d’Oscar, qui a tout pour lui plaire. Dommage que pour l’aimer, elle doive apprendre… à s’en séparer. Le trope du personnage qui voit des morts est fréquent au cinéma, pourtant il garde une vraie fraîcheur dans ce premier long métrage, comédie romantique et fantastique aussi touchante que drôle, grâce à une écriture délicate qui n’a pas peur de l’émotion, et aux performances de Jonathan Cohen, dans un registre qu’il maîtrise, et de la Canadienne Magalie Lépine-Blondeau (la révélation de Simple comme Sylvain), que l’on espère recroiser rapidement au cinéma.
A.E.
The Penguin Lessons
Comédie dramatique de Peter Cattaneo. Avec Steve Coogan, Jonathan Pryce, Vivian El Jaber. 1h51.
La cote de Focus: 2,5/5
The Penguin Lessons a le mérite d’attirer l’attention par son pitch insolite, qui plus est inspiré de faits réels: dans les années 1970, un prof désillusionné et dépressif s’exile en Argentine pour donner des cours d’anglais dans une école pour jeunes adolescents, alors que le pays traverse une importante crise politique. Lors d’une balade au bord de mer, il recueille un pingouin, seul survivant d’une monstrueuse marée noire qui a eu raison de tous ses congénères. Le début d’une cascade d’événements qui mènera le personnage à s’ouvrir aux autres. Ecologie, révolutions, deuil: les thématiques sont riches, voire un peu lourdes, mais traitées avec la nonchalance british apportée par l’interprétation de Steve Coogan et la mise en scène sans pathos de Peter Cattaneo. Pour le reste, il faut admettre qu’au-delà du caractère savoureux de son concept, The Penguin Lessons demeure trop convenu pour rester en mémoire.
J.D.P.


