« J’ai veillé à être conforme à la mémoire de ma communauté plutôt qu’aux manuels officiels »
Warwick Thornton inscrit dans l’outback un western immersif revisitant une Histoire australienne écrite dans le sang des populations indigènes.
Warwick Thornton, on l’a découvert il y a une petite dizaine d’années, en 2009, lorsque Samson and Delilah, son premier long métrage repartait de Cannes avec la Caméra d’or. Histoire de deux adolescents aborigènes d’Alice Springs, la ville d’où est originaire le réalisateur, ce premier opus devait aussi donner la ligne de sa filmographie à suivre, le cinéaste australien d’ascendance aborigène se spécialisant dans les récits indigènes, et cela qu’il signe des courts métrages, des documentaires ou, aujourd’hui, Sweet Country, un western inscrit dans cet outback où il a grandi -lequel devait lui valoir le prix spécial du jury lors de la dernière Mostra de Venise.
Au coeur du film, écrit par le scénariste David Tranter et situé à la fin des années 20 dans le Territoire du Nord, une sombre histoire écrite dans le sang et la spoliation du peuple aborigène. Rien que du fort banal dans la sauvagerie de l’époque, comme ne se fait faute de le souligner le réalisateur, évoquant les récits se transmettant de génération en génération, en une sorte d’héritage commun, et un sujet à côté duquel il ne pouvait pas passer. « Je n’ai jamais tourné un film aussi vite, les choses se sont enchaînées de façon incroyablement rapide. C’est la première fois que je mets en scène le scénario d’un autre, je l’ai reçu l’an dernier en juillet, et j’en suis tombé amoureux. Comme metteur en scène, l’idée de tourner un western me titillait depuis longtemps, je rêvais d’une sorte de combinaison de Sam Peckinpah et de John Ford. Il y a cette notion que comme réalisateur, on a réussi si on a tourné un western… Comme je n’avais rien de prévu, je me suis lancé, les producteurs ont réuni des fonds, nous avons tourné en novembre en Central Australia, j’ai terminé le montage en avril, et nous voilà en septembre à Venise. »
Vaste horizon
Librement inspiré de l’histoire de Wilaberta Jack, un aborigène arrêté et jugé après avoir tué un Blanc en état de légitime défense, Sweet Country opère un travail de mémoire, en même temps qu’il dévide une Histoire australienne baignée d’une violence passant par la négation des populations indigènes. Un contexte que Thornton embrasse sous la forme d’un western immersif rendant aux individus toute leur complexité, manière aussi de capitaliser sur l’intelligence du spectateur: « J’aime que le cinéma m’incite à me poser des questions, que le spectateur travaille avec le film et y soit impliqué, plutôt que d’être installé avec sa boisson et du pop-corn en sachant que Batman va l’emporter », sourit-il. Et Sweet Country ouvre ainsi sur un vaste horizon: physique d’une part, avec un cadre sublimant le récit en un sentiment encore renforcé par l’absence de musique ( « le paysage de ces personnages était tel que l’appoint de musique les aurait annihilés, il fallait préserver leur vérité dans cet environnement »); temporel d’autre part, la résonance contemporaine du propos étant on ne peut plus manifeste. » Une bonne partie de l’Histoire des peuples indigènes, partout dans le monde, a été écrite par les colonisateurs. Or les souvenirs n’ont pas de prix, ils vous rendent forts. Quand les Britanniques sont arrivés chez nous, ils ont écrit leur version des faits, éclairant leur façon d’agir. Mais l’histoire que raconte le film reflète tout autant la réalité, non celle que l’on trouve dans les livres d’Histoire, mais celle que nous racontaient nos grands-parents. J’ai veillé à la restituer le plus fidèlement possible et à être conforme à la mémoire de ma communauté plutôt qu’aux manuels officiels. »
Manière d’imprimer aussi ce récit fondateur dans l’inconscient collectif, et d’indiquer combien certains problèmes contemporains trouvent leurs racines dans ce passé tumultueux et violent -en quoi Warwick Thornton refuse toutefois de voir une fatalité: « Ce racisme installé dans la durée a engendré des problèmes massifs au sein des communautés indigènes. Mais envisager le problème dans une perspective historique permet de mieux le cerner. Nous devons veiller à nous autonomiser, nous affirmer et à croire en nous, mais ce processus doit venir de nous-mêmes. C’est assez difficile quand on voit comment nos parents et nos grands-parents ont été traités sans pouvoir y remédier, mais ça commence… » Et ce film, quelque part, en apporte aussi la démonstration.
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