Il y a déjà eu des femmes présidentes des États-Unis… à l’écran

Téa Leoni est Elizabeth McCord dans Madam Secretary (2020). © DR
Nicolas Bogaerts Journaliste

La campagne présidentielle aux États-Unis arrive à son terme. Mais petits et grands écrans n’ont pas attendu le résultat des urnes pour imaginer une femme présidente. Histoire d’une représentation et de son rapport au réel.

Chicago, fin août 2024. Alors qu’elle assistait à la convention du Parti démocrate américain, l’actrice Julia Louis-Dreyfus n’a sans doute pas pu retenir un large sourire. En partie parce que Kamala Harris s’apprêtait à accepter la nomination de son parti en tant que candidate à l’élection présidentielle aux États-Unis. En partie aussi parce que pour la deuxième fois de l’Histoire du pays, une femme a des chances d’accéder à l’investiture suprême. Mais il est facile d’imaginer que, sans doute, l’actrice révélée dans Seinfeld a dû être traversée au même moment par des souvenirs et réminiscences du tournage de Veep. Dans cette comédie politique acide, signée du producteur et scénariste écossais Armando Iannucci, elle était entre 2012 et 2019 Selina Meyer, vice-présidente des États-Unis d’Amérique imaginaire mais réaliste dans son hubris débordante.

Vaine, obsédée par l’idée de laisser une trace, elle est emportée avec son équipe dans un cortège de situations drôles, absurdes, grinçantes jusqu’à ce qu’elle accède elle-même à la présidence, suite à la démission inattendue de son ex-colistier. Julia Louis-Dreyfus, récompensée par six Emmy Awards pour son rôle, fait partie d’une liste désormais assez longue d’actrices ayant incarné des femmes présidentes des États-Unis.

Qu’elle se placarde sur petit ou grand écran, la fiction, comme souvent, a emprunté un chemin qui dépasse largement le réel et ses prévisions. Le réel, qui s’est bien gardé d’élire Hillary Clinton en 2016, ne lui a pas encore emboîté le pas. Pourtant, depuis la fin des années 2000, le nombre de rôles de femmes présidentes a dépassé celui accumulé au cours des sept décennies précédentes. À l’heure où une femme, Kamala Harris, a des chances, même minces, d’accéder au Bureau Ovale, les représentations des femmes présidentes, longtemps peu flatteuses, s’améliorent. Non pas pour les embellir, mais pour leur accorder toute la complexité qui leur revient, autant qu’à leurs homologues masculins.

L’Apocalypse

L’attrait de l’entertainment pour les femmes présidentes aux États-Unis n’est sans doute pas anodin. Mais il n’est pas nouveau. Durant le XXe siècle et la première partie du XXIe, il s’épanouit surtout dans des productions d’anticipation catastrophiste ou de science-fiction, comme si la présence d’une femme aux commandes ne pouvait être qu’un signe parmi d’autres de l’Apocalypse. Il faut remonter au muet pour trouver la première occurrence, dans The Last Man on Earth: une comédie post-apocalyptique signée John G. Blyston qui semble tout entière destinée à matérialiser un fantasme phallocrate. Les hommes ont été éradiqués du monde par une maladie curieuse, la masculinité, laissant une société dominée par des femmes. Il n’en reste qu’un, qui va vite devenir l’objet de convoitise. Car dans ce film qui fit l’objet de censure, les femmes sont sexuellement affamées. Et parfaitement incompétentes: la plus puissante d’entre elles, la présidente (qui n’apparaît qu’occasionnellement), préfère s’occuper de ses chats plutôt que du pays et de ses concitoyennes. Cet amas de clichés réunis en un seul personnage féminin inaugure une série de rôles présidentiels confiés à des actrices, plutôt pas franchement flatteurs. En 1953, dans le film de science-fiction Project Moonbase, Ernestine Barrier incarne une présidente dont l’identité de genre n’est révélée qu’à la toute fin pour le simple choc qu’une telle possibilité provoque sur le public. Dans Retour vers le Futur II (une présidente mentionnée sans son nom) ou les Simpson (La Dernière Tentation d’Homer en 1993 ou Bart to the Future en 2000), pour ne citer que les objets proéminents de la pop culture, les femmes ne doivent leur fonction de présidente qu’à leur présence dans un autre espace-temps.

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Par effraction

Les quelques tentatives pour normaliser l’éventualité d’un président non masculin aux États-Unis sont cantonnées à des séries annulées dare-dare (Hail to the Thief en 1985), des comédies loufoques (Mafia! en 1998) ou des vieux cartoon (Popeye, Betty Boop). Dans son livre Women and the White House: Gender, Popular Culture, and Presidential Politics (2012), l’universitaire et professeure en sciences politiques Lilly J. Goren indique que jusqu’au début des années 2000, la plupart des femmes installées dans le Bureau Ovale par Hollywood l’ont été par effraction, par ascension et non par élection. Parce que la chaise était soudain vide, pas parce qu’on a choisi de les y placer plutôt qu’un autre. La fin du film Mars Attacks! de Tim Burton montre une Amérique qui survit sur les décombres de l’invasion martienne ayant emporté au passage le président Dale, son épouse et son cabinet. Sa fille, Taffy, incarnée par Natalie Portman, prends sa place pour célébrer héros et survivants. Pour parfaitement inconstitutionnelle qu’elle soit, cette issue est montrée comme une fin heureuse. À défaut d’un nouvel espoir, elle est au moins la promesse qu’un changement de ton est à l’œuvre. Demeure toujours cette idée que les femmes n’accèdent pas à l’investiture pour leurs compétences propres. Et si tel est le cas, elles y arrivent en toute fin d’histoire. Comme si assurer la complexité d’un mandat demeurait, pour une femme, hors de la portée imaginaire des scénaristes.

Elizabeth Marvel dans la peau d’Elizabeth Keane (Homeland, 2017) © Showtime

Incompétentes comme des hommes

Si cette dynamique se maintient peu ou prou à travers les personnages de Selina Meyer dans Veep, l’empoisonneuse Caroline Reynolds dans Prison Break, Claire Underwood (Robin Wright) dans House of Cards, ces femmes qui accèdent à la présidence -parce qu’un homme a choisi de ne plus y être, a commis une faute ou parce que l’une d’elles en a commandité le meurtre- ont un plan plus ou moins prémédité. Même gaffeuses ou sociopathes, elles ont désormais le droit, devant la caméra, d’être ambitieuses, bosseuses et pas uniquement opportunistes ou incompétentes. Dans le sillage de Geena Davis, archiconvaincante en 2006 dans la pourtant éphémère série Commander in Chief (2005-2006), une série de rôles plus complexes sont écrits pour les actrices. Surtout depuis le premier mandat d’Obama. Comme si une résistance symbolique avait sauté en faveur de plus de diversité. Sur le petit écran, on voit Cherry Jones dans 24 et son téléfilm spin off, Tea Leoni dans Madam Secretary, Elizabeth Marvel dans Homeland, ou encore Alfre Woodard dans State of Affairs véhiculer, entre 2008 et 2021, des images de présidentes bien en place. Au cinéma aussi, Charlize Theron dans Long Shot (2019), Uma Thurman dans Red, White & Royal Blue (2023), et même la très “MAGA compatible” Meryl Streep dans Don’t Look Up (2021) évoquent, au-delà des tonalités comiques ou dramatiques, une perception que ce qui est montré à l’écran colle avec un réel plausible. Qu’elles soient compétentes ou non, indignes et calculatrices, intègres et combatives, ridicules ou bosseuses, elles ne le sont ni plus ni moins que les hommes qui se sont succédé depuis des décennies à la Maison-Blanche.

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