Good One, un road movie père-fille moins sage qu’il n’y paraît

Le premier long métrage d’India Donaldson plante désormais sa tente en salle. Entretien sur fond de relations père-fille. © Collection ChristopheL via AFP

L’an dernier, Sundance et Cannes sont tombés sous le charme de Good One. Le premier long métrage d’India Donaldson plante désormais sa tente en salle. Entretien sur fond de relations père-fille.

«Ecouter, c’est aussi participer», déclare India Donaldson à mi-parcours de notre conversation à propos de Good One, son premier long métrage chaleureusement accueilli l’an dernier dans les festivals. Une déclaration qui pourrait résumer non seulement son film, mais aussi toute son approche. Car tandis que l’industrie cinématographique apprend aux femmes à parler plus fort et à crier plus souvent «Coupez!», la réalisatrice opte pour une voie plus silencieuse. Dans son road movie père-fille, regarder n’est pas un acte passif, plutôt un geste de résistance.

Le scénario tient sur un coin de nappe: une jeune fille de 17 ans, Sam, part camper avec son père divorcé et le meilleur ami de ce dernier. Les montagnes Catskill –à une centaine de kilomètres au nord de New York– servent de décor, mais les véritables sommets et abîmes résident dans les interactions entre les personnages. Dès le début, on comprend qu’il ne s’agira pas d’une randonnée insouciante mais plutôt d’un champ de mines en chemises de flanelle.

Sam –incarnée par Lily Collias– parle peu, mais enregistre, observe, pèse. «Même si elle a moins de dialogues, son point de vue a toujours été ma priorité, confie la réalisatrice. La caméra prend son parti, même lorsque les hommes donnent libre cours à leurs instincts alpha ou dévoilent leur vulnérabilité de manière maladroite.»

Le malaise est ainsi profondément enraciné dans Good One, «un film très personnel, mais pas pour autant autobiographique». Les deux hommes n’ont rien de monstres. Ils sont polis, drôles, parfois même sensibles. Mais leur présence pèse plus lourd que leurs paroles. «Ce qui m’intéressait, ce sont ces situations où les gens ne réalisent pas à quel point ils sont dominants, détaille India Donaldson. Pas les clichés de la violence masculine –de nos jours, on qualifie rapidement les hommes de toxiques– mais ce pouvoir banal, silencieux, qui reste hors du champ parce qu’il semble normal. Dans une culture cinématographique qui ne prend les femmes au sérieux que lorsqu’elles souffrent, crient ou sauvent, j’ai voulu créer un personnage qui reste. Qui s’assied, qui regarde. Et qui, à sa manière, garde le contrôle.»

«Chantal Akerman m’a fait comprendre à quel point l’immobilité peut être puissante.»

Histoire de filiation

Cette sensibilité ne sort pas de nulle part. Le père d’India n’est autre que Roger Donaldson, à qui l’on doit Cocktail, avec Tom Cruise en barman ambitieux, No Way Out, un thriller sur la guerre froide dans lequel Kevin Costner s’embourbe dans un labyrinthe de mensonges, ou encore The World’s Fastest Indian, où Anthony Hopkins enfourche une vieille moto. «Il y a toujours eu une caméra à la maison, évoque-t-elle, et j’avais le droit de m’en servir, à condition d’y faire très attention.»

Enfant, elle réalisait déjà de petits films dans le jardin, souvent sans intrigue, mais avec un sens aigu de l’atmosphère. Pendant le tournage de Good One, elle envoyait parfois à son père une scène brute. «Son retour? « Tu dois retourner cet arbre, la lumière ne va pas. » Ce genre de remarques. Je ne l’ai pas toujours écouté. (rires) Mais la véritable leçon était plus profonde: précision, patience, sens du lieu. Des choses qu’on n’apprend pas à l’école de cinéma, mais dans l’ombre de quelqu’un qui pense en images depuis toujours.»

Inévitablement, le film parle aussi des pères. India Donaldson s’est largement inspirée de conversations avec le sien pour écrire les dialogues entre Sam et son paternel. «Pas parce qu’il est identique au personnage, mais parce que je connais son rythme verbal. Ce ton mi-sérieux, mi-hésitant. L’homme qui part d’une bonne intention, mais ne se rend compte que rarement comment il est réellement perçu. Le père du film est complexe: aimant, mais aveugle à son ascendant. C’est précisément cela qui le rend si reconnaissable.»

Silence chargé

Good One n’est en aucun cas un essai abstrait. Le langage visuel de Donaldson est concret, accessible, sensuel. On pense à la matérialité de Kelly Reichardt, au malaise social de Joanna Hogg –mais avec la texture de quelqu’un qui a aussi regardé Chantal Akerman. «Akerman m’a fait comprendre à quel point l’immobilité peut être puissante. Tout ce qu’on peut exprimer par ce que l’on ne montre pas.» L’influence de l’art textile, et plus précisément d’Anni Albers, est elle aussi palpable. «Tisser, c’est structurer sans élever la voix. Le cinéma, c’est pareil, non? Une sorte de design silencieux.»

Qu’India Donaldson –qui a étudié l’art textile à Londres avant de travailler dans la mode– fasse ses débuts à une époque où le discours féministe au cinéma est souvent bruyant, voire criard, rend Good One d’autant plus remarquable. «Je ne me vois pas comme une porte-drapeau, dit-elle. Mais il se trouve que dès que vous montrez une jeune femme à l’écran, les gens y projettent une charge politique. Mon féminisme ne passe pas par des slogans, mais par des choix. Qui a droit à un gros plan? Qui peut se taire sans que ce soit perçu comme une faiblesse? Voilà ce qu’est l’empowerment

Good One n’est donc pas un film qui submerge. C’est un film qui chatouille, qui serpente doucement, et ne commence à vibrer qu’après coup. «Je voulais réaliser un film dans lequel le silence n’est pas vide, mais chargé. Comme un regard que vous continuez de sentir, même lorsque vous ne le voyez plus.»

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