
Gary Oldman à propos de Parthenope: «Les films de Sorrentino ont quelque chose de magique»
Gary Oldman s’installe sur la terrasse d’un hôtel de luxe à Cannes. Il vient d’assister à la première de son dernier film, Parthenope, une fresque sensuelle mais excessivement ornementale réalisée par Paolo Sorrentino. Costume beige, lunettes de soleil, longs cheveux gris tombant sur ses épaules, il affiche l’élégance d’un dandy qui a survécu à ses années d’excès et qui embrasse désormais la sérénité de son âge.
A 66 ans, le caméléon du cinéma fait partie depuis quatre décennies de l’élite des acteurs britanniques. De son rôle décisif en idole punk dans Sid and Nancy au comte mélancolique du Dracula de Bram Stoker. Du vieil espion désabusé de La Taupe (Tinker Tailor Soldier Spy) au Winston Churchill tourmenté de Darkest Hour –un biopic qui lui a valu un Oscar en 2017. Avec son rôle d’agent misanthrope du MI5 dans la série Slow Horses, il a su aussi, ces dernières années, illuminer le petit écran.
Dans Parthenope, Gary Oldman incarne l’écrivain américain John Cheever, lauréat du prix Pulitzer qui, dans les années 1950 et 1960, a dépeint les revers du rêve américain dans ses nouvelles. Dans le film, Cheever est l’auteur fétiche du personnage-titre, une jeune femme qui, dans l’imagination incandescente du réalisateur de Il Divo, La grande bellezza et The Hand of God, incarne l’essence même de Naples –ou plutôt Parthenope, comme l’avaient nommée les Grecs anciens. Bienveillant mais perpétuellement embrumé par l’alcool, Cheever incarne à la fois la littérature que Parthenope admire et un avertissement sur le prix à payer pour une vie consacrée à l’art et à l’autodestruction.
«J’ai longtemps vécu entre deux mondes, confesse Gary Oldman en repensant à son passé tumultueux, marqué par un père alcoolique qui a abandonné sa famille lorsqu’il avait 7 ans. J’ai fait des erreurs. J’ai longtemps eu peur de la stabilité, d’une vie normale. Cela m’a souvent mis dans des situations compliquées, que ce soit avec les femmes ou avec l’alcool. Mais c’est aussi ce qui fait de nous des êtres humains. Et peut-être que c’est aussi ce qui m’a mené jusqu’ici. Aujourd’hui, cela fait des années que je suis sobre. Ce n’était pas un choix pour moi. C’était une question de survie.»
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.
Dans Parthenope, vous incarnez un homme alcoolique marqué par la tristesse, mais aussi par une profonde solitude. Comment l’avez-vous abordé?
La solitude, ce n’est pas quelque chose que l’on peut imiter, il faut l’avoir ressentie. Autrefois, ma vie était assez solitaire. Les acteurs mènent souvent une existence semblable à celle des rock stars: toujours sur la route, toujours en tournage. Pendant des années, j’ai vécu avec mes valises, d’hôtel en hôtel. Mon beau-fils, qui a 16 ans, trouve qu’une nuit à l’hôtel est une chouette aventure, mais pour moi, c’était mon quotidien. On peut être dans une pièce pleine de monde et se sentir complètement esseulé –un paradoxe que les alcooliques comprennent mieux que quiconque. Mais vieillir en tant qu’acteur a ses avantages. Notre expérience s’enrichit, et cela se reflète dans votre travail. On comprend mieux le comportement humain, ce qui motive les gens, et cela nous aide beaucoup à construire un personnage. C’est presque comme si, en tant qu’acteur, on se constituait un immense archivage d’émotions et de souvenirs dans lequel on peut puiser en permanence.
Après toutes ces années dans l’industrie du cinéma, ressentez-vous encore la même passion pour le jeu d’acteur qu’à vos débuts?
Je mentirais en disant que c’est toujours facile, mais ça reste une aventure. Chaque rôle est un défi, et c’est ce que j’aime dans ce métier. On ne peut pas fonctionner en pilote automatique. Il faut continuer à se plonger dans ses personnages, continuer à chercher. J’ai joué des rôles qui m’ont transformé –Sid Vicious, Norman dans Léon, Winston Churchill– et c’est ce que je recherche encore aujourd’hui. Si un jour cela s’arrête, alors je saurai qu’il est temps de faire autre chose.
Que saviez-vous de John Cheever avant d’accepter ce rôle?
J’avais lu le scénario et je savais que c’était un écrivain américain important. C’est tout. En réalité, j’interprète plus une idée de Cheever que l’homme lui-même. C’est un archétype de l’écrivain solitaire et tourmenté. Il est à la fois un avertissement et un miroir pour Parthenope. Il est différent de Mank du film de David Fincher, où j’ai essayé d’incarner le plus fidèlement possible le scénariste Herman Mankiewicz. Ici, c’est le Cheever de Paolo. Mon rôle était de lui donner la bonne tonalité et la juste présence au sein de l’univers de Sorrentino.
En 1997, vous êtes passé derrière la caméra pour Nil by Mouth, un drame social brut et semi-autobiographique. Cela reste votre seule expérience de réalisation. Pensez-vous y revenir?
J’essaie depuis des années. Après Nil by Mouth, j’avais un scénario, mais le studio voulait imposer un acteur que je ne trouvais pas adapté. Le projet est donc tombé à l’eau. Ensuite, j’ai travaillé pendant trois ans sur une adaptation de l’histoire des célèbres frères siamois Chang et Eng Bunker, mais ça n’a pas abouti non plus. Aujourd’hui, j’ai un projet en attente depuis onze ans sur le photographe Eadweard Muybridge, Flying Horse, mais je n’arrive pas à réunir le financement. C’est frustrant, car c’est une histoire fascinante. Muybridge n’était pas seulement un pionnier de la photographie, il a aussi été impliqué dans une affaire judiciaire retentissante après avoir abattu l’amant de sa femme. Il y a tout: l’art, la science, le meurtre, la justice. Mais si on ne fait pas un film de super-héros, c’est compliqué de trouver des financements. On pourrait croire que Hollywood raffole des histoires de génies et de figures tragiques, mais apparemment, seulement s’ils portent une cape.
Même avec votre nom et votre renommée, c’est compliqué?
Apparemment. Je pourrais sans doute tourner le film pour douze ou quatorze millions, mais j’ai besoin de 30 millions. Je refuse de faire des compromis et de devoir dire après coup: «Désolé pour cette scène, mais on n’avait pas le budget.» Il faut raconter l’histoire comme elle doit l’être, ou pas du tout.
Est-ce devenu plus difficile d’obtenir des financements?
Absolument. Aujourd’hui, soit on obtient un million de dollars, soit 200 millions. Il n’y a presque plus d’entre-deux. Et on vous dit: «On ne fait plus de films en costumes, ça ne correspond pas à notre modèle économique.» Avant, je le prenais personnellement, mais aujourd’hui, je me dis: ça se fera ou ça ne se fera pas. Tout ce que je peux faire, c’est proposer un bon scénario. Et peut-être que ça arrivera un jour. Peut-être pas. C’est le destin de beaucoup de projets. Mais la passion est toujours là. Je continue de rêver aux films que je veux réaliser. Ça ne m’étonnerait pas qu’à 80 ans, je sois encore en train d’essayer de faire aboutir un projet.
Vous êtes exigeant quant au financement de vos projets, mais ici, vous jouez un petit rôle dans un film d’auteur européen. Pourquoi?
Simplement parce que je voulais travailler avec Paolo Sorrentino. J’admire ses films depuis des années. Il divo, La grande bellezza, Youth. Faut-il d’autres arguments? Lors d’un festival sur la côte amalfitaine, on m’a demandé avec quel réalisateur j’aimerais encore travailler. J’ai répondu immédiatement: «Sorrentino.» Paolo l’a entendu, il a été flatté et il m’a invité. J’aurais tout joué, même le Père Noël ou le pape. Mais il m’a offert ce rôle, et le scénario était magnifique. Les films de Sorrentino ont quelque chose de magique. Sa cinématographie, son sens du rythme et de la poésie, sa façon de célébrer l’imperfection humaine… Tout cela m’attirait. Même si ce n’était qu’un petit rôle, ça avait une valeur particulière. Et soyons honnêtes, passer quelques jours à Capri, ce n’est pas vraiment une punition. (rires)
«J’ai joué des rôles qui m’ont transformé, et c’est ce que je recherche encore aujourd’hui.»
Ce n’est probablement pas non plus une punition d’être engagé depuis plusieurs saisons dans la série à succès Slow Horses. Ou est-ce que cela limite-t-il vos choix?
Oui, parfois. J’ai déjà dû refuser des films parce que leurs tournages n’étaient pas compatibles avec le calendrier de Slow Horses. Mais j’adore cette série, les scénaristes et les acteurs. C’est ma retraite. Nous tournons actuellement la saison 5, et la sixième est déjà en cours d’écriture. Je suis heureux de la faire. Je pense que c’est l’un des meilleurs rôles de ma carrière. C’est rare d’avoir l’opportunité de jouer un personnage aussi riche et de le développer saison après saison. Et soyons honnêtes: si j’avais joué ce rôle il y a 20 ans, j’aurais probablement déjà démissionné trois fois par ennui. (rires) Mais aujourd’hui, je vois la valeur d’un projet qui s’inscrit dans la durée.
Les films de Sorrentino tournent souvent autour de la beauté et de la fugacité. Qu’est-ce que la beauté pour vous?
La beauté, c’est l’honnêteté. Le poète romantique John Keats a écrit: «Beauty is truth, truth beauty.» C’est ça. Si quelque chose n’est pas sincère, ça se ressent. La gentillesse est aussi une forme de beauté, surtout dans un monde rempli de négativité. Tout le monde est si prompt à être cruel, alors que la vraie beauté réside dans la douceur et l’empathie. C’est quelque chose que j’apprécie de plus en plus en vieillissant. Il y a quelque chose de spécial dans ces moments où quelqu’un fait un geste sans arrière-pensée, simplement parce que ça lui semble juste. C’est ça, la beauté.
Vous protègez-vous de cette négativité?
Absolument. Je vis à Palm Springs, en Californie. Dans le calme, entouré uniquement de montagnes et d’un ciel immense. Pas de réseaux sociaux, pas d’agitation. Pendant la pandémie, je ne suis pas sorti de chez moi pendant trois mois. Le jour où j’ai enfin ouvert ma porte d’entrée, j’ai regardé dans la rue et je me suis dit: «Ah, tout est encore là.» Puis j’ai refermé la porte. Et en fait, ça m’allait très bien. Parfois, le monde est plus beau quand on le regarde d’un peu plus loin.
Parthenope
Drame de Paolo Sorrentino. Avec Celeste Dalla Porta, Luisa Ranieri, Gary Oldman. 2h17.
La cote de Focus: 1,5/5
Il fut un temps où Naples s’appelait Parthenope. C’est le titre du nouveau film de Paolo Sorrentino, et le nom de son héroïne. Enfant de bonne famille, Parthenope aspire à choisir son destin, à vivre ses désirs sans s’aliéner en réalisant ceux des autres. Magnifique créature née de la baie napolitaine telle une Vénus réincarnée, elle avance dans l’existence éprise de liberté, d’un été d’insouciance à une fin de carrière célébrée à l’université, en passant par quelques velléités artistiques. On aimerait l’aimer, Parthenope, mais le regard de Sorrentino la fige, tout occupé à magnifier sa plastique comme celle de sa ville bien-aimée. Derrière l’esthétisation à outrance, Parthenope demeure terriblement transparente, laissant le spectateur étranger à toute passion qui pourrait l’animer.
A.E.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici