Ernest et Célestine, fable magique et sombre
Associé aux auteurs de Panique au village, Benjamin Renner transpose l’univers de Gabrielle Vincent à l’écran. Et en tire un film d’animation accueillant comme un cocon douillet mais pas dénué d’aspérités pour autant…
Nés dans les années 80 de l’imagination de l’auteure bruxelloise Gabrielle Vincent, les albums d’Ernest et Célestine ont, depuis, accompagné plusieurs générations d’enfants, entraînés par la délicatesse de dessins à l’aquarelle dans un monde où un ours et une souris sont unis par une complicité improbable. Venant 30 ans plus tard, Ernest et Célestine, le film (lire la critique), restitue la singularité de cet univers qu’il décline en une aventure de cinéma frappée du sceau d’un merveilleux enchanteur mais pas dénuée d’aspérités pour autant: auteur du scénario, le romancier Daniel Pennac a introduit une touche de noirceur dans le monde de Gabrielle Vincent, là où Stéphane Aubier, Vincent Patar et Benjamin Renner, maîtres d’oeuvre, se le sont réapproprié avec bonheur.
Si l’on ne présente plus Aubier et Patar, auteurs du Pic Pic André Shoow et autre Panique au village, et associés au projet au titre de « coréalisateurs tuteurs » suivant l’expression du producteur Didier Brunner, Benjamin Renner n’avait pour expérience antérieure qu’une poignée de courts métrages tournés à l’école de réalisation de La Poudrière, à Valence. La rencontre avec l’univers d’Ernest et Célestine, à l’invitation de la production, en 2008, a constitué « un gros choc, confesse-t-il. Cela m’a plu au premier coup d’oeil, je m’y suis complètement retrouvé. Un peu comme lorsque la découverte d’un artiste inconnu vous ouvre, tout à coup, une porte immense. » Et d’évoquer l’attrait irrésistible exercé, pêle-mêle, par le trait épuré, la palette des aquarelles et les personnages anthropomorphiques, toutes qualités propres à aiguiser son désir d’adaptation: « J’avais envie de retrouver en animation ce côté très jeté. J’ai appris à faire de l’animation de manière très personnelle, et toujours dans la logique d’aller très vite, comme du croquis. Je m’y retrouvais donc tout à fait, pouvoir réaliser un film entier avec cette technique était une très belle opportunité. »
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Dans le prolongement des premiers développements, Renner se voit en effet associé au pilote d’Ernest et Célestine. « Je m’occupais de toute l’adaptation graphique. On avait créé une équipe qui fonctionnait, avec moi en tant que réalisateur, et Marisa Musy en tant que directrice artistique. C’est alors que Didier Brunner m’a demandé de faire le film. Comme je ne me voyais pas prendre les rênes d’un long métrage, il m’a proposé de travailler avec Stéphane Aubier et Vincent Patar. » Si la suggestion le laisse dans un premier temps un brin perplexe -après tout, la technique d’animation de figurines à l’oeuvre dans Panique au village n’est pas celle d’un dessin animé classique-, Renner n’aura bientôt qu’à se féliciter de cette collaboration. « On s’est très bien entendus, parce que même si on avait des techniques très différentes, on avait aussi un respect très fort les uns des autres. Et surtout, nous étions très exigeants, et on n’hésitait pas à dire si une scène fonctionnait ou non. On était tous sur la même longueur d’ondes, on voulait les mêmes choses pour le film. » La répartition des tâches se fera, de l’avis unanime, de façon assez naturelle, Aubier et Patar permettant aussi à un Renner plutôt sensible à la tendresse de l’histoire de se décomplexer par rapport à l’humour. Tout bénéfice pour la personnalité du film.
Au-delà des préjugés
Laissant sa magie opérer en douceur, Ernest et Célestine n’en finit d’ailleurs pas de séduire. Par sa palette graphique, déjà, qui concilie animation par ordinateur et aquarelle. « On voulait avoir la sensation que le film avait été dessiné, avec quelque chose de vraiment accessible », poursuit Benjamin Renner. D’où, encore, le sentiment de confort se dégageant de la toile, superposé à une impression d’harmonie d’ensemble que n’entament pas les quelques variations apportées à la partition. Au dessin caractéristique de Gabrielle Vincent se sont greffées des inspirations multiples, en effet. Telle scène emprunte ainsi aux Silly Symphonies de Walt Disney; d’autres citent les productions des studios Ghibli, Renner évoquant encore L’été de Kikujiro de Kitano, reflet d’une sensibilité japonaise qui n’écrase pas pour autant un film n’appartenant qu’à ses auteurs.
De la page à l’écran, le contexte des histoires d’Ernest et Célestine s’est pour sa part étoffé. On peut trouver dans l’histoire qu’a imaginée Daniel Pennac l’écho, particulièrement imagé, d’un Fritz Lang, par exemple. Chemin faisant, et sans s’aliéner pour autant les jeunes spectateurs, voilà dès lors que le film se met à parler aussi aux adultes, et pas seulement parce qu’il convoque des rémanences d’enfance. « On ne voulait pas être que dans la tendresse, conclut Benjamin Renner. Ce n’était pas le seul propos du film. Il y a, derrière tout cela, la violence entre deux mondes qui se détestent, et une amitié très sincère qui est vraiment là. En adaptant Gabrielle Vincent, on peut tomber dans le piège de la mièvrerie. C’est justement ce qui est intéressant avec Daniel Pennac: il a renforcé tout cet univers en créant un monde très sombre qui va déboucher sur quelque chose d’idyllique à force de construction. Et en montrant que c’est un vrai effort de passer outre ses préjugés. » Exemplaire, l’amitié d’Ernest et Célestine n’en a que plus de prix…
Jean-François Pluijgers, à Cannes
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