Emmanuelle Nicot, réalisatrice de Dalva: « Je me suis dit qu’il fallait absolument que l’on en parle »
Avec Dalva, son premier long métrage, Emmanuelle Nicot retrace le parcours d’une jeune fille de 12 ans -l’exceptionnelle Zelda Samson- soustraite à l’emprise incestueuse de son père. Fort.
Présenté en mai dernier à la Semaine de la Critique cannoise, Dalva, le premier long métrage d’Emmanuelle Nicot, devait y faire sensation, remportant notamment le prix de la presse internationale. La réalisatrice française y suit une gamine de 12 ans abusée par son père et qui, ce dernier arrêté et bien qu’elle s’enferme dans le déni, va devoir apprendre à vivre comme une jeune fille de son âge. Un parcours chahuté, incarné avec force par Zelda Samson, cœur de ce drame que la cinéaste filme avec une intense et suffocante justesse.
De la séparation à la libération
Dalva, puisque c’est d’elle qui s’agit, ne vient bien sûr pas de nulle part, Emmanuelle Nicot évoquant une mosaïque d’éléments déclencheurs: “Il y a déjà la thématique de l’emprise, qui m’est assez personnelle, que j’avais abordée dans mes courts métrages (RAE, son film de fin d’études à l’IAD en 2012, et À l’arraché, quatre ans plus tard, NDLR) et que j’avais envie d’explorer vraiment à fond dans la relation parent-enfant, explique-t-elle. Avant d’étayer le propos: J’ai fait une immersion dans un centre d’accueil d’urgence, dans l’est de la France, étant intéressée par cette population des enfants placés -mon père était éducateur et mon frère l’est aussi. J’y ai rencontré plusieurs enfants ayant tous une problématique assez commune: ils avaient été placés en foyer pour cause de maltraitance avérée par leur famille. Et ils continuaient à faire bloc avec celle-ci contre la justice. La souffrance qu’ils vivaient était beaucoup plus générée par le fait d’être placés que par ce qu’ils avaient vécu. C’est aussi dans ce foyer que j’ai rencontré Samia et Dimitri, qui sont interprétés par d’autres dans le film, mais qui sont des enfants avec qui j’ai développé une amitié extrêmement puissante, et que je continue à voir aujourd’hui. On a passé six ans ensemble, et j’ai découvert tout le parcours qu’ils faisaient entre ce moment où ils sont séparés de leurs parents et le début de leur libération.”
Viendra s’y greffer une histoire rapportée par son entourage: “J’ai une amie dont le père est éducateur. Il travaille avec la police pour extraire des enfants de leur domicile quand il y a suspicion de maltraitance. Un jour, il a été appelé pour s’occuper d’une petite fille qui avait 5 ou 6 ans, et vivait seule avec son père avec suspicion d’inceste. Et il s’est retrouvé face à une enfant qui était tellement petite, mais qui, en même temps, était tellement sensuelle, sexuée, et déjà dans un jeu de séduction par rapport à lui. Je me suis demandé qui serait devenue cette petite à 12 ans, à l’âge des premiers émois, des premières amours, de la puberté, et j’ai eu envie de raconter cette histoire.”
Deux filles aux antipodes
Dalva était née, même si quatre ans et demi seront nécessaires à l’écriture, passés à nourrir une démarche quasi documentaire tout en digérant les écueils du film à thème pour privilégier une expérience viscérale. Un cap maintenu tout du long, Emmanuelle Nicot ayant tenu à rester concentrée exclusivement sur son héroïne et son parcours, “cette déconstruction, comment tu es à la base objet, et là, pour le coup, objet du désir d’un père, et comment tu redeviens un sujet”. Son incontestable réussite, le film la doit, bien sûr, à la rigueur de son approche comme à la vigueur de sa mise en scène. Elle tient aussi à la composition, extraordinaire, de Zelda Samson, des airs de Simone Signoret quand elle s’habille, se maquille et se vit comme une femme; un naturel déconcertant une fois qu’elle entreprend de se libérer de l’emprise.
Pour trouver la perle rare, Emmanuelle Nicot s’est appuyée sur son expérience de directrice de casting sauvage. “ça m’a clairement aidée, parce que je savais, en moi, comment procéder pour rechercher Dalva. La question du casting sauvage, c’est qu’il faut que tu trouves des gens qui ressemblent le plus possible au personnage pas par rapport à une histoire qu’ils ont vécue, mais par rapport à ce qu’ils dégagent. Et donc, pour Dalva, je savais que je cherchais une jeune fille de classe moyenne, voire aisée, avec quand même une certaine maîtrise du langage, et qui ait aussi une façon de se tenir, un port de tête, pour qu’on n’ait pas à composer toute cette petite femme qu’est Dalva. J’ai déposé des annonces dans des centres équestres, dans des écoles de danse classique, de musique, des académies de théâtre pour la trouver. Et pour Samia -une adolescente au caractère bien trempé qu’elle rencontre dans le foyer où elle a été placée, NDLR-, je savais qu’il fallait procéder tout à fait autrement, que je fasse appel à des éducateurs de rue, que j’aille à la sortie de collèges de la dernière chance, parce que je cherchais deux jeunes filles complètement aux antipodes. Tant Zelda Samson que Fanta Guirassy, ce sont deux filles pour qui j’ai eu un coup de foudre absolu quand je les ai rencontrées. C’était une évidence que c’était elles, et personne d’autre.” C’est encore en cours de casting qu’un autre élément a frappé la cinéaste: “Quand j’ai envoyé l’annonce, je n’ai jamais parlé d’inceste. J’ai reçu des photos, j’ai fait un tri, j’ai demandé des tapes, j’ai refait un tri, et puis j’ai rencontré les filles. J’ai souhaité appeler tous les parents, un à un, pour leur expliquer que mon film parlait d’inceste. Et dans 99% des cas, j’ai eu la même réponse: “On va en parler à notre fille, parce qu’en fait, ce mot, elle ne le connaît pas.” Ça a été un choc pour moi, mais moi aussi, j’ignorais ce que ce mot voulait dire quand j’étais enfant, alors qu’il y a quand même deux enfants par classe qui sont victimes d’inceste. Ça m’a donné des ailes pour faire le film: je me suis dit qu’il fallait absolument que l’on en parle…” Une urgence qui crève d’ailleurs l’écran.
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