Après quatre saisons de Sex Education, Emma Mackey continue heureusement à briller sur grand écran. Elle nous parle de son nouveau film Hot Milk, sa carrière et son indéfectible lien avec son pays natal, la France.
Elle est devenue mondialement célèbre en incarnant Maeve Wiley, la bad girl cinglante de Sex Education, hit de Netflix où amour adolescent, désir et malaises s’entremêlent dans une fête sensuelle et décomplexée. Mais Emma Mackey, 29 ans, n’avait aucune envie de rester éternellement coincée sur les bancs, même fictifs, de l’école. Après quatre saisons, elle a éteint son ordinateur portable, jeté son agenda aux oubliettes, et est partie à la recherche de quelque chose qui ne sente ni le lubrifiant ni les hormones adolescentes.
Ce «quelque chose» fut Barbie, dans lequel elle interprète le rôle secondaire de Barbie physicienne, une scientifique glaciale au sourire hollywoodien et au texte quasi inexistant. La réalisatrice Greta Gerwig lui a confié ce rôle en raison de sa ressemblance frappante avec l’actrice principale Margot Robbie, ce qui continue d’ailleurs à provoquer parfois quelques confusions. Mais son talent parle de lui-même. «J’ai dit à mon agent: dois-je peut-être écrire une lettre à Greta?, raconte Mackey. Si nécessaire, je jouerai un arbre. Le tournage donnait l’impression d’un camp pour adultes passionnés et brillants dans leur travail, à commencer par Margot et Ryan (Gosling). Notre mission: faire rire Greta. Le meilleur job du monde.»
Aujourd’hui, place à Hot Milk, un film indépendant plus modeste et plus capricieux, dans lequel Mackey révèle une facette bien plus sérieuse. Pas de satire, ni de paillettes, mais une mère autoritaire en fauteuil roulant, une relation lesbienne toxique, des hormones en ébullition et des traumatismes non résolus, le tout sous un soleil espagnol qui semble pourtant glacial. «Je voulais faire quelque chose de difficile, ambigu et inconfortable. Hot Milk cochait toutes les cases.»
L’amour comme prison
Nous rencontrons Mackey à l’hôtel Adlon à Berlin, où le film a été présenté en première lors de la dernière Berlinale, en février. Dans cet antre du luxe, situé tout près de la porte de Brandebourg, histoire et glamour se côtoient depuis le début du XXe siècle. Pourtant, Mackey apparaît remarquablement détendue, en jean et blazer oversize, comme si elle pouvait à tout moment se fondre dans le rôle d’une jeune femme cherchant à fuir sa mère.
Dans Hot Milk, elle incarne Sofia, une jeune femme empêtrée dans une thèse qu’elle n’arrive pas à terminer. Elle vit en huis clos avec sa mère psychologiquement instable (Fiona Shaw, délicieusement venimeuse) dans un village côtier espagnol. Là, elle fait la connaissance de l’énigmatique Ingrid (Vicky Krieps, révélée notamment dans Phantom Thread ) et quelque chose s’embrase: de l’amour peut-être. Ou une forme de libération? «Vicky m’a regardée dans la première scène et j’ai rougi. Mon cerveau s’est dit: c’est Sofia qui tombe amoureuse. Mais mon corps l’avait déjà compris. (rire gêné)»
Le film, adapté du roman de Deborah Levy, a reçu un accueil mitigé à la Berlinale. Surprenant, au vu du casting prestigieux, du matériau littéraire reconnu et du fait que Rebecca Lenkiewicz –dramaturge primée et scénariste d’Ida et Désobéissance– en assurait la réalisation. «Nous avions 23 jours de tournage et beaucoup de vent. Tout devait être rapide, intense, brut. Comme si l’on répétait une pièce de théâtre sur un ferry», explique Mackey. Elle reste pourtant satisfaite de l’expérience: «C’est un film sur ce qu’on ne dit pas. Sur une mère qui vous enferme, et une fille qui veut s’échapper sans jamais vraiment y parvenir. Je trouve cela plus intéressant qu’un récit joliment bouclé.»
Qu’est-ce qui l’a marquée pendant le tournage? «Que l’amour peut parfois ressembler à une clôture à travers laquelle on peut regarder. On se dit: ici, je suis en sécurité. Mais en réalité, on est prisonnier.»
Je n’ai pas d’Excel avec un plan de carrière. Je choisis ce qui me met au défi.
Croissants tout chauds
Mackey a grandi dans la ville provinciale française de Sablé-sur-Sarthe, où son père français était directeur d’école, dans un foyer parfaitement bilingue. «Mais à la maison, tout était britannique. Ma mère préparait des scones, je regardais Fawlty Towers (NDLR: sitcom signée notamment par le Monty Python John Cleese) et j’écoutais la BBC. L’Angleterre, c’était un pays magique, un cadeau. Deux fois par an, on allait à Birmingham, voir ma famille. C’était nos vacances. (rire)»
Après ses études de littérature à l’université de Leeds, elle a décidé de se lancer dans la comédie. «J’ai dit à mes parents: je pars m’installer à Londres et je me débrouille. Ensuite, tout s’est enchaîné comme un jeu de dominos. Avant même de m’en rendre compte, j’avais un coach d’acteur, un agent, des castings –et début 2018, Sex Education. Tout est allé ridiculement vite.»
Depuis, elle alterne sans effort entre le cinéma grand public et le cinéma d’auteur, entre Barbie et Beckett. Elle a joué dans la biographie française Eiffel (2021), le biopic britannique Emily consacré à Emily Brontë (2022), et navigue avec la même aisance entre l’anglais et le français. «Jouer en français, c’est différent. Les phrases sont plus précises, plus formelles. Parfois, on se dit: est-ce que quelqu’un parle vraiment comme ça? Mais j’adore jongler entre les deux. Ça me garde vive.»
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Elle se décrit comme une collectionneuse d’expériences. «Je n’ai pas d’Excel avec un plan de carrière. Je choisis ce qui me met au défi. Parfois, c’est une machine hollywoodienne comme Barbie, parfois, c’est une maison espagnole où le fauteuil roulant passe à peine par la porte, comme dans Hot Milk. Tout compte. On apprend des deux.»
Et avec ce bagage, Mackey semble lancée pour une grande carrière sur grand écran. Fin août, elle apparaîtra également dans Alpha, la nouvelle fable de body horror signée par la réalisatrice de Titane, Julia Ducournau. Ensuite viendra la dramédie Ella McCay, du vétéran hollywoodien James L. Brooks. Et l’an prochain, elle incarnera la Sorcière Blanche dans une nouvelle adaptation du Monde de Narnia, à nouveau sous la direction de Greta Gerwig.
Et la France, dans tout ça –où vit aussi son compagnon, le photographe Martin Aleman? «J’y vis de nouveau. Je fais la navette entre Londres et Paris. Ce n’est pas une fuite, c’est un retour au bercail. Dans ma « deuxième » famille. Avant, je pensais que je devais choisir entre le côté britannique et le côté français. Mais aujourd’hui, avec l’âge et la sagesse, tout semble s’équilibrer naturellement. Je n’ai plus besoin de choisir. Et si on s’organise un peu, on peut avoir des croissants tout chauds des deux côtés. (rires)»
Hot Milk
Drame de Rebecca Lenkiewicz. Avec Emma Mackey, Fiona Shaw, Vicky Krieps. 1h32.
La cote de Focus: 2/5
Hot Milk n’est ni le meilleur livre de Deborah Levy, ni le meilleur film tiré d’un de ses livres –pourtant Swimming Home, l’autre adaptation, n’était déjà pas brillant. Sofia accompagne sa mère handicapée dans le sud de l’Espagne, où elle espère se faire soigner. Dans la torpeur d’un été caniculaire, elle se laisse charmer par Ingrid, sorte de version bobo du prince charmant qui débarque sur la plage sur son cheval blanc. Si l’on comprend les intentions de Lenkiewicz (un double portrait de femmes complexes et ombrageuses), le résultat laisse perplexe, tant les personnages sont attendus sans pour autant être crédibles. On sauvera certes l’interprétation de Fiona Shaw, excellente, et d’Emma Mackey, mais la love story qui se déploie entre Sofia et Ingrid manque cruellement de chair et lasse par son caractère prévisible, tandis que l’affrontement final entre la mère et la fille laisse sans voix.
A.E.