Titre - De grandes espérances
Genre - Thriller
Réalisateur-trice - Sylvain Desclous
Casting - Rebecca Marder Benjamin Lavernhe, Emmanuelle Bercot
Sortie - En salles
Durée - 1h45
Critique - Jean-François Pluijgers
Sylvain Desclous met les idéaux d’une jeune femme s’apprêtant à entrer en politique à l’épreuve délicate des faits dans un impeccable thriller sous haute tension.
Empruntant son titre à un classique de Charles Dickens, De grandes espérances raconte une entrée en politique, celle de Madeleine (Rebecca Marder), une jeune femme brillante mue par la volonté de changer le monde. Et s’apprêtant, à cet effet, à passer le concours d’une grande école (l’École Nationale d’Administration, dissoute en 2021, pour le coup) avec son compagnon, Antoine (Benjamin Lavernhe), lorsqu’un incident échappant à leur contrôle vient compromettre cette ambition. Cette ébauche de scénario, elle a été inspirée à Sylvain Desclous par une mésaventure personnelle survenue il y a quelques années en Corse, comme il nous le racontait en janvier dernier à Tournai, dans le cadre du Ramdam, le festival du film qui dérange. “Ç’aurait pu très mal se terminer, et le point de départ du film, c’est ça, un accident qui va faire dérailler une voire deux trajectoires déjà toutes tracées. Ensuite, pour définir la trajectoire, la politique est venue assez rapidement, parce que c’est quelque chose qui me fascine, et que je trouve encore assez romanesque, avec beaucoup de souffle. J’aimais bien l’idée qu’une jeune femme à qui la vie tend les bras, qui est sincèrement engagée, convaincue et de bonne foi, puisse voir tout à coup son train “dérailler”, et se retrouver confrontée à quelque chose qui va la mettre à l’épreuve autant que ses idées et ce à quoi elle aspire.”
Le moteur d’un film se muant en un thriller suffocant où la tension a pour compagne une ambiguïté bienvenue, tandis que Madeleine aborde le chemin cahoteux conduisant aux allées du pouvoir dans le sillage de Gabrielle Dervaz (Emmanuelle Bercot), une élue socialiste. Si Sylvain Desclous a choisi de décliner cette histoire au féminin, c’est pour diverses raisons, explique-t-il: “Mon premier long métrage (Vendeur, en 2016, NDLR) mettait en scène un monde très masculin, avec une figure d’homme de 50 ans sur le déclin, son fils et une problématique de transmission. Je n’avais pas envie de recommencer, et d’avoir pour personnage principal un homme. C’était aussi un bon moyen de m’écarter du côté un peu autobiographique de l’histoire, puisque au-delà du fait divers qui m’est arrivé en Corse, j’ai fait moi-même des études de sciences politiques, et je me destinais plutôt à faire carrière dans l’administration. Je n’avais pas tellement envie de raconter ma vie, et je me suis dit que ce serait intéressant de prendre le complet contre-pied en faisant endosser toute cette trajectoire à un personnage féminin. C’était vraiment pour me déplacer et déplacer l’histoire.” Conséquence indirecte, le film permet à Rebecca Marder de déployer l’étendue de son talent, la comédienne, à l’affiche tout récemment de Mon crime, réussissant à restituer la complexité du personnage et de son parcours, non sans conférer un tour étonnamment lumineux au propos.
Une ligne ténue
Si le duo qu’elle forme avec Benjamin Lavernhe fonctionne au naturel, celui qu’elle compose avec Emmanuelle Bercot apparaît idéalement complémentaire. Non sans valoir au film d’arpenter la ligne ténue séparant l’idéal du nécessaire compromis dans l’exercice du pouvoir. “J’imagine que tout est question de dosage, observe le réalisateur. Je ne suis ni homme ni femme politique, donc je ne sais pas à quelle somme de compromis on est obligé de consentir quand on arrive aux manettes. L’enjeu total de la politique, c’est l’art du compromis, on ne peut pas y arriver tout seul, ou alors on gueule dans son coin, et on reste seul tout le temps. Les problématiques d’accession au pouvoir puis d’exercice du pouvoir dans une logique de responsabilité, que ce soit la distinction de Max Weber entre éthique de conviction et éthique de responsabilité, on voit bien qu’à un moment donné, on est obligé d’abandonner toute idée de pureté originelle, et de mâtiner ses idées, ses envies, ses désirs avec une dose plus ou moins grosse de réalisme, sinon ça ne marche pas.” Une question d’équilibre, Sylvain Desclous veillant pour sa part à préserver celui du film en se gardant aussi bien de la caricature facile sur le mode “tous pourris” que de l’excès d’angélisme, tout en ayant “envie d’être encore dans l’espoir et dans le réalisme. D’où le personnage d’Emmanuelle, dont on devine qu’elle a été une secrétaire d’État pleine de fougue, qui s’est pris des murs, des claques. Et qui, après s’être pris tous ces coups, s’est un peu rendue à l’évidence et a peut-être commencé à faire de la politique au sens où on l’entend dans la vie de tous les jours, à faire attention, à manœuvrer, à s’activer dans les coulisses pour faire passer autant que faire se peut ce qui reste de ses idéaux.”
Une élue de gauche, comme l’atteste notamment la photo de Lionel Jospin punaisée dans son bureau, pour un film dont l’ancrage réaliste dans le quotidien -voir notamment le conflit social qui s’y joue- est assurément l’un des points forts. À quoi De grandes espérances ajoute des enjeux moraux pas moins aiguisés, questionnant notamment l’adage voulant que la fin justifie (parfois) les moyens. “Est-ce que la fin justifie les moyens? Ça dépend quelle fin. Il n’est pas question là d’enrichissement personnel, ni de satisfaction d’ego, j’aime ce après quoi elle court. Si on pose la question autrement, est-ce que l’échelle des salaires de 1 à 20 mérite des couteaux dans le dos et des chausse-trappes aux adversaires pour qu’elle soit enfin appliquée? J’ai envie de dire oui. Après, on est au cinéma, et je prends ce film comme une fable aussi…”
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