David Fincher (The Social Network): « Je ne suis pas obsédé par Facebook »
Pour David Fincher, The Social Network n’est pas une oeuvre biographique sur le fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg. Il faut voir le film comme une fable sur la déconnexion, la solitude, l’avidité. Et la paternité d’un phénomène de société à 15 milliards de dollars. Entretien.
Il a travaillé sur les effets spéciaux du Retour du Jedi et d’un Indiana Jones. Clippé Madonna, Michael Jackson et les Stones. Réalisé deux films cultes des nineties (Fight Club et Seven) et sans doute avec Zodiac l’un des meilleurs thrillers des années 2000. Avec The Social Network, David Fincher s’attaque à la paternité de Facebook, signe une parabole sur la déconnexion, la solitude et l’avidité. Rencontre avec une bête de travail qui n’hésite pas à tourner 200 fois la même scène.
Quel rapport entretenez-vous avec Facebook?
David Fincher: Je ne l’utilise pas. Question suivante. Plus sérieusement, je ne suis pas obsédé par Facebook. Je ne suis pas intéressé par la manière dont ce film s’inscrit dans ma filmographie. Je ne vois aucune connexion entre Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, et le tueur de Zodiac. J’appréhende le passé différemment. Nous avons tous plusieurs portails dans notre vie, des portes et des fenêtres qui nous permettent de sortir de la pièce et de regarder au-dehors… Mais si vous n’avez pas cette étincelle qui vous fait prendre une photo avec votre téléphone et, quelques instants plus tard, l’envoyer à quelqu’un à l’autre bout du monde et dire: « Voilà ce que je vis en ce moment même », vous n’avez pas le feu Facebook.
Quel est le lien avec les gens qui vous textent: « Mon Dieu, je t’avais presque oublié, on était voisins de classe en deuxième primaire », je ne sais pas. Mais même si toutes ces forces se sont heurtées les unes aux autres, je suis convaincu que Mark a imaginé quelque chose. Et il ne fait aucun doute que cette chose est en relation avec le narcissisme américain. Le besoin d’être en couverture de son propre Rolling Stone.
Est-ce que vous vous reconnaissez en Zuckerberg?
Bien sûr. Je peux aussi m’identifier aux Winklevoss. Et je vois une grosse partie de moi dans le personnage d’Eduardo Saverin. Je comprends que beaucoup de spectateurs aillent voir un film et veuillent s’identifier à quelqu’un. Mais ça, c’est le football. Tu mets ton écharpe, tu te rends au stade et tu supportes ton équipe. Je ne pense pas qu’il doive en aller de la sorte avec le cinéma. Des tas de films te disent pour qui tu dois avoir de la sympathie mais ce genre de longs métrages ne m’intéressent pas. Je trouve ces merdes terriblement ennuyeuses.
Je suis interpellé par les hommes et femmes qui ne comprennent pas leurs défauts. Quand j’ai vu l’interview de Zuckerberg par Lesley Stahl, je me suis dit que ce gamin était incroyable. Il ne comprenait pas ce qu’il faisait dans son émission. Pourquoi elle tenait à lui parler. Il n’en avait rien à foutre. Ça ne fait pas de lui Johnny Rotten. Mais ça le rend irrésistible. Intéressant. Je ne pense pas qu’il soit Iggy Pop, qu’il soit une rock star. Je pense qu’il est Banksy. Un outsider. Le mec qui dessinait sur les murs il y a 10 ans et pour lequel tu paierais 300.000 dollars maintenant.
Etes-vous, comme lui, sûr de vous? Savez-vous toujours ce que vous voulez et ce dont vous êtes capable?
Ce que j’ai envie de faire, je le fais. Dans le cas de ce film, j’ai lu le scénario et je me suis dit que je tenais à le réaliser. Mais j’ai aussi été voir le studio avec deux conditions. En stipulant que son département juridique devait cadenasser le script. Que je ne voulais pas m’entendre dire deux semaines plus tard: vous ne pouvez pas parler de ceci ou de cela. Et après, je devais être sûr qu’on se mette à bosser rapidement. Il fallait raconter cette histoire tout de suite. Pas dans deux ans.
Avez-vous pensé rencontrer Zuckerberg? Il aurait peut-être suffi d’un coup de fil.
Ça ne m’est jamais venu à l’idée. Quand je me suis retrouvé impliqué dans le projet, le producteur Scott Rudin et les gens de la communication de Facebook étaient déjà en négociations. Nous avons reçu une liste de tous les changements que nous aurions dû opérer pour qu’ils montent à bord. Les deux premiers étant que l’action du film ne se passe pas à Harvard et que nous n’utilisions pas le terme Facebook. Nous avons tout de suite senti que nous nous dirigions dans une impasse.
Maintenant, je ne raconte pas l’histoire de Mark Zuckerberg, sa vie, son séjour à Harvard, les aspirations d’un gamin qui rêve de connecter le monde. Ce film n’est pas un biopic. Il s’intéresse à la paternité. Aux conflits autour de la création. A la confiance. A la vénalité. Nous partons de trois points de vue différents. Des souvenirs de trois parties qui se battent pour 15 milliards de dollars. Nous ne prétendons jamais que nous étions là et que tout ce que nous racontons s’est réellement passé. Je me fous de ce qui s’est réellement passé quelque part. La plus grande vérité que véhicule cette histoire, c’est ce qu’ont vécu ces jeunes universitaires. Le côté dramatique de ce récit est plus vieux que Shakespeare.
Julien Broquet
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