Danse avec la mort : zoom sur la danse au cinéma
Un sport extrême, la danse? À d’autres. Et pourtant… Source potentiellement inépuisable de plaisir, elle apparaît bien souvent à l’écran comme une école de souffrance, repoussant les limites du corps et de la volonté dans un esprit doloriste, voire sacrificiel.
Chaque semaine de l’été, zoom sur un sport extrême vu à travers ses déclinaisons au cinéma.
Dans le conte de Hans Christian Andersen Les Chaussons rouges, une jeune fille vaniteuse et gâtée se retrouve prise au piège de la paire de chaussons qu’elle ne peut s’empêcher de porter, incapable qu’elle est de résister à leur éclat. Bientôt, elle n’a d’autre choix que de danser sans s’arrêter, comme si les souliers interdits, maléfiques, la contrôlaient. Et l’art qu’elle chérissait par-dessus tout -la danse, donc- de la conduire aussi sûrement à sa perte: épuisée, blessée, condamnée à danser jusqu’après sa mort pour servir d’exemple aux enfants capricieux, elle demande au bourreau de lui couper les pieds à la hache. Mais le sort ne se rompt pas, et ceux-ci, amputés, continuent de danser, lui barrant le chemin du salut avant que ne lui soit finalement accordé le privilège ( sic) de monter au ciel en estropiée dont le coeur rempli de lumière finit par éclater.
En 1948, cette parabole fameuse inspire au génial tandem britannique formé par Michael Powell et Emeric Pressburger un film appelé à faire date dans l’Histoire du cinéma, The Red Shoes, déchirant chef-d’oeuvre où le récit imaginé par ce joyeux drille d’Andersen fonctionne à la manière d’une funeste mise en abyme. Dans cette fable cruelle aux couleurs flamboyantes où une ballerine inconnue triomphe grâce à un maître de ballet aussi talentueux que despotique dans une version moderne des Chaussons rouges, la création artistique prend le visage d’un monstre d’exigence, d’une passion dévorante qui ne souffre aucune concurrence. Incapable de choisir entre l’art et la vie, la danse et l’amour, la jeune héroïne ne peut connaître qu’une seule issue, forcément fatale, rejouant en miroir la tragédie du conte.
Soit l’indépassable matrice d’une ribambelle de longs métrages dramatiques et de personnages brisés associant la danse à une discipline tyrannique, sadique ou mortifère, faite de sacrifices et de douleurs. C’est la ballerine marquée par le deuil de Jeux d’été d’Ingmar Bergman (1951) et celle empêchée de danser suite à un accident dans The Curious Case of Benjamin Button de David Fincher (2008). C’est la danseuse tombée dans le coma de Parle avec elle de Pedro Almodóvar (2002) et celle au destin semé d’embûches de Polina, danser sa vie de Valérie Müller et Angelin Preljocaj (2016), adapté du roman graphique de Bastien Vivès. Ce sont le dos et les yeux abîmés de La Danseuse de Stéphanie Di Giusto (2016) ou même Pénélope qui étale de l’escalope de dinde crue sur les pieds endoloris de Samantha, sa petite soeur, avant son concours de danse dans La Boum 2 de Claude Pinoteau (1982). Sans même parler, bien sûr, du récent et gesticulatoire Climax de Gaspar Noé et sa sangria droguée… Alors on danse? Éventail légendé.
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