Dans Bird, Barry Keoghan prend son envol: “Mon enfance a été chaotique, mais c’est ce qui fait de moi ce que je suis aujourd’hui”
Il a récemment fait sensation dans l’audacieux thriller Saltburn d’Emerald Fennell. Barry Keoghan est déjà de retour dans Bird d’Andrea Arnold, conte social dans lequel il incarne un jeune père instable.
Sur le rooftop du Palais des Festivals à Cannes, baigné par la lumière dorée de la Méditerranée, Barry Keoghan s’installe dans un fauteuil, peu après la première de Bird, le nouveau film d’Andrea Arnold. Vêtu d’un simple t-shirt blanc et d’un pantalon noir, il lance, d’un sourire timide, tout en tripotant maladroitement sa montre: « Vous n’avez pas chaud? Moi j’ai super chaud. » Avec sa dégaine un peu enfantine, son accent dublinois à couper au couteau et son regard qui à la fois désarme et défie, il a l’air d’une rock star britannique échouée par hasard sur la Côte d’Azur.
À 32 ans, il est l’un des jeunes acteurs les plus célébrés et recherchés de sa génération, en Irlande comme à l’étranger. Révélé en 2017 avec des rôles marquants dans Dunkerque de Christopher Nolan et The Killing of a Sacred Deer de Yórgos Lánthimos, il a ensuite confirmé son talent et son charisme avec son rôle dans The Banshees of Inisherin de Martin McDonagh, qui lui a valu un BAFTA.
Mais c’est Saltburn, le provocant thriller d’Emerald Fennell, sorti début 2024, qui a propulsé Barry Keoghan au sommet. Ce film, sujet d’innombrables débats et commentaires sur les réseaux, a notamment marqué les esprits avec des scènes sulfureuses, comme celle où Olivier, son personnage, boit l’eau souillée du bain de Jacob, ou celle où il danse nu à travers un manoir luxueux au son de Murder on the Dancefloor de Sophie Ellis-Bextor, relançant par la même occasion ce hit de 2002 dans les tops.
Ces derniers mois, ce ne sont pas ses talents d’acteur -et de danseurs- qui ont fait couler l’encre, mais sa vie privée, et en particulier sa relation avec la chanteuse Sabrina Carpenter. Il y a quelques semaines, Barry Keoghan a même fermé son compte Instagram après avoir été submergé de commentaires haineux.
Mais en ce jour, l’actu, c’est Bird, un conte social réalisé par la Britannique Andrea Arnold, la réalisatrice acclamée de Fish Tank et American Honey. « Tout repose sur le fait de prendre des risques, déclare l’acteur qui a fait de son apparence singulière une force pour associer vulnérabilité et ambiguïté. Je ne veux pas être prévisible. Mes rôles doivent faire réfléchir ou, mieux encore, mettre mal à l’aise. »
C’est une philosophie que Barry Keoghan maîtrise parfaitement. Plus tard cette année, il apparaîtra également aux côtés de Cillian Murphy dans The Immortal Man, le spin-off cinématographique de la série à succès Peaky Blinders. Dans Bird, où Andrea Arnold introduit pour la première fois une touche de magie dans son naturalisme brut, Barry Keoghan incarne Bug, un jeune père imprévisible, sauvage et désespérément immature, au corps recouvert de tatouages d’insectes, qui se préoccupe plus de sa nouvelle petite amie et de son crapaud que de sa fille de 12 ans, Bailey. Pas étonnant que celle-ci -interprétée Nykiya Adams, qui fait ici ses débuts au cinéma- cherche réconfort et sécurité ailleurs, notamment auprès de Bird (Franz Rogowski), un homme étrange à la recherche de ses parents qui auraient vécu dans le même quartier délabré de la périphérie de Kent.
L’acteur irlandais charismatique connaît bien le sujet du film. Son propre passé ressemble en effet au scénario d’un drame social: né à Dublin, il a perdu à 12 ans sa mère, morte d’une overdose d’héroïne -et à ce moment-là, son père était parti depuis bien bien longtemps. Les années suivantes, Barry Keoghan les a passées dans plusieurs foyers avant d’être recueilli par sa grand-mère et sa tante. « Mon enfance a été chaotique, mais c’est ce qui fait de moi ce que je suis aujourd’hui. En tant qu’acteur, vous puisez dans votre douleur, et croyez-moi, j’en ai une belle réserve. » Bug, son personnage dans Bird, ne lui semble donc pas être un rôle, mais plutôt une extension de lui-même. « C’est une catastrophe ambulante, mais il essaie. Il aime sa fille, même s’il ne sait pas comment le lui montrer. »
La magie de Bird ne réside pas seulement dans l’histoire, mais aussi dans la manière dont le film a été réalisé. Andrea Arnold est connue pour ses méthodes de travail non conventionnelles: pas de scénario rigide, des scènes qui naissent sur le moment, et une ambiance où l’improvisation est encouragée. Pour Barry Keoghan, qui aime la liberté dans son métier, c’était un terrain de jeu idéal. « J’aime les réalisateurs qui prennent des risques et suivent leurs propres règles, déclare le Dublinois, qui incarnera Ringo Starr dans les quatre biopics sur les Beatles que Sam Mendes prévoit de tourner cette année. « Andrea fait des films bruts et sincères, mais aussi poétiques. Elle fait des films avec une âme. Je signerais pour tout ce qu’elle fait. Aveuglément. Et c’est ce que j’ai fait. Dès que j’ai su qu’elle préparait un nouveau film, j’ai voulu en être. Même s’il n’y avait pas de scénario. Ou du moins, pas un que je pouvais lire. Ça m’a aussi aidé de savoir que Franz Rogowski (l’acteur allemand de Une valse dans les allée, Great Freedom, Passage ou encore Disco Boy, NDLR) participait. C’est l’un des acteurs les plus fascinants de notre époque. »
Bug n’est pas vraiment un personnage exemplaire. Qu’est-ce qui vous a attiré chez lui?
Bug a un grand cœur. Il est plus un grand frère qu’un père pour sa fille, et c’est ce qui le rend singulier. Je suis moi-même un jeune père, et je sais à quel point ça peut être difficile de bien faire les choses. Mais tout tourne autour de l’amour et du fait d’essayer, même si on échoue.
Le film vous a-t-il rappelé votre propre jeunesse tumultueuse?
Je ne veux pas rentrer dans les détails, mais vous savez probablement ce qui m’est arrivé. Tout est de toute façon sur Internet. Mon enfance a tout influencé. Le métier d’acteur est une thérapie pour moi. La douleur et le chaos de mon enfance me fournissent une sorte de ressource dans laquelle je peux puiser. Bug ressemble beaucoup à ce que je ressentais autrefois: perdu, imparfait, mais avec la volonté de bien faire. Ce lien a rendu le rôle exigeant, mais aussi très enrichissant.
Comment était-ce de travailler avec une jeune actrice totalement inexpérimentée comme Nykiya Adams?
C’était fantastique. Andrea a toujours eu un don pour repérer des talents bruts dans la rue. Regardez Fish Tank, Wuthering Heights ou American Honey. Elle choisit des gens, non pas pour leur expérience, mais pour ce qu’ils apportent d’authentique. Nykiya est comme ça. Elle est pure et sincère, et ça oblige un acteur à être lui aussi honnête. Les enfants n’ont pas de filtre, et ça rend tout excitant.
Andrea Arnold est connue pour son approche libre et singulière. Comment avez-vous vécu ce tournage?
Avec Andrea, c’est comme si vous étiez toujours sur le fil du rasoir. Vous ne savez pas ce qui va se passer, et ça vous oblige à rester toujours alerte. Nous n’avions pas de scénario complet. Andrea m’a juste expliqué qui était mon personnage, et c’est tout. Les scènes naissaient parfois sur le moment même, ce qui donnait au film une authenticité que vous n’obtiendriez jamais autrement. C’était libérateur. Honnêtement, je ne savais même pas de quoi parlait le film avant de le voir à la première.
Y a-t-il une scène spécifique qui vous marquera toujours?
Oui. La scène de fête où je chante une version karaoké de Yellow de Coldplay. C’est tellement gênant, car je ne sais absolument pas chanter, mais c’est justement ça qui la rend belle. J’adore les gens qui n’ont pas peur de se mettre à nu, même si c’est inconfortable. Ca vaut pour le chant mais aussi pour le jeu du comédien.
En quoi travailler sur un film comme Bird diffère-t-il d’une grande production comme Dunkirk?
Dans un film comme Dunkirk, tout tourne autour de l’ampleur et de la précision. Vous êtes un rouage dans un immense système, et c’est impressionnant. Mais dans un film comme Bird, il s’agit d’intimité. Vous avez la liberté d’expérimenter, de prendre des risques et de vraiment collaborer. C’est différent, mais tout aussi précieux. Au final, il y a plus de similitudes que de différences. Vous savez, avec un bon réalisateur, vous n’avez jamais l’impression de travailler pour eux, mais avec eux. Andrea. Chris Nolan. Emerald Fennell.
En parlant d’Emerald Fennell, Saltburn est devenu un film culte, et vous avez également une multitude de projets en cours: une adaptation de Peaky Blinders, un western sur Billy the Kid, et les biopics sur les Beatles réalisés par Sam Mendes. Que ressentez-vous à l’idée d’être l’un des acteurs les plus demandés du moment?
C’est assez irréel. Je suis toujours ce gamin de Dublin qui rêvait de faire des films. Mais je suis reconnaissant. Chaque film est une occasion d’apprendre quelque chose de nouveau et de continuer à me mettre au défi. C’est tout ce que je veux.
Votre scène de danse dans Saltburn et dans le clip de Bug des Fontaines D.C., composé d’images du film, sont devenues virales. Une carrière dans la danse, ça vous tente?
Je n’ai aucune ambition dans ce domaine. (rires) J’ai toujours dit que je ne savais pas danser, mais c’est précisément ce qui rend ça amusant. Ce qui est beau dans la danse au cinéma, c’est que vous faites l’effort de tenter quelque chose, même si vous savez que vous n’êtes pas le meilleur. Dans Saltburn, il ne s’agissait pas de perfection, mais de l’énergie du moment, et j’ai pris beaucoup de plaisir avec cette scène. La musique joue toujours un grand rôle dans ce que je fais. Et oui, dans Bird, je danse aussi quelques fois, sur des morceaux de Blur et Coldplay entre autres, mais c’est plus subtil et avec une vibe différente. Je pense que l’ironie de ces scènes -ne pas se prendre trop au sérieux- est précisément ce qui les rend intéressantes.
Que voudriez-vous que les gens retiennent de Bird?
Que l’imperfection est belle. Qu’une famille n’a pas besoin d’être parfaite pour être précieuse. Et que vous pouvez vous montrer tel que vous êtes, avec tous vos défauts. C’est ce que disent tous les films d’Andrea, et c’est pour ça qu’ils sont si puissants.
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