Coralie Fargeat embarque Demi Moore dans un body horror au féminin: “La cuisine? Ca n’a jamais été mon truc”

Demi Moore se met à nu dans tous les sens du terme dans The Substance. © Universal Studios / Christine Tamalet

Miroir, mon beau miroir, qui est la reine du fitness à Hollywood? Demi Moore et Margaret Qualley se disputent la couronne dans The Substance, trip de body horror effronté signé Coralie Fargeat.

« Let’s get physical! » Avec ce mantra, la princesse pop Olivia Newton-John s’est hissée au sommet des charts au début des années 80. Cette même devise est aujourd’hui portée à des hauteurs atmosphériques dans The Substance, le film de body horror qui a fait frémir le Festival de Cannes il y a quelques mois. Dans ce conte halluciné imprégné de science-fiction de la réalisatrice française Coralie Fargeat, on retrouve dans le rôle principal Demi Moore, ici filmée sous toutes ses coutures.

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La star des années 90 (Ghost, Des hommes d’honneur, Proposition indécente…) enfile à 61 ans le bandeau et le legging d’Elisabeth Sparkle, ancienne actrice célèbre devenue reine du fitness à la télévision, en passe de tomber du trône depuis qu’elle a atteint « l’âge mûr ». Mais Elisabeth se voit offrir la possibilité de devenir une version plus jeune, plus « fit » et plus sexy d’elle-même. Pour cela, elle doit s’injecter « la substance », un produit mystérieux qui fait surgir de son propre corps un clone plus jeune -incarné par Margaret Qualley, vue cette année dans Drive-Away Dolls et Kinds of Kindness. Les injections doivent être effectuées dans des conditions strictes et les deux femmes doivent partager la même vie, en alternant une semaine sur deux. Si la rotation est bousculée, les conséquences peuvent être graves

De toute évidence, Coralie Fargeat, formée à la prestigieuse Fémis et qui a commencé dans le cinéma comme assistante réalisatrice notamment pour Luc Besson et Alain Berliner, a étudié de près les thrillers fantastiques futuristes du gourou du body horror David Cronenberg -en particulier Scanners, Vidéodrome et La Mouche-, avec leurs exubérances charnelles et leurs mutations monstrueuses. Mais la réalisatrice, qui a déjà démontré son talent et son penchant pour le cinéma de genre avec le thriller de vengeance au féminin Revenge (2017), va encore plus loin.

The Substance, récompensé par le prix du meilleur scénario à Cannes, ne se limite pas à un duel stylisé et nimbé de couleurs fluo entre deux corps scrutés sous tous les angles par la caméra. Le film, repoussant les limites du bon goût et de la décence, est à la fois une satire acerbe de la culture narcissique typique de notre ère des selfies et un commentaire grinçant sur les canons de beauté imposés aux femmes par les hommes, par les médias et par… les femmes elles-mêmes, jusque sur leur lieu de travail.

Il s’agit d’un film « autobiographique« , comme le confie avec un sourire en coin Coralie Fargeat, qui a agrémenté sa fable horrifique d’un soupçon de David Lynch, d’une once de Stanley Kubrick, d’une pointe de John Carpenter, et surtout d’une bonne dose d’humour et d’effets spéciaux.

Coralie Fargeat: « Toutes les femmes connaissent ce sentiment d’exclusion, d’insécurité et de dégoût« . © Universal Studios / Christine Tamalet

À quand remonte ce projet?

J’ai commencé à travailler sur le scénario quand j’ai eu 40 ans, c’est-à-dire il y a sept ans. À cette période-là, j’ai vraiment fait des cauchemars à cause de l’angoisse liée à mon âge. Je me disais: « C’est fini, je suis hors-jeu dans cette société matérialiste où tout est lié à l’apparence et au statut. Surtout pour les femmes, qui sont davantage jugées sur leur corps que les hommes. Plus personne ne me trouvera utile ou intéressante. » Ces pensées me tourmentaient, alors j’ai décidé d’en faire quelque chose, de me les sortir de la tête par l’écriture. Et puis, j’avais tellement aimé faire Revenge (où une jeune femme se venge de ses violeurs, NDLR) que j’avais envie d’explorer davantage le genre de l’horreur.

En allant quelques crans plus loin?

C’est un peu ça. Je voulais explorer la violence des pensées qui trottent dans la tête de beaucoup de femmes à partir d’un certain âge. Se dire que sa vie est finie après 40 ans, c’est assez fou, non? Je souhaitais exprimer visuellement cette violence qui émane de la société. La dernière chose que je voulais, c’était un drame sur des femmes qui restent assises à se plaindre de leurs rides ou de leurs seins tombants. Il fallait que ce soit quelque chose de sauvage, d’énergique, d’amusant, d’horrible et de direct.

Coralie Fargeat: « Ce n’est pas parce qu’on a un message sérieux à faire passer que ça doit être ennuyeux ou moralisateur« . © Universal Studios / Christine Tamalet

Et de féministe? Ou est-ce déjà sexiste en soi de mettre l’accent sur cet aspect?

Pour moi, le film est féministe à 300 %. Mais je comprends ce que vous voulez dire: ce n’est pas parce que je suis une réalisatrice que tout ce que je fais est féministe. The Substance est une déclaration politique forte. Le film traite de la façon dont les femmes sont perçues et évaluées dans notre société patriarcale. Sur la manière dont on s’habille, dont on parle, dont on se comporte avec les patrons masculins. Les attentes auxquelles les femmes doivent répondre sont souvent étouffantes. Dans le film, je voulais pousser tout cela au maximum au niveau symbolique, avec les éléments de satire nécessaires et d’une manière que j’espère divertissante et extrême. Ce n’est pas parce qu’on a un message sérieux à faire passer que ça doit être ennuyeux ou moralisateur. C’est justement la liberté qu’offre le cinéma de genre.

Pensez-vous qu’un réalisateur masculin aurait abordé différemment ce scénario?

C’est une bonne question. Presque tous mes réalisateurs préférés -Cronenberg, Carpenter, Kubrick, Hitchcock, Park Chan-wook…- sont des hommes. Parce qu’à l’époque, presque tous les réalisateurs étaient des hommes. Mais je ne pense pas qu’un homme aurait pu réaliser ce film. Ce que je veux dire, c’est qu’il faut vraiment connaître et reconnaître les mécanismes sociaux dont je parlais. Les hommes peuvent peut-être le faire à un niveau intellectuel, mais moins à un niveau émotionnel, en tant que vécu. Je pense que toutes les femmes connaissent ce sentiment d’exclusion, d’insécurité et de dégoût, qu’elles l’ont elles-mêmes vécu à un moment ou à un autre. Mais il est bien sûr difficile de dire comment cette différence se traduirait à l’écran si le film était tourné par un homme.

© Universal Studios / Christine Tamalet

On espère quand même que ces tourments vécus par les femmes ne sont pas aussi extrêmes que dans le film…

C’est une violence générée par la société. En ce qui me concerne, le film m’a aidée à surmonter mes inquiétudes et mes peurs. Mais en tant qu’individu, vous ne pouvez pas combattre le système. Même si vous avez pleinement confiance en vous, ces exigences de beauté vous sont imposées. Aussi par de nombreuses femmes, d’ailleurs, et surtout à l’heure des réseaux sociaux où tout le monde se montre sous son meilleur jour, 24 heures sur 24, au monde entier.

Peut-on combattre ce narcissisme social, et quel rôle l’art peut-il jouer là-dedans?

Difficile à dire. Par exemple, le mouvement #MeToo a certainement permis une plus grande prise de conscience, et les abus de pouvoir et les inégalités entre les sexes sont indéniablement devenus des sujets plus discutés ces dernières années. Grâce à des femmes courageuses qui ont osé témoigner et à des artistes qui ont abordé ces sujets. Mais est-ce que ça résout tout? Est-ce qu’il y a aujourd’hui autant de femmes que d’hommes en politique ou dans les institutions culturelles? Je crains que non. Et peut-être que Trump sera bientôt à nouveau élu président des États-Unis. Ce que je veux dire, c’est que ce n’est pas si simple. Je voulais juste faire un film qui tende un miroir aux gens et qui montre la violence du sexisme. Je ne peux pas faire plus.

Comment avez-vous réussi à convaincre Demi Moore de se mettre à nu, dans tous les sens du terme, de manière aussi explicite?

Je savais que le film reposerait en grande partie sur ses actrices et qu’il serait extrêmement difficile d’avoir un grand nom pour le rôle d’Elisabeth. Qui oserait se confronter aussi ouvertement à sa propre décrépitude physique? Et le film ne cherche pas à être réaliste, il s’agit d’une sorte de conte de fées immersif sur la célébrité et l’éphémère, avec beaucoup de couleurs et relativement peu de dialogues. Je cherchais donc quelqu’un qui incarne le glamour hollywoodien de la tête aux pieds, une vraie star. Quelqu’un que l’on ne croisera pas au supermarché. Je n’aurais jamais imaginé que Demi accepte, car les risques qu’elle prend sont énormes.

Coralie Fargeat: « La cuisine? Ca n’a jamais été mon truc ». © Universal Studios / Christine Tamalet

Elle ne connaissait peut-être pas le terme “body horror”…

Peut-être, mais le sujet et le concept l’ont immédiatement séduite, en tant que femme et en tant que célébrité qui, comme son personnage, est constamment observée. Nous avons beaucoup discuté dans la phase de préparation du film. Son rôle implique beaucoup de prothèses -je voulais le plus possibles d’effets spéciaux concrets et le moins possible d’images de synthèse-, ce qui prend beaucoup de temps et limite le jeu de l’acteur. Il était essentiel que Demi sache comment s’y adapter. Nous avons également étudié en détail les scènes de nu avant le tournage. Chaque plan était décrit dans les moindres détails. La signification de chaque scène devait être claire pour que rien ne semble gratuit. Le plus important pour nous deux était de comprendre le but de ces scènes: la nudité montre notre vulnérabilité et la façon dont nous percevons notre corps, que vous soyez seul dans la salle de bains ou devant la caméra, avec tout le monde qui regarde votre cul.

Jusqu’à il y a peu, l’horreur était une affaire exclusivement masculine. Mais ces dernières années, plusieurs réalisatrices s’y sont mises, comme Julia Ducournau avec Grave et Titane, qui a remporté la Palme d’or, ou Rose Glass avec Saint Maud et Love Lies Bleeding.

(Elle opine) Le body horror est une arme puissante pour les réalisatrices. Enfant, je me suis toujours sentie marginale. Les autres filles jouaient à la poupée; moi je préférais jouer avec des petites figurines et imiter les films catastrophes. La cuisine? Ca n’a jamais été mon truc. Alors oui, ma voie pour m’exprimer était ailleurs. En tant que réalisatrice de films de genre en France, un pays avec une tradition de cinéma très bavard et où l’horreur n’est pas encore vraiment une priorité, ça n’a pas été facile de faire entendre ma voix. Il a fallu que j’attende mes 40 ans pour réaliser un long métrage. Et ce n’est que ces dernières années que j’ai découvert des réalisatrices avec lesquelles je me sens en phase, comme l’Australienne Jennifer Kent, qui a fait Mister Babadook et The Nightingale. Adolescente, je n’avais pas ces exemples à ma disposition. Or nous sommes façonnés par ce que nous voyons -et apparemment aussi par ce que nous ne voyons pas. Je suis donc ravie qu’il y ait aujourd’hui plus de femmes qui mettent leur imagination singulière dans des films. C’est comme s’il y avait soudain plus de places à la table. En espérant que ce ne soit pas seulement à côté de la cuisine (rires).

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