Connaissez-vous vraiment les zombis? Une expo parisienne retrace leurs origines

Quelques zombis en balade dans le Dernier Train pour Busan. © DR
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

De Hollywood au cinéma coréen, d’Iron Maiden aux Cranberries en passant par les comics et les parcs d’attractions, les zombis sont partout. Une exposition au Musée du Quai Branly revient sur les origines, bien réelles, de cette figure universelle.

« Oubliez tout ce que vous pensez savoir sur les zombis« : la demande, presque un ordre, accueille le visiteur dès l’entrée de l’exposition que le Musée du Quai Branly consacre aux sources anthropologiques et archéologiques de ces morts-vivants bien enracinés dans la pop culture. Et c’est en Haïti, leur territoire d’origine, avec la reconstitution d’un temple vaudou, que l’institution parisienne nous propulse d’emblée, pour un voyage fascinant, parsemé de fétiches et de poupées, où il est question de justice et de punition, de poison et de croyances, d’esclavage et de soumission.

« Dans la culture vaudou haïtienne, un zombi est un individu qui fait le mal et qui a été condamné par une société secrète, principalement la société secrète Bizango. Cette personne a été empoisonnée, mise en état de mort apparente, enterrée vivante, puis ressortie de sa sépulture. Elle est maintenue dans un état d’hébétude chronique, comme un esclave des temps modernes et cela peut durer plusieurs dizaines d’années », explique Philippe Charlier, commissaire de l’exposition, aujourd’hui directeur du Département de la Recherche et de l’Enseignement au Musée du Quai Branly. Philippe Charlier cumule plusieurs casquettes, et plusieurs regards: il est à la fois médecin légiste -célèbre pour ses travaux sur les restes de Richard Cœur de Lion, Diane de Poitiers ou… Hitler-, archéologue et anthropologue et il s’intéresse depuis longtemps aux figures de non-morts, ces morts qui ne se tiennent pas tranquilles. Sur le sujet, il a publié en 2015 Zombis – Enquête sur les morts-vivants (éditions Tallandier), un ouvrage au fondement de cette exposition.

Coucou ! (Dernier train pour Busan) © DR

En Haïti, les zombis existent donc vraiment -l’exposition rapporte plusieurs cas historiques- et les Haïtiens initiés au vaudou y croient totalement. « Les gens baignent depuis la petite enfance dans cette peur du zombi, et surtout dans la peur d’être zombifié, développe Philippe Charlier. C’est une peine qui est, j’insiste, pire que la mort et  qui est uniquement destinée aux initiés. Parce que ça ne peut marcher que sur un esprit qui est déjà préparé, formaté et « angoissé » par cette crainte d’être un jour zombifié. La zombification, sur un individu non initié, ça ne marche pas. »

Zombis et vampires

Dans les années 1930, alors qu’Haïti est sous occupation américaine, des ethnologues états-uniens découvrent les zombis du vaudou. Et le cinéma s’empare bien vite de cette figure effrayante. On peut notamment voir dans la salle de projection de l’exposition notamment un extrait de White Zombie (1932) de Victor Halperin, avec Béla Lugosi en maître vaudou blanc, qui retrace les mésaventures d’un jeune couple en Haïti, victime des mauvaises intentions de leur hôte. « White Zombie et I Walk with a Zombie (de Jacques Tourneur, 1943, NDLR) sont deux films qui se passent dans la Caraïbe et qui sont encore assez proches de la réalité  de terrain, souligne le commissaire. Mais dans les années 60, George A. Romero a inventé un nouveau modèle de zombi. Ce nouveau zombi est en fait un vampire, mais, pour des raisons qu’on ignore, c’est le mot zombi qui a été utilisé. »

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Et Philippe Charlier s’y connaît aussi très bien en vampires: il a établi l’édition scientifique du traité de vampirologie écrit par le moine bénédictin Dom Augustin Calmet, publié en 1751 (Le Traité sur les apparitions et les vampires, éditions du Cerf). « Quasiment dans tous les détails, on retrouve les caractéristiques physiques et métaphysiques du vampire dans le « zombi » de Romero, notamment ce caractère de transmissibilité immédiate de la mort. Quand vous êtes en Haïti et que vous faites mordre par un zombi, vous vous lavez au savon et basta, ça s’arrête là! En revanche, quand vous êtes mordu par un zombi dans les films de Romero, vous vous transformez en zombi immédiatement. C’est donc vraiment complètement différent. Et ça se rapproche beaucoup plus du vampire occidental que du zombie natif, c’est-à-dire afro-caribéen. »

Mort contagieuse

Ce zombi pop, ce « zombi 2.0 », décharné, putréfié, avec un bras qui tient à peine ou le crâne à moitié ouvert, est pour Philippe Charlier une métaphore de la mort contagieuse : « C’est le fantasme d’une épidémie de mort où l’on n’a même pas le temps de tomber malade. On bascule tout de suite du côté de la mort. Et en plus, c’est une mort sale, une mort immonde, une mort dégueulasse -je n’ai pas d’autres mots. C’est-à-dire que c’est plus que sale, c’est dégueulasse.« 

Ce fantasme d’épidémie de mort constitue probablement un écho de faits historiques traumatiques. « Il y a de façon sous-jacente dans ces zombis les grandes épidémies, comme la peste noire au XIVe siècle, mais aussi, beaucoup plus près de nous, la grippe espagnole et également les conflits de masse, la Première puis la Deuxième Guerre mondiale, analyse Philippe Charlier. Il y a des images qui se surajoutent comme celles des amoncellements de cadavres qu’on a pu voir dans les camps, quels qu’ils soient et toutes époques confondues. On peut y voir aussi le fait d’avoir enterré des gens vivants dans des enterrements précipités. Des individus toujours vivants dans leur tombeau qui, pour avoir un petit truc à boire ou à manger, vont parfois se mordre les mains ou les doigts. C’est là peut-être une des choses qu’il y a éventuellement en commun avec le zombi stricto sensu, qui lui aussi est enterré vivant. Mais honnêtement, les zones de superposition anthropologique entre l’un et l’autre sont vraiment très rares. »

La Nuit des morts-vivants de Romero © Getty Images

On peut réunir ces zombis pop « contaminant » en deux grandes familles. D’un côté, il y a les lents, titubants, qui progressent avec difficulté. Ceux face auxquels les vivants ont encore une chance de s’échapper en courant un peu vite. Ce sont ceux des films de La Nuit des morts-vivants de Romero (1969), ceux du clip de Thriller de Michael Jackson -en tout cas avant qu’ils ne se mettent à danser-, ceux de la série The Walking Dead-en tout cas avant l’apparition des « runners ». Et de l’autre, il y a, plus effrayants encore, les zombis ultra rapides, tout à fait capables de vous rattraper et même de déferler en masse avec la force d’une vague. Ce sont ceux de 28 jours plus tard de Danny Boyle (2002, avec un tout jeune Cillian Murphy), qui a donné un nouveau souffle au genre, de World War Z de Marc Forster (2013) et bien sûr, de Dernier train pour Busan, du réalisateur sud-coréen Yeon Sang-ho (2016). « Cela traduit probablement sur le plan métaphysique deux façons différentes de penser la mort, commente Philippe Charlier. D’un côté, on a une mort qui est une diminution physique de l’individu, et de l’autre une mort où les zombies ont plus de force que les vivants. En s’accumulant les uns sur les autres, ils sont capables de former des pyramides humaines que même des vivants ne pourraient pas réaliser. Il y a donc un caractère surhumain, extra-humain de ces mauvais morts. C’est assez intéressant sur le plan intellectuel. »

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Le zombi originel haïtien, lui, est plus proche des zombis lents. « C’est quelqu’un qui est privé de libre arbitre. Il est maintenu dans cet état par une privation de sel, voire même par un ajout de psychotropes dans son bol alimentaire, des barbituriques ou des benzodiazépines (calmants ou tranquillisants, NDLR). Il n’a donc même plus l’impulsion pour se révolter. C’est ce même état dans lequel étaient maintenus les esclaves au temps jadis. Le zombi haïtien est à la convergence des religions de l’Afrique subsaharienne, du catholicisme romain, des religions des populations autochtones -ce qu’on appelle la « tradition indigéniste »- et des cicatrices impossibles à refermer de l’esclavage. Le zombie est un esclave des temps modernes. »

Zombis – La mort n’est pas une fin : jusqu’au 16 février au Musée du Quai Branly, Paris.

 

Zombis en musique

En parallèle à l’exposition au musée du Quai Branly, l’ethnomusicologue Renaud Brizard a concocté une playlist qui fait le tour du zombi en musique (disponible sur Spotify et Deezer). On y trouve des morceaux haïtiens, évidemment, mais aussi ceci:

Zombie, de Fela Kuti 

Dans le morceau qui donne son titre à l’album sorti en 1976, le père de l’afrobeat compare ouvertement les militaires de l’armée nigériane à des morts-vivants. La junte se vengera de cet affront en assaillant la propriété de Fela Kuti. Lui-même et ses musiciens sont passés à tabac, certaines choristes sont violées et la mère de Fela, Funmilayo Ransome-Kuti, 78 ans, femme politique et militante des droits des femmes, est défenestrée. Elle meurt des suites de ses blessures.

Zombie, The Cranberries

Dolores O’Riordan écrit ce morceau à la mémoire de Jonathan Ball et Tim Parry, deux garçons morts dans le double attentat à la bombe commis par l’IRA, l’Armée Républicaine Irlandaise, le 20 mars 1993 à Werrington, en Angleterre. Le clip, sorti en 1994, intègre de vraies images des Troubles qui ont secoué l’Irlande du Nord et des fresques murales évoquant ce conflit. Il sera interdit par la BBC.

 Zombie, La Fève

Très présents dans le metal, d’Iron Maiden à White Zombie, les morts-vivants sont aussi convoqués régulièrement dans le rap, anglophone et francophone, notamment comme métaphore de la jeunesse délaissée des ghettos ou des cités. On trouve des zombies entre autres chez Travis Scott, Childish Gambino, Hamza, ou encore La Fève, sur un morceau de la mixtape ERRR, sortie en 2021.

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