Titre - Coma
Genre - Drame
Réalisateur-trice - Bertrand Bonello
Casting - Louise Labeque, Julia Faure
Sortie - En salles
Durée - 1h20
Critique - Jean-François Pluijgers
Avec Coma, Bertrand Bonello s’immisce dans les rêves d’une jeune fille de 18 ans, zappant entre différents mondes dans un bricolage hybride en prise sur une époque inquiétante.
Des films de confinement, Coma, de Bertrand Bonello, est peut-être le plus surprenant. Tourné en douze jours, en équipe réduite, “dans une espèce de joie, de légèreté et de petitesse”, cet objet fascinant voit le réalisateur de Nocturama s’immiscer dans les rêves d’une jeune fille de 18 ans, zappant avec celle-ci entre des univers différents -sitcom, chaîne d’une youtubeuse, sessions Zoom et jusqu’à des limbes mystérieuses-, environnements auxquels correspondent des textures diverses: animation en 2D et en 3D, found footage, prise de vues réelles, caméra subjective en mini DV, images Internet ou archives. Manière, pour le cinéaste, de prendre la mesure inquiète du présent, tout en laissant les clés du monde d’après à l’adolescente.
Ce film étrange, tenant du bricolage hybride mais cohérent, Bonello l’ouvre sur une adresse à sa fille, Anna. “Le prologue, c’est un court métrage que j’ai tourné huit mois avant suite à une commande de la fondation Prada, et qui répondait à un autre court que j’avais fait en 2014 à Beaubourg, dont la forme était une lettre à ma fille. J’y avais une rétrospective, et je devais faire un film qui s’appelle Où en êtes-vous?, une question assez vaste, et j’avais choisi une forme de lettre rétrospective. Quand cette nouvelle commande est arrivée, je me suis dit “pourquoi ne pas reprendre la même chose?” Six années ont passé, c’était une occasion de dire qu’on n’en est plus au même endroit. Et puis, c’est différent de s’adresser à une fille de 11 ans qu’à une fille de 18: il y a quelque chose qui moi, me touchait beaucoup, et qu’on retrouve dans l’épilogue, c’est que maintenant, le monde lui appartient quelque part.”
Un radeau en pleine mer
Pour en arriver là, Coma emprunte des chemins sinueux, superposant des mondes après s’être immiscé dans l’imaginaire d’une jeune fille (Louise Labeque, déjà de Zombi Child), le prologue s’achevant sur un plan de cette dernière. Ce développement le cinéaste raconte en avoir eu l’idée en se replongeant dans des conférences de Gilles Deleuze, et notamment cet extrait où le philosophe énonce: “Méfiez-vous du rêve de l’autre parce que si vous êtes pris dans le rêve de l’autre, vous êtes foutu”. “Un passage extraordinaire qui pousse à faire immédiatement le contraire de ce qu’il dit. Je me suis dit que le film, c’était ça: rentrer dans le rêve de l’autre. Et d’un coup, le dispositif était simple: une jeune fille sur un lit, comme un radeau en pleine mer, qui se projette. ça m’a permis de partir dans différents mondes ayant chacun son esthétique, et m’a ouvert tout un champ de possibles sur la liberté narrative. Ce qui est génial, mais après, plus on veut être libre, plus il faut être structuré. C’est la différence entre la liberté et le n’importe quoi. Donc, ça a nécessité pas mal de réflexion, de précision de structure.”
Et de fait, sous ses allures frénétiques, le zapping répond à une logique millimétrée. “Je travaille beaucoup avec des post-it, une invention de génie, poursuit Bertrand Bonello. Je les mets au mur et je me demande ce qui va provoquer des contrastes intéressants. J’avais envie d’installer les mondes petit à petit, il sont très séparés, le soap avec la Barbie, le dessin animé où elle s’imagine, la youtubeuse Patricia Coma…, et après, ces différents mondes se contaminent les uns les autres, pour terminer dans cette espèce de forêt…” Un zapping qui ne concerne du reste pas que l’image, mais aussi la parole, comme lorsque l’un des personnages du soap imaginé avec les figurines Barbie se met à débiter des tweets de… Donald Trump, le sens en berne. “L’accès qu’on a à tout, toutes les informations, etc., nous demande d’être deux fois plus intelligents, sinon, en effet, ça peut conduire à la perte de sens. On la sent vraiment autour de nous, la déperdition de sens avec l’augmentation de tous les possibles qui, finalement, sont de faux possibles.”
Pop et ludique
Pour autant, et s’il baigne dans un climat forcément sombre eu égard à l’époque, Coma garde un tour ludique auquel le réalisateur de L’Apollonide n’avait guère habitué. “Ce dispositif m’a permis d’être beaucoup plus drôle que d’habitude, opine-t-il. Le fait qu’il y ait un personnage de youtubeuse comme Patricia Coma me permet de dire des choses drôles qui ne sont pas faciles à dire avec une vraie scène. Je peux mettre des choses dans la bouche des Barbie que je ne pourrais pas demander à deux acteurs de dire parce que la scène serait ridicule. ça m’a permis une drôlerie moins présente dans les autres films: Coma a un côté pop et ludique.” Ce qui ne l’empêche pas de brasser des questions essentielles, comme lorsque le film introduit, par le biais du “révélateur”, un jeu de mémoire tout simple -“je l’ai acheté sur Internet pour 6 euros!”–, celle du libre arbitre.
Soit, en définitive, un objet insolite et passionnant, venu rappeler aussi, après Zombi Child, l’attachement de Bertrand Bonello au cinéma de genre: “On en trouvait déjà des éléments dans Tiresia ou L’Apollonide, mais, là, c’est peut-être plus affirmé en effet, de passer par le genre pour libérer un imaginaire et aussi d’avoir un discours un peu politique. Le cinéma de genre le permet, et c’est une direction que je vais continuer à prendre.” Ainsi dans La Bête, son prochain projet, “un mélo fantastique sur trois périodes, 1910, 2014 et 2044, avec trois genres un peu différents, avec un couple –Léa Seydoux et George MacKay, NDLR- qui à chaque fois se rate…”
En marge de la sortie de Coma, Bertrand Bonello sera l’invité du cinéma Palace, à Bruxelles, les 13 et 14/04.
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