Cet été au ciné, on révise ses classiques
Traditionnellement plutôt chiche en sorties auteuristes de qualité, l’été cinéma réserve son lot de films de patrimoine, des classiques à (re)découvrir sur grand écran en versions restaurées. Sélection choisie.
Pas de phénomène à l’ampleur comparable à celle du fameux «Barbenheimer» de l’été 2023 qui point à l’horizon cette année. Mais tout de même un massif contingent de blockbusters poids lourds qui se présente aux portes des multiplexes du pays, de Moi, moche et méchant 4 (sortie le 03/07) à Alien: Romulus (sortie le 14/08) en passant notamment par la comédie romantique To the Moon avec Scarlett Johansson et Channing Tatum (sortie le 10/07) ou encore le crossover super-héroïque Deadpool & Wolverine (sortie le 24/07). Parmi d’autres. Oublié, le cinéphile exigeant avide de toiles auteuristes? Eh bien non, pas vraiment. D’abord, parce que l’été 2024 réserve son lot de nouveautés pointues réellement enthousiasmantes, de Only the River Flows du Chinois Wei Shujun (sortie le 10/07) à Memory du Mexicain Michel Franco avec Jessica Chastain et Peter Sarsgaard (sortie le 31/07) en passant par l’irrésistible Fremont de l’Iranien Babak Jalali (sortie le 17/07) ou encore l’indispensable C’est pas moi de Leos Carax (sortie le 17/07). Ensuite, parce que s’ouvre aussi ces jours-ci la très précieuse saison des classiques à redécouvrir sur grand écran en version restaurée.
Peeping Tom (Le Voyeur)
De Michael Powell. 1960. Ressortie: 10/07.
Cinéaste culte s’il en est, à qui l’on doit notamment, en tandem avec Emeric Pressburger, d’inoxydables incontournables comme Colonel Blimp, Le Narcisse noir ou bien sûr encore Les Chaussons rouges, le Britannique Michael Powell signe en solo, au tout début des années 60, ce chef-d’œuvre dérangeant et malsain que le scénariste Leo Marks lui aurait pitché de la sorte: « Que diriez-vous de réaliser un film sur un jeune homme qui tue des femmes avec sa caméra? » Dans Peeping Tom, en effet, un technicien déséquilibré traque de manière obsessionnelle la peur de la mort qui s’imprime sur le visage des femmes qu’il égorge à l’aide de sa caméra munie d’une lame tout en filmant leur agonie. Génial chaînon manquant entre le cinéma d’Alfred Hitchcock et celui de Brian De Palma, le film, qui fit évidemment scandale à l’époque, explore de manière radicale le concept freudien de pulsion scopique, soit le plaisir de posséder l’autre par le regard.
Dogtooth (Canine)
De Yórgos Lánthimos. 2009. Ressortie: 24/07.
Après deux longs métrages à l’écho assez confidentiel, Canine est, en 2009, le film de la reconnaissance internationale pour le Grec Yórgos Lánthimos, futur réalisateur hype de The Lobster, La Favorite et autre Pauvres créatures. Primé à Cannes dans la section Un Certain Regard et nommé à l’Oscar du meilleur film étranger, ce drame psychologique à la cruauté grinçante fait le portrait au vitriol d’une bourgeoisie détraquée. Trois adolescents isolés du monde extérieur y sont élevés par leurs parents au sein d’une riche demeure selon des préceptes aussi farfelus que mensongers, leur éducation se partageant entre exercices absurdes et jeux dégénérés. À l’improbable confluent du cinéma de Pasolini (un peu de Salò, beaucoup de Théorème) et de celui de Michael Haneke, cette charge féroce empreinte de critique sociale impose la froideur clinique du regard de Lánthimos et son goût pour une raideur d’interprétation relevée d’une pointe d’humour provocateur.
La Piscine
De Jacques Deray. 1969. Ressortie: 31/07.
Alain Delon et Romy Schneider, qu’on célébrait encore quelques années plus tôt en couple au glamour étincelant sous le nom des « fiancés de l’Europe », se retrouvent en 1969 devant la caméra de Jacques Deray pour cette troublante tragédie du désir et de l’incommunication qui se joue sous le décor lissé d’une superbe villa avec piscine de la Côte d’Azur. Ils y campent un couple alangui coulant des jours idylliques avant qu’un ex (-ami pour lui, -amant pour elle), flanqué de sa fille de 18 ans, mi-femme mi-enfant, ne vienne perturber leur harmonie et instiller une espèce de vénéneuse ambiguïté, entre pulsions de mort et inévitables lois de l’attraction… Tourné chronologiquement, ce film noir en plein soleil accompagne dans son récit et sa tonalité la trajectoire d’une relation passant insensiblement de l’exaltation des premiers moments à un amer désenchantement. Il se referme comme un piège sur ses protagonistes, aveuglés par la sueur et la jalousie.
Beau travail
De Claire Denis. 1999. Ressortie: 14/08.
Pour son quart de siècle, le chef-d’œuvre plastique et sensoriel de Claire Denis retrouve son milieu naturel: la salle de cinéma, son atmosphère électrisante et le magnétisme ensorcelant de son grand écran. Sous l’écrasant cagnard d’une Afrique à la beauté aliénante, la réalisatrice française y filme les passions secrètes d’un bataillon de légionnaires qui répare les routes et s’entraîne à la guerre. Marqué par son éternelle obsession pour l’éros et les corps, la mémoire et la mort, Beau travail oscille entre abstraction pure et ancrage profond, volupté du désir et menace constante d’une violence en latence. Superbement chorégraphié, ce ballet de chairs luisantes et tendues au confluent de l’ombre et la lumière ouvre sur une fascination confinant à l’hypnose. À noter que le tout premier long métrage de Claire Denis, le très beau Chocolat (1988), avec Isaach de Bankolé, ressort également dans les salles le 14/08 en version restaurée.
Mais aussi…
Alors que le toujours très actuel Orlando de Sally Potter (1992), ressorti en 4K dès le 12 juin dernier, est encore visible dans certaines salles (au Caméo à Namur et au Sauvenière à Liège, notamment), c’est une véritable pluie de classiques qui s’abat sur les écrans du pays le temps d’un été qu’on espère pas moins ensoleillé pour autant. On pointe ainsi, par exemple et pêle-mêle: After Hours de Martin Scorsese, Les Moissons du ciel de Terrence Malick, Trainspotting de Danny Boyle, Showgirls de Paul Verhoeven ou encore Strange Days de Kathryn Bigelow au cinéma Flagey à Bruxelles; Le Mépris de Godard, Le Roi et l’Oiseau de Paul Grimault, La Jetée de Chris Marker ou encore Bonjour tristesse d’Otto Preminger au cinéma Palace toujours à Bruxelles; Golden Eighties de Chantal Akerman au Sauvenière à Liège; plusieurs pépites de Hayao Miyazaki un peu partout dans le pays… Mais aussi la reprise dans certaines salles de plusieurs films de Marcel Pagnol en copies restaurées. Profitez de l’aubaine, revoyez vos classiques!
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