Cannes 2025: le débrief d’une édition dépourvue de véritable électrochoc

A Cannes, Jafar Panahi a décroché la Palme tant convoitée avec Un simple accident, un thriller politique déguisé.

Peu de nudité, pas de huées, guère de controverses, mais une belle récolte de films, une Palme d’or pour Jafar Panahi et un prix du scénario pour nos frères Dardenne. La 78e édition de Cannes s’est déroulée avec élégance, mais sans véritable électrochoc.


Samedi, Cannes s’est retrouvée plongée dans le noir, quand toute la station balnéaire de la Côte d’Azur a été brusquement touchée par une panne de courant. Comme si les dieux du festival avaient voulu résumer, en un geste ironique, l’état du cinéma. Les projecteurs se sont éteints, les climatiseurs se sont arrêtés, les robes collaient à la peau. Autour du Palais des Festivals, la jet-set du cinéma a erré pendant des heures sur la Croisette en quête d’électricité, de wifi et d’une flûte de champagne bien fraîche.

«On aurait dit une scène d’un film d’auteur post-apocalyptique», a soufflé quelqu’un tandis que Juliette Binoche, à l’intérieur, tentait de rassembler ses collègues du jury à la lumière d’une lampe de poche. Heureusement, il y avait un générateur de secours. Car à Cannes, on le sait, le spectacle doit continuer –même si le cinéma lui-même s’arrête un instant.

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Le même soir, le grand maître iranien Jafar Panahi a tout de même reçu sa Palme d’or pour Un simple accident, un thriller politique déguisé. Le film suit cinq anciens détenus qui enlèvent un fonctionnaire du régime qui les avait jadis torturés, jusqu’à ce que le doute s’installe: s’agit-il bien de la bonne personne? Un film d’une grande richesse morale, enraciné dans la réalité iranienne et inspiré des expériences personnelles de Panahi en prison. Un film puissant, sur ce point tout le monde était d’accord, mais ceux qui ont encore en tête Sang et or ou Hors jeu savent que Panahi peut aller encore plus loin.

La récompense reste néanmoins défendable: Un simple accident est urgent et percutant, même si cette Palme avait aussi des allures de geste politique –un signe de solidarité envers un cinéaste qui, depuis des années, incarne une inlassable épine dans le turban des ayatollahs iraniens.

La 78e édition du plus important festival de cinéma au monde a surtout été marquée par la sobriété et la moralité. Beaucoup de films étaient bons, peu étaient exceptionnels. Aucune révélation comparable à Parasite, Titane ou The Zone of Interest. Aucun film pour diviser les opinions en deux camps opposés. Et certaines œuvres très attendues ont franchement déçu. The Phoenician Scheme de Wes Anderson, bonbonnière gorgée de pastel et de symétrie, avait un goût de reste réchauffé. Quant à Julia Ducournau, elle a à peine ému avec Alpha, un trip de body horror sur la maternité et les mutations.

Sur le tapis rouge, la décence a régné pendant deux semaines, et ce n’est pas un hasard.

Le favori du public –et pour beaucoup le vainqueur moral– fut le Norvégien Joachim Trier, qui a donné une suite à son succès d’auteur Julie (en 12 chapitres) avec Valeur sentimentale (Sentimental Value), un portrait mélancolique père-fille-fille déguisé en film dans le film. Trier a obtenu les meilleures notes dans la presse spécialisée mais a dû se contenter du Grand Prix, autrement dit la Palme d’argent officieuse.

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L’Agent secret de Kleber Mendonça Filho, un thriller politique stylisé sur le Brésil des années 1970, a également été unanimement salué et a remporté les prix de la meilleure réalisation et du meilleur acteur (Wagner Moura).

Les vraies surprises sont venues d’ailleurs. L’Espagnol Oliver Laxe a frappé fort avec Sirat, une odyssée entre ravers post-apocalyptiques et poésie soufie dans le désert marocain. Mascha Schielinski a enchanté avec The Sound of Falling, un drame pictural sur quatre générations de femmes dans l’Altmark, au nord de l’Allemagne. Ces deux jeunes cinéastes ont partagé le prix du Jury, dans une sélection qui a préféré la subtilité au spectaculaire et avec un jury qui a surtout joué la carte de la prudence –mais avec goût.

Les Belges ont aussi fait entendre leur voix. Pas de troisième Palme d’or historique pour Luc et Jean-Pierre Dardenne, hélas. Mais les frères liégeois ont cette fois remporté le prix du scénario pour Jeunes mères, un film-mosaïque de réalisme social suivant cinq jeunes mères dans un centre d’accueil à Liège. Les Dardenne y restent fidèles à leur style: intimiste, dépouillé et animé d’une urgence morale. «Sans nos actrices, il n’y aurait pas eu de film», ont-ils déclaré en recevant leur prix.

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La Belgique s’est également fait remarquer positivement en dehors de la compétition officielle. L’Intérêt d’Adam, drame hospitalier d’inspiration dardenienne réalisé par Laura Wandel (Un monde) a été l’un des films les plus remarqués dans la section parallèle La Semaine de la Critique. Et dans La Quinzaine des Cinéastes –le festival bis dédié aux nouveaux talents et aux voix plus dissidentes– le premier long métrage de Valéry Carnoy, La Danse des renards, a remporté deux prix.

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Sur le tapis rouge, la décence a régné pendant deux semaines, et ce n’est pas un hasard. L’organisation avait mis en place un code vestimentaire visant explicitement à limiter l’exposition de peau, officiellement «pour préserver la sérénité du festival». En réalité: pour tenir à l’écart les starlettes trop ambitieuses et les influenceurs TikTok. Kristen Stewart, venue présenter son louable premier film en tant que réalisatrice, The Chronology of Water, dans la section Un Certain Regard, a déclaré qu’elle voulait protester en dévoilant sa poitrine sur le tapis rouge. Mais K-Stew a au final gardé sa chemise.

C’est comme si le festival était fatigué des scandales ou, pire, effrayé par les réactions du public. Pas d’évocation de #MeToo sur le tapis rouge, aucun discours incendiaire sur Gaza ou l’Ukraine, aucun slogan provocateur sous les paillettes. Seule ombre au tableau: la star déchue Kevin Spacey a reçu en dehors du programme officiel une vague récompense de gala, poussant Cannes à détourner brièvement le regard.

En coulisses, en revanche, l’agitation était plus palpable. Les droits de douane que le président américain Donald Trump souhaite imposer aux films étrangers planaient sur le festival comme une épée de Damoclès. Des producteurs européens ont parlé de «nationalisme culturel», et sur le Marché du Film, l’ambiance était plus à la nervosité qu’au champagne. Des rumeurs circulaient: des distributeurs américains repoussent les accords, et des réalisateurs français tentent soudain de financer leurs projets en Pologne. Dans les salons de la Croisette, on parlait donc plus de fonds de soutien européens et d’échapattoires fiscles que d’audaces cinématographiques.

Cannes 2025 a donc parfois semblé parfois un peu trop sage. Espérons que la prochaine édition osera de nouveau choquer, à l’écran comme sur la Croisette. Et surtout, que les coupures de courant ne resteront plus le moment le plus palpitant du festival.

Le palmarès

Palme d’Or: Un simple accident de Jafar Panahi (Iran)
Grand Prix: Valeur sentimentale de Joachim Trier (Norvège)
Prix du Jury: Sirât d’Oliver Laxe (Espagne) & Sound of Falling de Mascha Schilinski (Allemagne)
Meilleure réalisation: Kleber Mendonça Filho pour L’Agent secret (Brésil)
Meilleur acteur: Wagner Moura pour L’Agent secret
Meilleure actrice: Nadia Melliti pour La Petite Dernière (France)
Meilleur scénario: Jean-Pierre et Luc Dardenne pour Jeunes mères (Belgique)
Prix spécial du jury: Resurrection de Bi Gan (Chine)
Caméra d’Or (meilleur premier film): The President’s Cake de Hassan Hadi (Irak)




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