Call Me By Your Name, « mon idée ultime de la version art et essai d’un film Disney »
Adapté par Luca Guadagnino du roman éponyme d’André Aciman, Call Me By Your Name relate la relation amoureuse entre un adolescent italien et un étudiant américain de passage. Une ode à la beauté et à la sensualité, pour un film touché par la grâce.
S’immisçant au gré d’une partition virtuose au sein d’une famille d’industriels milanais, Io Sono l’Amore, le troisième long métrage de Luca Guadagnino (et celui qui le révélait), posait le réalisateur palermitain en digne héritier de Luchino Visconti. S’il s’essayait ensuite avec une réussite moindre à un remake détourné de La Piscine de Jacques Deray, échouant à reproduire le magnétisme du couple Delon-Schneider, Call Me By Your Name, son nouvel opus, le voit arpenter avec bonheur les allées du désir, matrice d’un cinéma à la sensualité léchée. Adapté du roman éponyme de l’écrivain américain André Aciman, classique de la littérature LGBT paru en français sous le titre Plus tard ou jamais, le film love dans la lumière délicate d’un été italien la rencontre entre Elio, un adolescent à l’âge des premiers émois, et Oliver, un étudiant américain venu passer quelques semaines dans la villa familiale. L’éveil amoureux qui s’ensuit produit un sentiment d’ivresse auquel l’on s’abandonne avec délice, et un an après sa première à la Berlinale, Call Me By Your Name n’en finit plus de fédérer public et critiques -ainsi, en octobre dernier, au festival de Zurich, cadre d’une rencontre détendue avec le cinéaste.
L’empire de la lumière
Longtemps pressenti pour réaliser le film, le cinéaste américain James Ivory (The Remains of the Day) en a finalement écrit le scénario, laissant à son collègue transalpin le soin de le porter à l’écran. Et le résultat porte incontestablement la griffe de Guadagnino: « Un film est aussi le produit de l’inconscient de celui qui le fait. Je suis un cinéaste italien et un cinéphile qui a été largement exposé au cinéma transalpin. J’ai donc apporté à Call Me By Your Name un cadre, Crema, la ville où je vis, à proximité de laquelle nous avons tourné, et qui constitue un environnement qui m’est on ne peut plus personnel. Comme l’est le fait que j’ai toujours été attiré par ce type de paysage des plaines du Nord de l’Italie, la « pianura padana », entre Milan et Bologne, qui se trouve être l’endroit où sont situés Le Désert rouge et La Notte , d’Antonioni. Mais aussi, de façon plus significative pour moi qui suis un « bertoluccien », de nombreux films de Bernardo, comme La Stratégie de l’araignée ou La Lune. J’ai cherché, dans mon esprit, des images du genre d’environnement avec lequel j’ai grandi, et qui m’a formé en tant qu’individu… » Un paysage ayant le don de subjuguer. Et, suivant l’expression du réalisateur, sa « contribution intime » au film. Pour en restituer l’exquise douceur, il a fait appel au maître thaïlandais Sayombhu Mukdeeprom, directeur de la photographie attitré d’Apichatpong Weerasethakul, rencontré à la faveur du tournage d’Antonia, de son compagnon Ferdinando Cito Filomarino. C’est peu dire que celui-ci a fait des prodiges: « Il a apporté la lumière, résume Guadagnino. Il a plu pendant les 30 jours du tournage, il n’y a donc pas le moindre rayon de lumière réelle, tout est faux. Sayombhu a apporté une grâce et une capacité à montrer l’invisible qu’une sensibilité européenne n’aurait peut-être pas été en mesure de trouver. »
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Le cadre ainsi posé, le réalisateur a avancé l’action du roman de quelques années, de 1988 à 1983 précisément, le Love My Way des Psychedelic Furs balisant la relation d’Elio et Oliver au même titre que les chansons écrites pour l’occasion par Sufjan Stevens. Un changement moins anodin qu’il n’y paraît. « Dans une perspective italienne en tout cas, 1983 constitue la dernière année d’un cycle où nous perdons notre innocence, observe-t-il. Toutes les expériences qui avaient débuté en 1968 pour se prolonger pendant les années 70, une des décades les plus frappantes du XXe siècle à mes yeux, se sont fracassées avec Reagan. Le venin de la politique de Reagan et Thatcher, cet ultra-libéralisme sans pitié ni empathie, a commencé à saper les fondements des aides sociales et de la société telle qu’on la concevait alors. Thatcher a d’ailleurs dit que le concept même de société n’existait pas, et qu’il n’y avait que des groupes d’individus. En situant le film en 1983, nous accrochons l’ultime lueur d’un crépuscule. » Que ce soit là également l’époque où l’on a commencé à parler du sida ne serait, à l’en croire, qu’accessoire – « ça ne fait pas partie de notre histoire »-, mais l’on prête depuis à Guadagnino l’intention de tourner une suite du film où il serait question de l’épidémie.
Écouter le rythme d’une situation
L’on n’en est pas encore là cependant, Call Me By Your Name se concentrant sur la relation se nouant entre deux jeunes gens, Elio et Oliver, que Timothée Chalamet et Armie Hammer incarnent avec une évidence décontractée. « Quand j’ai rencontré Timothée, j’ai trouvé que son intelligence, son ambition et sa discipline convenaient parfaitement au rôle. En plus de quoi la finesse de ses traits, même s’ils ne correspondent à aucun canon publicitaire, collait parfaitement à un jeune intellectuel fiévreux. Quant à Armie, il est conforme au scénario, qui parle d’un golden boy venu d’Amérique surnommé la star de cinéma et dont tout le monde tombe sous le charme… » La caméra également, d’ailleurs, qui accompagne le duo dans la campagne italienne au rythme nonchalant des promenades à bicyclette. « On ne commence à comprendre le rythme d’un film que pendant le tournage, mais je ne cherche pas à éviter de m’appesantir sur une réaction ni sur un blanc entre des dialogues. Je ne pensais pas que Call Me By Your Name durerait 2 heures 10, mais Walter Fasano, le monteur, m’a encouragé à risquer des plans plus longs, comme lorsqu’ils sont à vélo et qu’ils continuent à rouler jusqu’au moment de disparaître dans l’horizon. Nous avons testé trois versions de la scène: courte, moyenne et très longue. La prise la plus courte était efficace et forte, c’était un moment accrocheur mais dénué de désir. L’option médiane ressemblait à de la télévision. Alors que tous ceux qui ont vu la version longue ont retrouvé cette émotion qui vient vous nouer l’estomac lorsque l’on s’apprête enfin à embrasser quelqu’un pour la première fois. C’est un phénomène intéressant: Martin Scorsese a dit dans une interview que l’on devait veiller à écouter le rythme d’une situation et aller au-delà du simplement agréable pour produire un effet. »
La version art et essai d’un film Disney
Celui produit par ce film à la beauté généreuse n’est pas seulement grisant, il se révèle aussi particulièrement stimulant, alors que l’on observe la passion amoureuse s’y épanouir dans un environnement propice -juif, lettré et aisé, dans le désordre. « L’arrière-plan juif figurait déjà dans le roman, et me semblait important, poursuit Guadagnino , parce que ça faisait de l’un et de l’autre des exceptions, ce qui permettait de les lier, et de les faire partager un premier moment de connivence. Ce qui m’a conduit à la scène plus tardive réunissant Elio et sa mère, un moment d’une grande sérénité en disant beaucoup plus que les mots ne pourraient jamais le faire. Quant au fait que mes films se déroulent dans des milieux aisés, je pense que c’est l’effet conjugué du hasard et de l’inconscient, à nouveau. Je viens d’une famille normale, mon père était prof d’italien, j’ai grandi en Éthiopie, et nous n’étions ni riches, ni pauvres. J’y vois une pure coïncidence, liée aux histoires qui m’intéressent: Io Sono l’Amore parlait de la destruction d’une maison fortunée, c’est un film très dur sur la stérilité de l’aisance. A Bigger Splash évoquait la nostalgie de posséder quelqu’un dans un cadre artistique privilégié. Et ce film se penche sur une utopie surgissant dans un monde cultivé. Ce sont trois modes de richesse différents, je ne peux pas nier qu’ils tournent autour de ce sujet, mais j’aspire aussi à m’intéresser à d’autres environnements sociaux. Peut-être ai-je été perverti par Les Buddenbrook de Thomas Mann, que j’ai lu à douze ans, et auquel je n’ai cessé de revenir depuis. Cet ouvrage a exercé une influence énorme sur moi. Il y a dans la texture du monde qu’il décrit comme dans sa chute quelque chose de toujours érotique à mes yeux… »
Si l’on parle d’environnement favorable, c’est aussi parce que l’harmonie semble y couler de source, sentiment culminant dans une scène de toute beauté où le père d’Elio lui parle de l’amour et de la vie. Quelque chose comme la clé du film, ponctuant ce voyage émotionnel sur un moment aussi rare que précieux. « Je chéris l’idée que Call Me By Your Name soit un film sur la transmission de la connaissance entre des gens proches à savoir, à la base, la famille. Pour moi, il s’agit d’un film sur la famille mais aussi d’un film familial, et je nourris l’espoir que, peut-être, des parents iront le voir avec leurs enfants. Call Me By Your Name constitue mon idée ultime de la version art et essai d’un film Disney. » Réalisé, cela va sans dire, avec la bénédiction de la fée cinéma…
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