Avec The Phoenician Scheme, Wes Anderson se prend pour Orson Welles

Wes Anderson plonge un magnat des affaires (Benicio del Toro) et sa fille nonne (Mia Threapleton). © Courtesy of TPS Productions/Focus Features 2025 All Rights Reserved.

Un univers merveilleux et un nabab haut en couleur fumant le cigare. The Phoenician Scheme serait-il le Citizen Kane de Wes Anderson?

Ce n’est pas un chef-d’œuvre révolutionnaire du 7e art. Il ne surpasse en rien The Life Aquatic with Steve Zissou (2005), Fantastic Mr. Fox (2009), Moonrise Kingdom (2012) ou The Grand Budapest Hotel (2014). Si The Phoenician Scheme est le Citizen Kane de Wes Anderson, c’est surtout parce qu’il a articulé son film, à l’instar d’Orson Welles, autour d’un magnat.

Benicio del Toro (Traffic, Sicario) crève l’écran dans le rôle d’Anatole «Zsa-zsa» Korda, un richissime industriel qui se soucie peu des tentatives d’assassinat ou des lois. En 1950, il lance un projet gigantesque, le Korda Land and Sea Phoenician Infrastructure Scheme, censé permettre une industrialisation et une exploitation à grande échelle en Phénicie, un royaume aussi fictif que la république de Zubrowka dans The Grand Budapest Hotel. «Monsieur 5%» devrait alors percevoir 5% des recettes totales pendant 150 ans. Mais le plan nécessite des travaux colossaux, et après une manipulation des prix des matières premières, Zsa-zsa se retrouve avec un déficit équivalant à la totalité de sa fortune, «et même un peu plus». Il ne lui reste qu’une option: retrouver un à un ses principaux partenaires, et renégocier.

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Zsa-zsa incarne l’archétype du magnat européen impitoyable et charismatique. Un personnage distinct de son homologue américain: plus grandiose encore, quasi mythique, et devenu immensément riche grâce à la transformation extraordinaire de l’Europe d’après-guerre.

Zsa-zsa est un négociateur plus habile que Trump, un renard rusé et un capitaliste sans scrupules, doté d’un goût raffiné et d’une curiosité sans bornes. Collectionneur infatigable d’antiquités, de trésors artistiques et naturels.

En amont du tournage, Wes Anderson et Benicio del Toro ont revu Citizen Kane –«le film de magnat par excellence»–, L’Affaire Mattei (1972) de Francesco Rosi, et David Golder (1931), une adaptation du roman d’Irène Némirovsky par Julien Duvivier. Zsa-zsa est e le genre de personnage autrefois incarné par des stars comme Anthony Quinn, Lino Ventura ou Jean Gabin.

Le duo s’est surtout inspiré d’hommes d’affaires réels comme Gianni Agnelli, célèbre patron de Fiat, Aristote Onassis –amant de Maria Callas et époux de Jackie Kennedy–, l’armateur grec Stávros Niárchos, ou encore le banquier hongrois Arpád Plesch. Mais c’est Calouste Gulbenkian, le vrai «Monsieur 5%», qui les a le plus fascinés. Le réalisateur juge l’histoire de ce philanthrope arménien et collectionneur d’art –«mais surtout un grand capitaliste»– aussi captivante qu’effrayante. Le Moyen-Orient actuel est en partie le fruit des accords pétroliers qu’il a négociés.

«Je pensais que ça aiderait les acteurs d’être entourés de vrais tableaux. C’était palpable sur le plateau: ces œuvres ont une aura.»

Boîtes à chaussures

Wes Anderson a dédié The Phoenician Scheme à son défunt beau-père, Fouad Malouf. Cet ingénieur civil et entrepreneur libanais avait un jour dit à sa fille, Juman: «Il faut que je t’explique mon travail, au cas où il m’arriverait quelque chose.» «Ensuite, il a sorti des boîtes à chaussures des placards, dans lesquelles tous les dossiers étaient conservés. C’est ainsi qu’est né le personnage de Korda», a raconté le réalisateur après la projection en première mondiale au Festival de Cannes. Le film commence lorsque Zsa-zsa désigne sa fille, qui a grandi dans un monastère, comme unique héritière, avant d’exhumer des boîtes à chaussures contenant la description détaillée de tous ses projets extravagants.


© Courtesy of TPS Productions/Focus Features 2025 All Rights Reserved.

Le personnage de Marseille Bob, chef mafieux incarné par Mathieu Amalric, s’inspire, lui, des (anti-)héros des films de gangsters français réalisés par Jean-Pierre Melville ou Jacques Becker (Bob le flambeur, Touchez pas au grisbi). Celui de Michael Cera, un professeur norvégien d’entomologie que Zsa-zsa emmène partout avec lui pour disposer en permanence d’un accès au savoir, est inspiré du naturaliste français Jean-Henri Fabre (1823–1915), surnommé «le Virgile de l’entomologie».

Un Magritte au mur

Si Zsa-zsa est encore plus avide de voyages que notre Tintin national, dans les faits, l’équipe du tournage ne s’est pratiquement jamais éloignée de Babelsberg, en Allemagne, le plus ancien studio de cinéma au monde. Elle y a construit chaque décor, accessoire ou moyen de transport avec un sens aigu du détail, de la couleur et de l’esthétique. Dans l’univers immédiatement reconnaissable d’Anderson, rien n’est jamais laissé au hasard.

Pour la salle de bal de l’hôtel égyptien, tous les hiéroglyphes ont été conçus un par un, puis peints à la main par des lettriers. La pièce maîtresse du film est toutefois la demeure de Zsa-zsa. Les principales références étaient la maison parisienne de Calouste Gulbenkian et son palazzo vénitien. Les murs et colonnes en marbre ont été carrément peints à la main, comme autrefois. Les œuvre accrochées aux murs ne sont pas des reproductions. L’Enfant assis avec une robe bleue de Renoir –autrefois propriété de Greta Garbo– et L’Equateur de Magritte y sont réellement exposés. Wes Anderson a convaincu la Collection Nahmad et la Pietzsch Collection de prêter les œuvres. «Je pensais que ça aiderait les acteurs d’être entourés d’objets authentiques. C’était palpable sur le plateau: ces œuvres ont une aura.» Ces tableaux n’ont pas été choisis au hasard. Ainsi, le premier est accroché au-dessus du lit de Liesl, la fille de Zsa-zsa, car il représente «le contrepoint parfait à la folie ambiante». En plus de ça, la maison Prada a fabriqué son sac à dos. Dunhill a fourni la pipe sertie de bijoux de Liesl, et Cartier son chapelet. L’artiste suisse Harumi Klossowska de Rola a conçu sa dague.

Même si l’histoire ne semble mener nulle part ou évoque une bande dessinée de Tintin, beaucoup prendront plaisir à s’immerger dans l’univers merveilleux de Wes Anderson. Après tout, si son monde ne ressemble pas au monde réel, le monde réel ressemble un peu plus à celui de Wes Anderson.

The Phoenician Scheme

Comédie d’aventure de Wes Anderson. Avec Benicio del Toro, Mia Threapleton, Michael Cera. 1h41.

La cote de Foucs: 3,5/5

Certaines personnes ne veulent tout simplement pas mourir. C’est le cas de Zsa-Zsa Korda (Benicio del Toro), magouilleur millionnaire qui survit à son sixième crash d’avion dès l’entrée en matière de The Phoenician Scheme. Un accident, ou plutôt une tentative d’assassinat, qui le laisse songeur. Que laissera-t-il derrière lui? Surtout, qui héritera de sa colossale fortune? L’un de ses neufs fils adoptifs? Ou sa fille, Liesl (Mia Threapleton), élevée avec de fortes valeurs religieuses, bien loin des entourloupes de son père? Derrière ses cadrages bariolés et ses péripéties loufoques, c’est bel et bien une méditation sur la mort et la rédemption qui parcourt The Phoenician Scheme. Un Wes Anderson intime mais rocambolesque, contrastant avec le dispositif statique et métatextuel d’Asteroid City.

J.D.P.

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