Carte blanche
Autant en emportent les cons (carte blanche)
« L’annulation de la projection d’Autant en emporte le vent est une nouvelle illustration du courant de décérébration qui s’est emparé de notre société », clame le neurologue et écrivain Antoine Sénanque dans cette carte blanche.
L’annulation de la projection d’Autant en emporte le vent au Grand Rex sur demande de la Warner Bros est une nouvelle illustration du courant de décérébration qui s’est emparé de notre société. La barque qui circule sur ce fleuve qui accélère son cours depuis une décade s’appelle la nouvelle morale. Nous nous retrouvons tous, qu’on le veuille ou non, entassés sur ce nouveau véhicule.Le rythme s’accélère et nous n’avons que très peu de moyens de freiner l’évolution exponentielle du phénomène. Autant en emporte le vent est raciste comme La chevauchée fantastique l’est. Comme tous les westerns le sont dès qu’ils mettent en scène un sauvage indien massacré par un cow-boy civilisé. Excluons donc les westerns de nos collections cinéma. Excluons tous les films qui donnent de l’histoire une vision biaisée, intolérante, manichéenne. Excluons! puisque nous sommes aujourd’hui des modèles de perfection morale et que nous avons fait amende honorable de toutes nos erreurs passées. Excluons et voyons ce qui restera de la culture.
On parle d’un film américain mais il ne faut pas s’arrêter là. Un coup d’oeil sur notre patrimoine et nous verrons que nos oeuvres les plus innocentes sont farcies de sectarisme. Pourquoi ne pas considérer que la trilogie de Marcel Pagnol, Marius, Fanny et César, constitue une grave atteinte aux droits des Marseillais. Car quel Marseillais aujourd’hui peut se reconnaître dans l’image qui lui est donnée de lui-même, de joueur de belote alcoolisé au pastis, tricheur, menteur et totalement centré sur son petit monde, indifférent au sort du moindre quidam né à plus de quarante mètres du vieux port.
Je lis dans Le Parisien du samedi 13 juin 2020 que des soi-disant historiens mettent sur un plan comparable Autant en emporte le vent et Mein Kampf et jugent nécessaire d’imposer un avertissement préalable au visionnage ou à la lecture. Comme quoi la connerie est souvent diplômée.
J’y vois deux points à souligner:
1: Le mépris complet pour l’intelligence moyenne du public qui accéderait à une révélation inespérée grâce à l’avertissement d’une phrase de prévention ouvrant les oeuvres sulfureuses.
2: Faudra-t-il passer toutes les oeuvres au tribunal de la nouvelle inquisition? Pensons aux films qui nous resteront, ceux qui auront le label bonne moralité. Les films lèche-culs, bien-pensants, bien propres qui s’engraissent des millions d’entrées de spectateurs frileux mais contents d’être rassurés dans les salles sur une société qui leur est montrée comme elle est dans la vie, gentille, aimable, ouverte, multiculturelle.
Tout cela rappelle quand même une époque particulièrement sombre pour le cinéma et pourrait bien initier un nouveau maccarthysme à la sauce européenne. Naissance de la nouvelle censure à costume de tolérance et de bonne moralité. Censure propre.
Tiens, pour les historiens révisionnistes d’Hollywood, je rappelle que c’est grâce à Autant emporte le vent que le premier Oscar pour un acteur noir a été attribué (Hattie McDaniel) et que Hollywood a commencé à entrouvrir ses portes à la diversité. Les redresseurs de torts ont donc bien raison d’interdire le visionnage de cette oeuvre qui a participé à l’évolution de la société mixte. Le thème du film était la fin d’une époque.
Il faudra consacrer quelques mètres de pellicule à la fin du cinéma, la fin d’un temps d’expression libre, où l’humanisme de surface ne suffisait pas. Du conformisme, des leçons de conduite, de la médiocrité, voilà ce qui restera. Autant en emportent les cons.
Antoine Sénanque
Écrivain Grasset
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