Raphaël Quenard est partout. Après avoir publié son premier roman en mai dernier, il sort cette semaine I Love Peru, long métrage qu’il cosigne avec son complice Hugo David. Le portrait déjanté d’un comédien «biscornu».
Difficile ces derniers temps pour qui s’intéresse un peu au cinéma français d’avoir échappé au profil escarpé de Raphaël Quenard: le comédien, devenu incontournable en l’espace de quelques mois, compte une trentaine de films à son actif en cinq ans, sans compter les séries. C’est dans une série justement qu’il crève l’écran en 2021, la saison 3 de Family Business d’Igor Gotesman, où il vole la vedette à Jonathan Cohen et Gérard Darmon, pourtant à plein régime. On se dit alors que soit il est fou, soit c’est un génie, et bien heureusement, la vérité est ailleurs.
C’est certainement ce que se dit aussi Hugo David, chargé de réaliser un making of sur le tournage de Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand. L’étoile de Raphaël Quenard commence alors tout juste à scintiller et les deux hommes se disent qu’ils partagent le même humour et la même envie de créer en dehors des cases, et que la notoriété naissante du comédien pourrait leur ouvrir de précieuses portes pour imaginer le biopic parodique façon mockumentaire d’un jeune acteur sur le point de percer. «On a toujours voulu tourner les choses en dérision, confie Raphaël Quenard. A l’origine, on voulait raconter l’histoire d’un comédien obnubilé par les récompenses, qui gravite dans l’industrie mais sans en avoir les codes, et se heurte avec maladresse à une réussite qu’il pourchasse. Ça devait s’appeler Sur la route d’un hypothétique César.»
En miroir
Bien vu, puisque le «vrai» Raphaël Quenard reçoit en 2024 le César de la Révélation masculine. Le «faux» aussi d’ailleurs, ce qui dans I Love Peru le fait exploser en plein vol, avant d’atterrir six mois plus tard, le cœur en miettes, avec un billet d’avion en trop pour le Pérou (et ça c’est «vrai»), qu’il offre à son complice biographe. Le film se déploie en deux temps: d’abord le portrait d’une ascension, puis un voyage initiatique qui cimente l’amitié entre l’auteur et le sujet de son récit. Cette construction en miroir n’était pas planifiée. «La vérité, poursuit Quenard, c’est qu’après avoir fait toutes ces images dans les coulisses du cinéma, ces presque 200 heures de rushes sur les plateaux, avec des comédiens et des comédiennes qu’on a dû convaincre malgré les réticences de leurs agents, on nous a incités à écrire un scénario dans cette veine, ce qu’on a fait. Mais ce scénario coûtait beaucoup trop cher à produire, on a dû y renoncer. Quand on s’est envolés pour le Pérou, après l’échec de cette première écriture, c’était dans l’optique de faire complètement autre chose: un film qui aborderait le deuil amoureux, même si toujours sous un angle comique, et via le prisme du mockumentaire. En rentrant, on s’est dit que les deux pouvaient marcher ensemble. Au cours du montage, on a compris que ce qui liait les deux, c’était notre histoire d’amitié. C’est donc devenu le fil rouge de tout le projet.»
Mais ce qui relie également ces deux mouvements, c’est le souffle de liberté qui les anime. «C’est un micro-dispositif, juste Raphaël et moi, explique Hugo David. La première partie était très dépendante des opportunités offertes par la carrière de Raphaël. On a beaucoup tourné, sans autorisation, on a pris pas mal de risques, avec comme seul luxe le temps qu’on était prêt à offrir. C’était très instinctif.» Instinctif, et rassurant pour le comédien: «Du fait de ne tourner qu’avec Hugo, un ami vis-à-vis duquel je n’ai aucune gêne, j’ai pu aller dans beaucoup plus de zones émotionnelles confrontantes, sans me sentir jugé. Dans un cadre plus conventionnel, avec une grande équipe, un texte, une mise en scène, des costumes, d’autres acteurs, tout ça ce sont des barrières entre la situation que tu racontes et une forme de crédibilité. Là, on peut aller plus en profondeur dans les sentiments et les émotions, trouver une authenticité renforcée.» Une authenticité, mais toujours dans la fiction, parce que «même en voulant raconter une forme de vérité, on fait de la fiction», rappelle Hugo David.
«Au cours du montage, on a compris que ce qui liait les deux, c’était notre histoire d’amitié. C’est donc devenu le fil rouge de tout le projet.»
Epuiser le personnage
Le film lui-même prévient d’entrée de jeu, citant Neruda afin de lever toute forme de doute: «La vérité, c’est qu’il n’y a pas de vérité.» Et c’est peut-être ce qu’il y a de plus fascinant dans le film, cette façon de jouer le vrai du faux, de se réapproprier aussi pour l’acteur –devenu malgré lui (ou pas tout à fait?) un mème sur Internet– une nature tellement forte, une posture, une diction, qu’on pourrait voir dans le film comme une tentative d’épuisement du personnage, ou plutôt de la persona, dans le sens anglo-saxon du terme, le masque utilisé en public. Un masque encombrant tant il peut contaminer le travail d’un acteur. Comme si, avant de passer à la suite (il sera Johnny Hallyday dans le biopic réalisé par Cédric Jimenez, annoncé pour 2027), il fallait lui offrir un point final. Porter haut le masque, s’amuser des fantasmes.
«Forcément, ce métier réduit nos zones d’intimité, confirme Raphaël Quenard. Même si en vrai, les moments où il y a une caméra qui me suit ne représentent qu’une infime partie de ma vie. Mais cette partie infime est l’objet d’un fantasme chez les autres, qui forcément se fourvoient.» Parce que ce que raconte aussi I Love Peru, c’est l’histoire d’un jeune acteur, dans les années 2020, qui cherche à jouer le jeu de l’industrie à son avantage, sans pour autant s’y soumettre. D’une certaine façon, cela fait écho à la démarche d’autres jeunes artistes de la scène musicale par exemple, qui se sont créés dans le contrôle de leur image et de leurs moyens de production. Une dynamique difficile à adopter pour un acteur, objet du désir d’un cinéaste. Et on mesure le paradoxe (et la liberté) d’avoir d’un côté prêté sa persona à tellement de cinéastes en si peu d’années, et en même temps, d’avoir cherché sa voix en littérature (avec la parution en mai dernier de Clamser à Tatouine, son premier roman), mais aussi au cinéma avec ce film, devenant sujet et non plus objet de sa propre légende en train de s’écrire.
I Love Peru
Comédie de Raphaël Quenard et Hugo David. Avec Raphaël Quenard, Hugo David, Anaïde Rozam. 1h09.
La cote de Focus: 3/5
Fin 2021, Hugo David tourne un making of sur le tournage de Chien de la casse, où il croise un jeune acteur prometteur, Raphaël Quenard. Débute alors une bromance doublée d’un projet artistique un peu barré: documenter l’ascension d’un comédien en route pour la gloire. S’ensuivent une ribambelle de guest-stars qui ont la carte, une explosion en vol savamment orchestrée après les César et une escapade péruvienne censée soigner un chagrin d’amour. Ce mockumentaire malicieux s’avère éminemment foutraque, parfois aussi horripilant que peut l’être son protagoniste. Si l’on part potentiellement agacé de voir «encore un film avec Raphaël Quenard», on ne peut que constater la sincérité d’une démarche entamée bien avant qu’il ne soit l’acteur que tout le monde s’arrache, et qui fait écho, à sa façon, aux nouveaux modes d’expression des jeunes artistes à l’ère numérique.