Après 120 Battements par minute, l’Île rouge: ce qu’on a pensé du nouveau film de Robin Campillo
Robin Campillo (120 battements par minute) revient avec un nouveau film pénétrant, L’Île rouge, relecture obsédante de son enfance à Madagascar.
On l’avait quitté avec les réminiscences de son geste militant chez Act Up, Robin Campillo est de retour en remontant encore un peu plus haut le fleuve de sa jeunesse, pour s’arrêter au début des années 70 à Madagascar. Un retour aux sources inscrit dans sa chair et ses souvenirs, ceux qui reviennent comme ceux qui sommeillent: “L’Île rouge comme 120 battements par minute sont des films que je portais en moi, nous explique le cinéaste. J’ai vécu ces périodes en emmagasinant les choses dans un coin de ma tête, comme si je faisais moi-même mon cinéma.«
« J’avais un sentiment très ambigu par rapport à Madagascar. Il y avait une part de bonheur, c’est le pays imaginaire de l’enfance pour moi. Mais je ne savais pas quoi faire de la nostalgie que j’en avais. J’ai eu un premier déclic en racontant au scénariste Gilles Marchand qu’une nuit, j’étais sorti sur la base militaire habillé en Fantômette, un moment fondateur qui porte déjà l’étrangeté en soi. C’est à partir de là que s’est cristallisée la construction du film: rejouer le paradis colonial, et en même temps sa chute, investir la nuit de cette illusion. »
« Je savais que la présence française sur l’île était illégitime, qu’elle était un post-colonialisme qui ne disait pas son nom, mais cette réflexion m’a permis de déchirer le rideau de la nostalgie, et faire un film aussi pour les Malagasy (terme malgache pour désigner les habitants de Madagascar, NDLR), qui puisse résonner pour eux. Je pense que quand on fait un film, on fait un geste de vérité. Je ne dis pas que mon film dit la vérité ultime, mais j’essaie néanmoins de produire une vérité par rapport à ce que j’ai ressenti et compris.”
Le personnage central au début du récit est le jeune Thomas qui du haut de ses 10 ans observe le petit théâtre des adultes qui gravitent autour de lui. Ce petit théâtre est une bulle, celle dans laquelle semblent vivre ses parents et leurs congénères. “C’est amusant parce qu’on souligne souvent l’étroitesse du regard de l’enfant. Mais je ne crois pas qu’en tant adulte on ait une vision totale du monde. On a une vision très parcellaire, où le hors champ est très important. Je voulais faire comprendre au spectateur que ce paradis n’existe que parce qu’il y a du hors champ. Des choses que les adultes ignorent dans les deux sens du terme, c’est-à-dire des choses qu’ils ne savent pas, et des choses qu’ils ne veulent pas voir.”
Il y a des choses aussi qu’ils ne veulent pas montrer: “L’enfant observe les adultes et, comme le lui dit sa mère, il y a des moments où ils n’ont pas envie d’être regardés. Il voit leur présence, mais aussi leurs absences, les moments où ils n’ont plus envie de jouer le jeu de la grande pièce de théâtre qu’est l’illusion coloniale. Peu à peu, il comprend que les adultes se racontent encore des histoires, ici celle du bonheur à Madagascar.” C’est une illusion géopolitique, mais aussi une illusion sentimentale qui se joue sous ses yeux. Les adultes papillonnent avec une légèreté appuyée. Ils semblent interpréter l’amour et le couple plus que le vivre. “Le couple lui aussi est une performance théâtrale, qui vise à donner l’illusion de la stabilité et du bonheur”, acquiesce Robin Campillo.
Congédier la nostalgie
Mais il y a le hors champ, l’endroit où se joue une tout autre partition. Dans le film, il prend vie dans la nuit, où tombent les masques (sauf celui de Fantômette) et éclatent les illusions. “Alors qu’elle organise une fête, la mère dit à son fils qu’elle ne se ressemble pas la nuit, et que c’est pour ça qu’on couche les enfants. Il y a quelque chose de la métamorphose, comme si la nuit portait en elle une ivresse et une libération propres. Quand l’enfant sort la nuit, ce qu’il voit d’abord, c’est un théâtre sans ses acteurs. La nuit dénude ce que l’activité diurne essaie de masquer. S’y confronter, c’est se confronter à une certaine vérité des êtres, quand ils ont terminé de jouer dans le théâtre social total.”
Mais ce qui se joue surtout dans cette nuit, c’est un basculement vertigineux, la réappropriation aussi du récit et du discours par Miangaly (Amely Rakotoarimalala), jeune femme malagasy, qui en s’émancipant figure la révolution en cours. “Je pense que j’ai fait le film pour Miangaly. J’adore les métamorphoses de personnage. La première fois qu’on la voit, on se dit qu’elle est belle, qu’elle sait bien se tenir, on reste dans le fantasme colonial. Peu à peu, on s’aperçoit qu’elle a une liberté dans sa manière de penser et une lucidité dans ce qu’elle voit du monde. Ce qui était très fort pour moi, c’était de passer dans son point de vue, mais aussi dans sa langue. Je trouve ça incroyable quand dans les films, en changeant de langue, on se met à mieux comprendre l’autre. Avec ce film, je congédiais ma nostalgie comme les Malagasy congédient les Français de l’île et du film. L’objet du film, c’est la révolution.”
L’Île rouge
Thomas, jeune enfant d’une dizaine d’années, épie ses parents et leurs amis lors d’un barbecue estival dans la cour de leur maison à Madagascar. On est au début des années 70. Ce qu’observe le petit garçon des coulisses, c’est le petit théâtre de la présence française sur l’île, où l’on cache les serviteurs que l’on ne saurait voir dans le tableau, pour mieux jouer les petits jeux de l’amour et du hasard sous le soleil brûlant. Mais quand le jour se couche, les masques tombent et révèlent dans la profondeur de la nuit une tout autre vérité. Ce paradis suspendu dans l’espace et le temps tient plus de la mascarade que du miracle. Débuté comme le journal intime d’une enfance paradisiaque où surgissent d’inquiétantes dissonances, le film bascule, opérant un recadrage bouleversant où les supposés figurants reprennent les rênes du récit, emmenés par la figure tranquillement mais résolument révolutionnaire de Miangaly, jeune femme opiniâtre, maîtresse de son destin.
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