Animale, un western fantastique au milieu des taureaux: “Ils ont toujours représenté dans mon esprit un mélange de prédation et de beauté”

Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Avec Animale, la Française Emma Benestan signe une sorte de film de loup-garou mâtiné de body horror au féminin qui parle du corps et de ses transformations dans le milieu singulier de la tauromachie en Camargue.

 

Trois ans après Fragile, comédie romantique qui questionnait notamment les injonctions de genre, la Montpelliéraine Emma Benestan revient avec un deuxième long métrage de fiction, Animale (sortie ce 18/12), noyauté autour d’une jeune femme, Nejma (Oulaya Amamra), qui s’entraîne dur dans l’espoir de remporter la prochaine course camarguaise, un concours où l’on défie les taureaux dans l’arène. Mais alors que la saison bat son plein, des disparitions suspectes inquiètent, semblant indiquer qu’une bête sauvage rôde dans les environs… Interview avec la cinéaste au festival de Cannes, où le film faisait cette année la clôture de la Semaine de la Critique.

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Comment naît un film comme Animale?

J’ai grandi à 45 minutes de la Camargue. Et, ces dernières années, j’ai fait deux documentaires et une fiction radiophonique autour du monde taurin. Plus jeune, j’étais par ailleurs très fan de la série Buffy contre les vampires. J’ai eu envie d’amener des éléments de fictions de genre dans cet endroit que je trouve extrêmement magique qu’est la Camargue. Il y a en effet pour moi quelque chose de quasiment mythologique ou fantastique qui se dégage de cet endroit. L’histoire d’Animale a commencé à se tisser à partir de ce désir-là. Plein de choses, plus ou moins intimes, sont ensuite venues s’ajouter au scénario. Mais, à la base, j’ai avant tout répondu à l’appel d’un territoire, qui m’a toujours happée et passionnée. Et qui m’a toujours questionnée aussi.

© DR

Comment as-tu approché le milieu des raseteurs, principaux acteurs de la course camarguaise, qui descendent dans l’arène pour défier le taureau?

Je connaissais ce milieu parce que, quand j’étais adolescente, on allait en Camargue aux fêtes votives, c’est-à-dire ces fêtes de village avec des lâchers de taureau. C’est un peu comme des ferias, sauf qu’il n’y a pas de mise à mort de la bête, par exemple. Il peut y avoir des corridas mais c’est plutôt majoritairement des courses. Nous, quand on était plus jeunes, on allait beaucoup au taureau-piscine, avec un taureau et une piscine dans l’arène donc. J’ai toujours été, je pense, fascinée par le taureau. Il était très présent dans nos fêtes. Peu de filles descendent dans l’arène, mais ça titille fortement un certain goût pour le danger. Plus tard, j’ai lu les Métamorphoses d’Ovide et j’ai découvert le mythe du Minotaure. Ça donnait à la Camargue un air de Grèce antique (sourire). Le taureau a toujours représenté dans mon esprit un mélange de prédation et de beauté que je trouve très intéressant. Après, ça a été un vrai enjeu technique de déterminer comment filmer les bêtes. On a essayé de travailler sur quelque chose de très immersif, c’était un sacré challenge.

Le taureau est aussi un symbole de virilité. Dans Fragile, ton précédent long métrage, tu questionnais déjà énormément une certaine masculinité. Animale réfléchit quant à lui beaucoup à ce que signifie être une femme dans un monde d’hommes…

Complètement. En apparence, Animale n’a pas grand-chose à voir avec Fragile. Puisque je passe d’une comédie romantique à un western fantastique. On peut difficilement imaginer registres plus différents. Et pourtant je parle plus ou moins des mêmes choses dans les deux films, c’est vrai. Dans ma comédie romantique, qui est un genre qu’on labellise souvent comme « féminin », je me suis amusée à attribuer une certaine fragilité à un homme. Dans mon western fantastique, qui est un genre qu’on labellise souvent comme « masculin », j’ai choisi de travailler autour des attributs de force et de courage chez une femme. Chloé Zhao, qui est une réalisatrice que j’aime beaucoup, dit que le féminisme doit être un humanisme. C’est-à-dire qu’il doit passer autant par notre interrogation des hommes que des femmes. Aujourd’hui, on se focalise sans doute un peu trop sur des personnages de femmes puissantes. C’est important de s’intéresser aussi aux hommes, dans leur violence comme dans leur douceur. Et puis dans cette injonction toxique à la virilité qui traverse la société. Alors voilà, j’essaie de faire les deux. Et en ce sens, Fragile et Animale sont un peu les deux faces d’une même pièce.

© DR

Comme récemment Titane de Julia Ducournau ou The Substance de Coralie Fargeat, Animale emprunte les codes du body horror pour parler du corps et de la féminité, de la transformation et de la monstruosité…

Oui, j’avais envie de parler de féminité et de monstruosité tout en restant, comme Julia Ducournau, proche des monstres. On a longtemps approché la transformation chez la femme comme une forme de prédation ou d’attraction sexuelle, comme dans La Féline de Jacques Tourneur, ou alors comme une forme de menace terrible et piégeuse, comme dans Jennifer’s Body de Karyn Kusama. Or là, enfin, avec Julia et Coralie, alors que le bestiaire au féminin existe depuis l’Antiquité, on a de vraies héroïnes monstrueuses qui sont au premier plan. C’est-à-dire pas des prédatrices ou des menaces de second ordre, non, de vraies héroïnes dont on se sent proches. Et les codes du body horror permettent ça. Et moi, oui, j’avais très envie de ça.

Comme Vingt Dieux de Louise Courvoisier, Animale est aussi un film qui ne gomme pas les accents et qui revendique sa ruralité…

Oui, ma théorie c’est que, dans notre époque post-Covid et de réchauffement climatique, il y a un tel appel du vivant et de la nature que le cinéma aussi a besoin d’aller voir ce qui se passe en dehors des villes. Moi, en tout cas, j’ai de plus en plus envie de m’inscrire dans quelque chose de local. J’ai envie de paysages, d’espace, d’animaux. J’ai envie de me battre pour les accents, les particularismes. Il faut sortir au maximum de l’uniformisation et du capitalisme. En cela, il y a quelque chose de profondément politique qui se joue là.

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