Andrew Haigh (All of Us Strangers): « Ce n’était pas simple d’être gay dans les années 80 »
Avec All of Us Strangers, le réalisateur britannique Andrew Haigh signe une histoire de fantômes qui ne fait pas frémir, mais pleurer. Il y aborde le deuil, le traumatisme et l’homosexualité dans les années 80, en tournant dans la vraie maison de son enfance.
S’agit-il d’un rêve? Peut-il voyager dans le temps? Adam ne se pose pas trop de questions lorsqu’il retrouve ses parents dans la maison de son enfance, à l’âge qu’ils avaient quand ils sont morts dans un accident de voiture, il y a plus de 30 ans. Il est heureux de pouvoir leur parler. C’est un soulagement. Tant de choses n’ont pas été dites. Dans le même temps, sa relation avec Harry, l’un des rares voisins de son immeuble londonien presque abandonné, s’embrase.
Aussi étrange qu’inclassable, All of Us Strangers (lire la critique ici) touche en plein cœur. Les excellentes performances d’Andrew Scott (le prêtre sexy de la série Fleabag), Paul Mescal (Aftersun), Jamie Bell (Billy Elliot) et Claire Foy (The Crown) n’y sont pas étrangères. Que ce film soit aussi poignant n’est pas une surprise pour ceux qui connaissent Andrew Haigh, déjà derrière ces petites perles intimistes que sont Weekend et 45 Years ou la série HBO Looking. “J’ai suivi mon intuition pour créer un film qui ressemble à une chanson pop mélancolique: tantôt doux, tantôt triste, tantôt simplement beau”, explique-t-il.
Vous avez tourné une partie du film dans la maison de votre enfance. Était-ce une expérience étrange?
Andrew Haigh: Lorsque vous travaillez sur un scénario qui se déroule dans la maison d’enfance du personnage principal, vous pensez inévitablement à votre propre maison. Je n’y étais pas allé depuis 40 ans. Ça me semblait un bon moyen de rendre le film concret. À ma grande joie, le propriétaire actuel ne s’est pas opposé au tournage. Et je me suis donc retrouvé dans mon ancienne chambre reconstituée, entouré d’une équipe de tournage, avec quelqu’un allongé dans mon lit qui jouait une version de moi. Évidemment, c’était bizarre, mais dans le bon sens du terme. C’était une catharsis. Je devais faire face à mon passé. Mon enfance n’a pas été vraiment heureuse.
Peut-on vous demander pourquoi?
Andrew Haigh: Mes parents ont divorcé quand j’avais 9 ans. Comme Adam, j’avais des difficultés à l’école. Je précise que mes propres parents ne sont pas morts dans un accident de voiture. Beaucoup de gens l’ont pensé depuis le film. Ce n’était pas mon intention.
Qu’en est-il de ce retour dans les années 80?
Andrew Haigh: Il faut être prudent avec la nostalgie: ce n’était pas simple d’être gay dans les années 80. C’était une époque très homophobe et raciste. La situation commençait à s’améliorer, mais le sida et l’intolérance ont fait de terribles ravages. J’ai dû accepter mon orientation sexuelle à une époque où l’on me répétait constamment et partout que l’homosexualité était synonyme de sida et de mort certaine. Pas terrible comme perspective. Je pensais que je resterais seul toute ma vie. Ma génération a mis beaucoup de temps à trouver une place pour la douleur, le traumatisme, la haine de soi et la honte. En même temps, je trouve presque amusant de constater à quel point nous sommes devenus capables de penser que maintenant tout ira bien. Parce que ce n’est évidemment pas le cas. Les jeunes enfants peuvent encore se sentir très isolés au sein de leur famille. Ce n’est pas forcément une question d’orientation sexuelle. Toute espèce de différence peut fragiliser les enfants quant à leur place. Vos parents sont comptables et vous, vous voulez devenir une pop-star. Je prends un exemple parmi tant d’autres.
Mais c’est un bel exemple parce que la musique joue un rôle-clé dans votre film. Pouvez-vous expliquer le choix de The Power of Love de Frankie Goes to Hollywood?
Andrew Haigh: Je peux être obsédé par l’idée de trouver la bonne musique. Toutes les chansons de All of Us Strangers sont des chansons que j’adorais quand j’étais enfant. J’ai grandi dans les années 80, j’écoutais en boucle les Pet Shop Boys et Frankie Goes to Hollywood. Des groupes très queer, même si on ne disait pas ça comme ça à l’époque et que je n’en étais pas conscient quand j’avais 11 ans. Cette musique me plaisait énormément. J’ai chanté The Power of Love un nombre incalculable de fois tout seul dans ma chambre. Je l’aimais sans savoir pourquoi. La magie de la musique pop, c’est qu’elle peut exprimer des émotions que vous ne pouvez pas exprimer vous-même. Parce que vous n’avez pas les mots. Ou parce qu’on est trop timide. Ou trop inhibé.
Dans le film, vous restez relativement tendre avec les parents, même si ce n’est pas rien de ne pas être là pour son enfant au moment où il a le plus besoin de vous.
Andrew Haigh: C’était une autre époque. La parentalité se définissait différemment. Je voulais éviter de faire peser toute la responsabilité sur les parents. J’ai moi-même deux enfants et je sais à quel point c’est difficile, surtout à un jeune âge. J’ai déjà bien du mal à 50 ans. À 25 ans, je n’aurais jamais pu être parent. Mais j’en explore les effets dans le film. Que se passe-t-il lorsque vos parents ne sont pas là pour vous? Ça peut influencer durablement toute une vie.
Comment avez-vous su que les acteurs Andrew Scott et Paul Mescal formeraient un couple si juste?
Andrew Haigh: J’apprécie Andrew Scott depuis des années. Et nous avons déniché Paul Mescal juste à temps, avant que sa carrière ne décolle complètement. Quant à Jamie Bell, je suis fan depuis Billy Elliot. Un de mes grands défauts, c’est que je ne peux travailler qu’avec des acteurs avec lesquels j’ai une vraie connexion, avec qui je peux être totalement honnête. Les répétitions ne sont pas nécessaires, mais j’insiste pour que nous nous rencontrions plusieurs fois afin de discuter de ce que le scénario signifie pour nous -pas pour moi, mais pour nous. Je n’impose que très peu de choses, les acteurs doivent s’approprier le personnage, mais je veux savoir comment ils veulent l’aborder.
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