Titre - And the King Said, What a Fantastic Machine
Genre - Documentaire
Réalisateur-trice - Axel Danielson et Maximilien Van Aertryck
Sortie - En salles
Durée - 1h28
Critique - Jean-François Pluijgers
Avec And the King Said, What a Fantastic Machine, Axel Danielson et Maximilien Van Aertryck signent un documentaire passionnant sur la façon dont les images conditionnent notre comportement.
On compte, à l’heure actuelle, quelque 45 billions de caméras dans le monde, à l’origine d’une déferlante d’images d’ordre divers toujours plus nombreuses. Ce constat, les documentaristes Axel Danielson et Maximilien Van Aertryck ont décidé d’aller au-delà, pour tenter d’ausculter comment l’émergence de cette culture visuelle a pu conditionner notre rapport au monde. Le résultat, c’est And the King Said, What a Fantastic Machine, mosaïque d’archives combinant approches historique et analytique pour radiographier, avec une pertinence non dénuée d’humour, la société de l’image, son évolution, son pouvoir manipulateur et ses conséquences. On les rencontrait en février dernier, à la faveur de la présentation du documentaire à la Berlinale.
Comment ce projet est-il né?
Maximilien Van Aertryck: Axel et moi, mais aussi la compagnie pour laquelle nous travaillons, Plattform Produktion (société suédoise où officie également Ruben Östlund, NDLR), nous nous sommes toujours intéressés à l’impact des caméras sur la société et sur nos comportements. Avec l’émergence de YouTube, nous avons commencé à observer et compiler diverses séquences qui questionnaient les relations entre les caméras et les hommes. Nous avons accumulé du matériel pendant des années et, arrivés à une masse critique, nous avons voulu en faire un film, avec aussi l’idée d’encourager une plus grande éducation aux médias dans la société.
Axel Danielson: Nous nous intéressons aussi au fait que la caméra est le meilleur outil pour capturer le comportement humain. De même que la littérature permet de cerner ce qui se passe dans notre tête, la caméra peut saisir comment nous agissons les uns par rapport aux autres, mais aussi comment nous nous comportons en sa présence en essayant de nous ajuster à cette donne sociale. Dans le matériel que nous avons sélectionné, nous avons voulu montrer ce que la caméra avait capturé de notre comportement, mais aussi ce qui était en jeu au-delà de l’image.
Comment avez-vous procédé pour naviguer dans la masse d’images à laquelle nous sommes confrontés?
M.V.A.: Notre travail a une dimension subjective, puisqu’il tourne autour d’images dont nous avons considéré qu’elles étaient assez importantes pour ne pas juste les consommer individuellement sur nos téléphones, mais bien les intégrer à un film que l’on puisse voir au cinéma, et en débattre. Si nous abordons des sujets sérieux, nous veillons à ce que l’humour soit aussi présent. Les archives peuvent être amusantes, mais aussi ambiguës, comme dans le cas des soldats de l’État islamique tournant une vidéo de propagande. C’est affreux, mais aussi assez drôle, peut-être que ces types sont en train de jouer un rôle, ce qui ne les empêche pas d’être dangereux. L’intention, c’est de laisser le matériel parler par lui-même, tout en suscitant l’envie d’en discuter.
A.D.: Nous sommes arrivés à un stade où cet outil soulève des enjeux liés à l’éducation aux médias mais aussi à la démocratie. Comment allons-nous travailler ensemble sur ces images, à l’échelle de la société? Le langage pour établir ce que l’on voit fait défaut. Il y a toujours un intérêt sous-jacent derrière les algorithmes, et nous souhaitons que cela fasse l’objet d’un débat de société, plutôt que de laisser cinq grandes multinationales établir des normes éthiques, c’est une question beaucoup trop importante. (…) C’est curieux que l’on passe neuf ou douze ans à l’école à apprendre à écrire et à analyser des textes, mais que dès qu’il s’agit de l’image photographique, qui a impact énorme sur notre regard sur nous-mêmes, sur les autres et sur le monde, elle ne trouve pas sa place dans l’enseignement général mais uniquement dans les matières artistiques.
La vitesse à laquelle ces images évoluent rend leur appréhension difficile. Quel est votre sentiment à cet égard?
M.V.A.: Nous avons veillé à intégrer différents exemples de personnes formulant des avertissements au gré de l’histoire de la caméra, comme le président irlandais qui est le premier à avoir dit à la télévision: “OK, c’est fantastique, mais cela pourrait aussi partir à vau-l’eau”. La décision nous appartient, il importe de discuter l’usage que nous souhaitons en faire. Nous ne voulons pas apparaître comme fatalistes, et dire que ce monde est dingue, game over. Nous avons cette capacité, une fois un problème identifié, à nous montrer aptes à le résoudre. Ce n’est pas impossible, la base étant de comprendre ce qu’est une image, avec les concepts de perspective, de cadrage. Et nous voulons que ce sujet devienne une matière scolaire. Le film se veut une poussée à la fois éducative et distrayante en ce sens.
S’agissant du pouvoir manipulateur des images, votre film intègre une saisissante interview de Leni Riefenstahl, autrice des films de propagande nazie, qui, en 1993, ne manifeste aucun remords et se pose en donneuse de leçons…
A.D.: C’est intéressant de voir l’influence qu’elle continue à exercer. Que l’on regarde une élection américaine ou n’importe quelle inauguration, c’est toujours la même esthétique. Comment décrire le pouvoir, comment décrire la confiance? Elle se place sur un terrain purement esthétique, comme si elle n’avait aucun rapport avec la politique, et que donc il n’y avait pas de conséquences. Nous tenions à souligner que les images et les choix que l’on pose ont des conséquences. On ne peut pas prétendre ne pas être politique: le simple fait de tenir une caméra, c’est une décision politique.
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