Titre - All the Beauty and the Bloodshed
Genre - Documentaire
Réalisateur-trice - Laura Poitras
Casting - Nan Goldin
Sortie - En salles
Durée - 2h02
Critique - Jean-François Pluijgers
Dans All the Beauty and the Bloodshed, la documentariste Laura Poitras trace un portrait stimulant de la photographe new-yorkaise Nan Goldin, dont elle croise brillamment les parcours d’artiste et d’activiste. Lion d’or à la dernière Mostra.
Laura Poitras remportant le Lion d’or de la dernière Mostra pour All the Beauty and the Bloodshed, l’annonce avait suscité une certaine surprise. Non eu égard aux qualités du film, indéniables. Mais bien parce qu’entre le documentaire et les grands festivals internationaux, il y a longtemps eu comme un malentendu, le cinéma du réel ne se frayant qu’à grand-peine un chemin dans les sélections et, a fortiori, dans les palmarès. On ne voit jamais que Fahrenheit 9/11 de Michael Moore, couronné à Cannes en 2004, Sacro GRA de Gianfranco Rosi, primé à Venise en 2013, et Fuocoammare du même Rosi, Ours d’or à Berlin trois ans plus tard, pour faire exception à la règle. Une situation en train d’évoluer, si l’on considère qu’après la cinéaste américaine sur le Lido, le vétéran français Nicolas Philibert vient d’être sacré à la Berlinale pour Sur l’Adamant, les docus apparaissant comme un moyen d’appréhender un monde à la lisibilité toujours plus aléatoire.
Une action porteuse de changement
Poitras n’en est pas à son coup d’essai: son parcours de cinéaste, cette journaliste originaire de Boston l’a entamé en 2006 avec My Country, My Country, où elle évoquait l’occupation américaine en Irak. Huit ans plus tard, elle accédait à la notoriété internationale avec Citizenfour, son film oscarisé autour d’Edward Snowden. All the Beauty and the Bloodshed (Toute la beauté et le sang versé en VF) la voit aujourd’hui s’atteler à un portrait de la photographe américaine Nan Goldin, dont elle croise brillamment les parcours d’artiste et d’activiste. “Je suis intéressée par des individus dont l’action individuelle est porteuse de changement, tout en élargissant notre compréhension du monde, d’un point de vue politique ou autre”, explique la cinéaste. Ainsi donc de Snowden ou, aujourd’hui, de Goldin qui, non contente d’avoir porté un regard éminemment personnel (et dûment documenté par le film) sur le New York underground des années 70 et 80, une scène que devait décimer le sida, s’est engagée, avec l’organisation P.A.I.N. (Prescription Addiction Intervention Now) dans un combat opiniâtre contre les Sackler et leur empire pharmaceutique, accusés d’être responsables de la crise des opiacés ayant fait des dizaines de milliers de victimes aux États-Unis. Une action qui a pris notamment la forme de happenings dénonçant l’hypocrisie d’une famille ayant longtemps trouvé dans le mécénat artistique une manière commode de se dédouaner. “Un film est un processus organique, poursuit Laura Poitras. Une idée en amène une autre, et la relation n’est pas à sens unique: j’ai mes idées et une méthode de travail, mais le film m’apprend des choses également, et m’entraîne dans des directions inattendues. Tout a commencé avec Nan et P.A.I.N., qui avaient filmé leurs actions pendant plus d’un an. Nan et moi, nous nous connaissions, et elle m’a dit un jour qu’elle cherchait d’autres cinéastes pour rejoindre le projet, et voilà comment je me suis trouvée impliquée.”
Si l’intérêt porte à l’origine sur l’agenda politique de Goldin, et la façon dont un petit groupe d’individus peut s’opposer avec succès aux puissants de ce monde, Laura Poitras n’entendait pas s’en tenir à ce seul aspect: “Il a toujours été clair pour moi que ce film serait un dialogue entre le passé et le présent, autour des disparitions et des fantômes de son existence, avec les parallèles terribles qu’ils supposaient, aussi bien pour Nan que pour la société américaine. Combien de temps faudra-t-il pour que les États-Unis se dotent d’un système de soins de santé? Comment de telles choses peuvent-elles se répéter?” Vastes questions, auxquelles se greffe un volet plus intime, où l’artiste se dévoile d’une voix rocailleuse en regard de son œuvre: “J’ai été très émue par la façon dont elle parlait de son œuvre et de sa vie, avec une honnêteté semblable à celle de ses photographies, ce côté “no bullshit”, mais aussi par la dimension profondément personnelle et intime de ses propos.” Moins qu’une biographie classique, le film est le portrait d’une artiste par une autre, “une collaboration”, insiste Poitras qui, le cadre posé, a aussi veillé à laisser la voix et les photos de Goldin faire leur œuvre: “Nous tenions à garder une sorte de crudité. Une bonne partie du film, ce n’est que Nan et ses photos. Sa voix est tellement puissante, et je voulais laisser de l’espace à son art, qui constitue une partie du film et du récit…” Manière encore de saluer une artiste hors du commun pour qui le terme “inspirante” semble avoir été inventé…
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