Alexander Payne revient avec Winter Break : « Un des défis du film: trouver 150 jeunes gens avec les cheveux longs »
Avec Winter Break, récit de la cohabitation forcée entre un professeur acariâtre et un étudiant rebelle -Paul Giamatti et Dominic Sessa, impeccables- pendant les vacances de Noël, Alexander Payne renoue avec ses fondamentaux, pour un film semblant sorti tout droit des années 70.
Alexander Payne occupe une place à part dans le concert hollywoodien, celle d’un réalisateur attaché à un certain classicisme et veillant à donner à ses films une coloration humaniste que l’on jurerait héritée des années 70. À cet égard, Winter Break (The Holdovers, en VO), son neuvième long métrage, peut être envisagé à la fois comme la synthèse et la quintessence de son cinéma, puisque, non content d’être situé en 1970, ce drame tout en nuances situé dans un pensionnat huppé de Nouvelle-Angleterre, donne l’impression d’avoir été tourné à l’époque. Constat qui a le don d’enchanter le réalisateur, que l’on rencontre, détendu, au lendemain de la première londonienne réussie de son film.
“J’ai toujours essayé de faire des films des années 70, de bonnes histoires humaines, relève-t-il. Winter Break est mon premier film d’époque, et à un moment, je me suis dit que ce serait amusant de le faire comme s’il avait été tourné dans les années 70. C’était aussi une astuce à l’attention de mes collaborateurs, de mes partenaires créatifs et de moi-même, de tourner non pas un film d’époque, mais de faire comme si nous étions dans les années 70, en train de tourner un film contemporain. J’aurais vraiment aimé être un réalisateur travaillant dans les années 70. Ou alors dans les années 20, pour pouvoir réaliser des comédies avec Hal Roach ou Mack Sennett. Et là, j’ai pu me balader chaque jour sur le plateau en prétendant voyager dans le temps, et me retrouver en 1970 à faire un film, une sensation délectable.” Et cela, malgré les écueils inhérents à ce genre de production: “Chaque film est difficile, mais celui-ci présentait une série de défis propres. L’un d’eux a résidé dans le fait de trouver 150 jeunes gens avec les cheveux longs. Un autre à obtenir l’autorisation des propriétaires des voitures de les couvrir de boue, de saleté et de neige, parce que ce sont des collectionneurs et ils tiennent à ces véhicules. Et enfin, il fallait trouver des décors appropriés restés tels qu’à l’époque, ce qui s’est avéré possible au Massachusetts.”
Trouvaille miraculeuse
À titre d’exemple, trois écoles différentes –la Deerfield Academy de Groton, St. Mark’s à Southborough et la Fairhaven High School- ont été utilisées pour composer le décor de la Barton Academy où va se nouer “l’intrigue” du film, qui voit un prof d’Histoire ancienne honni de ses collègues comme de ses élèves contraint de veiller pendant les vacances de Noël sur une poignée de pensionnaires n’ayant pu rentrer chez eux.
Cette histoire, Alexander Payne raconte en avoir eu l’inspiration en découvrant… Merlusse, de Marcel Pagnol, un film aux prémices similaires. “J’y ai vu un bon point de départ. À la même époque, David Hemingson (scénariste et producteur de Winter Break, NDLR) m’avait envoyé le pilote d’une série située dans un pensionnat d’élite du Massachusetts. Je l’ai contacté pour lui dire que je ne souhaitais pas réaliser le pilote, mais bien lui soumettre une idée de long métrage, et la collaboration a ensuite bien fonctionné.” Pour camper le prof atrabilaire, le réalisateur s’est tourné vers Paul Giamatti, pour qui il a écrit le rôle sur mesure, relançant leur collaboration 20 ans après Sideways.
Et l’on ne voit guère à vrai dire qui, mieux que le comédien, aurait pu interpréter ce personnage s’inscrivant dans la lignée des “grincheux” qu’affectionne le cinéaste: Jack Nicholson dans About Schmidt, Giamatti déjà dans Sideways ou encore Bruce Dern dans Nebraska. “Je ne sais pas pourquoi je suis attiré par ces personnages moroses, observe-t-il. Pourquoi Chaplin jouait-il un sans-abri? ça remonte à Jim Taylor, le coauteur de mes films antérieurs. Pour une raison ou une autre, nous avons adopté comme modèle comique un individu morose, traversant une crise personnelle ou englué dans son existence. C’est notre prototype comique, sans que j’en connaisse la raison: Keaton avait le sien, Chaplin aussi, tout comme Jacques Tati…”
Face à lui, prêtant ses traits à Angus Tully, l’étudiant qui lui donnera du fil à retordre mais arrivera aussi à le déciller, Dominic Sessa, un nouveau venu, qui signe des débuts à l’écran rien moins qu’impressionnants. Payne et son équipe de casting ont auditionné quelque 800 lycéens avant de trouver la perle rare à Deerfield, l’une des écoles où devait se dérouler le tournage: “J’avais de toute façon l’intention d’appeler ces écoles, ne serait-ce que par politesse, pour savoir si elles n’avaient pas dans leurs rangs de jeunes acteurs que nous pourrions engager pour le film. Dominic était étudiant à l’Académie de Deerfield, il était vraiment inscrit dans une école secondaire privée au moment du tournage.” Et de poursuivre: “Pour m’assurer qu’il avait les qualités requises, j’ai procédé comme je le fais quand j’engage des non-acteurs -lui en étant un, mais pas professionnel. Quand je fais un casting de rue pour des petits rôles, ce qui m’arrive souvent, je fais venir les candidats trois, quatre, cinq fois, pour voir dans quelle mesure ils sont “bullettproof”, et savent se montrer consistants chaque fois face à la caméra. J’ai fait la même chose avec Dominic, je l’ai fait venir cinq fois avant d’organiser une rencontre avec Paul Giamatti par Zoom pour voir ce qui en sortait. ça demande du temps et des répétitions, mais ça s’est révélé être une trouvaille miraculeuse.” Ce que confirme, du reste, la vérité de l’écran.
Un endroit dépeuplé
Faux film de Noël -“ça n’en est un que parce qu’il se déroule à cette période de l’année”-, Winter Break est par contre du pur Alexander Payne. Un réalisateur qui, après la parenthèse au parfum de science-fiction de Downsizing, renoue donc ici avec la pâte humaine de ses opus précédents, pour livrer un film adulte comme les studios hollywoodiens n’en produisent plus guère. Un cap malaisé à maintenir à l’époque des géants du streaming et des franchises de super-héros? “Financer le genre de films que je fais a toujours été compliqué. Spécialement quand vous n’avez pas une grande star au sens traditionnel. Quand j’ai travaillé avec George Clooney, il y a douze ans (pour The Descendants, NDLR), les studios étaient prêts à me donner tout ce que je voulais. Là, avec Paul Giamatti, c’était plutôt: “Ne pourrait-on pas revoir le budget un peu à la baisse?” Et c’était pire encore quand j’avais tourné un film en noir et blanc (Nebraska, NDLR). Je ne sais pas si c’est plus difficile qu’avant, mais je suis par contre conscient de me trouver à un endroit qui s’est dépeuplé. Il n’y a plus tellement de réalisateurs américains qui essaient encore de faire des films humanistes dans l’optique d’une sortie en salles. Ou alors, ils commencent comme ça, avant d’être aspirés dans le monde Marvel dont il est souvent compliqué de revenir. Enfin, il y a des exceptions: Chloé Zhao en revient. Elle a fait ses merveilleux premiers films, s’est frottée à l’univers Marvel et maintenant, la voilà à nouveau parachutée dans son monde à elle. Mais ce n’est pas le cas de la majorité: il est facile de décrier les grands méchants studios et les streamers, nos institutions éducatives et les réseaux sociaux pour avoir détruit la notion de ce qu’était le bon cinéma, mais ça tient aussi à ce que veulent écrire et faire les scénaristes et les réalisateurs. Je ne change pas, et si ce film a du succès, Dieu merci, pas seulement pour ce film, pour mon portefeuille et mon ego, mais aussi pour d’autres films à suivre…”
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