Albert Dupontel, roi de la satire

Albert Dupontel dans Au revoir là-haut. © DR
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Le comique et le tragique s’épousent idéalement dans Au revoir là-haut, la nouvelle satire sociale d’Albert Dupontel, adaptée d’un foisonnant roman.

Dès qu’il a lu Au revoir là-haut, il a su qu’il devait en faire un film (lire aussi la critique). Le grand roman de Pierre Lemaitre, prix Goncourt 2013, lui offrait un « terrain de jeu » sublime, habité déjà de thèmes chers à son cinéma. À commencer par une satire sociale portée à incandescence burlesque, l’antimilitarisme et la dénonciation des profiteurs de guerre. « Au-delà de la qualité du livre, qui est magnifique, j’y ai vu des choses qui me concernent, des archétypes sociaux dont j’ai l’habitude de parler dans mes films« , commente un Albert Dupontel qui a demandé au romancier « si c’était bien ça qu’il avait voulu faire« . « Il m’a répondu « Oui, c’est ça! » et je me suis, du coup, senti légitime. Je lui ai dit: « Moi je vois bien comment le faire, à l’écran » et c’était parti! Les personnages, je les connaissais par coeur avant de lire le livre… »

L’infini foisonnement du roman, l’abondance de matière narrative et humaine, le réalisateur les a pris « comme un cadeau« . « C’était facile! Une magnifique occasion de faire de la mise en scène. Pierre était un alibi intellectuel qui me débarrassait de mes doutes d’auteur. J’ai réaménagé l’histoire -avec son accord bien sûr-, la fin notamment, et le fait de placer le personnage d’Édouard, l’artiste revenu mutilé de la guerre, au centre du récit. Mais globalement je n’ai rien remis en cause, alors que quand je filme mes propres éructations, je n’arrête pas de le faire… » Dupontel s’est ainsi lancé avec ardeur à l’assaut « d’une époque (1) extrêmement visuelle et très documentée, avec les photos de Brassaï, tous les films d’alors. Je me suis amusé! J’étais comme un gosse devant un gros gâteau plein de friandises. Je n’avais qu’à imaginer comment le manger. »

Au revoir là-haut d'Albert Dupontel.
Au revoir là-haut d’Albert Dupontel.© DR

Travailler chaque détail pour qu’il soit vrai, et offrir en même temps une vision artistique de la réalité: rien de compliqué à cela pour un cinéaste affirmant qu' »il faut que le présentoir soit juste, après quoi vous en faites ce que vous voulez ». « Les points de vue de caméra sont tous imaginaires, inventés. C’est ce qu’on voit de la réalité. Il ne s’agit pas du tout d’un cinéma post-Nouvelle Vague mais d’un cinéma en prise directe avec le meilleur des années 80: les frères Coen, Terry Gilliam, Paul Verhoeven, un cinéma qui s’exprime par la caméra. J’admire aussi le formalisme génial d’un Kubrick, sa rigueur absolue, dans Les Sentiers de la gloire, où il raconte quelque chose qui s’est vraiment passé. Au revoir là-haut étant pure fiction, la petite histoire dans la grande, j’étais absolument libre. La façon de raconter l’histoire, y faire croire, c’était mon problème, et je pouvais tout me permettre pour y arriver. »

Un des partis pris formels marquants du film est sa palette de couleurs. « Elle est directement inspirée des autochromes, c’est-à-dire des photos de l’époque qui étaient mises en couleur selon le procédé de la trichromie, inventé par les frères Lumière. Ça consistait à coloriser le négatif -car il n’y avait pas de pellicule couleur- dans la chambre noire, avec des substances à base de fécule de pomme de terre… Ça donne des images magnifiques, dont j’ai voulu retrouver la beauté. Alors j’ai détruit à peu près un tiers de la définition de l’image et j’ai ensuite tout colorisé en post-production. Aujourd’hui, au tournage, la lumière doit être là, mais c’est après que tout se joue, avec le coloriste plutôt qu’avec le chef-op. Au tournage, on évite les murs blancs, les murs beiges, parce qu’on ne peut rien en faire. Pour ensuite reprendre les couleurs d’une peau, il faut prévoir des coussins rouges dans le plan. On doit privilégier les couleurs chaudes. Les partis pris de l’image conditionnent les décors et les costumes.« 

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Cinéphage

La richesse visuelle intense d’Au revoir là-haut offre au film une texture intégrant de manière optimale, organique, le mélange des genres qui s’y opère et qui va du comique burlesque au tragique le plus poignant. « Les montagnes russes émotionnelles, c’est l’humain, c’est ce qu’on peut ressentir dans la vie, commente le réalisateur, et c’était déjà dans le roman. »

Dupontel ne souhaitait pas interpréter lui-même le rôle d’Albert Maillard, qui s’attaque à l’impunité des riches profiteurs de guerre. « À deux mois du tournage, l’acteur que j’avais choisi (2) a renoncé, victime de surmenage, c’était la catastrophe! Alors j’ai dû m’y coller…« , raconte celui qui partage en définitive pas mal de traits avec son personnage. Notamment et surtout sa rage face à l’injustice, sa révolte existentielle devant un monde qui d’ailleurs n’est pas sans évoquer le nôtre. Le cinéaste refait sienne la formule de son ami Gilliam évoquant le futur de Brazil comme « the other side of now« . Ces années 1910 trahissent des vérités encore tristement éclatantes aujourd’hui sur le plan social. « Je suis né en colère, et je n’ai aucune intention d’arrêter! En colère déjà contre le temps qui passe, contre le fait que nous sommes si éphémères« , déclare un Dupontel véhément. Et de citer Nietzsche: « L’instinct de défense contre le monde extérieur, ça s’appelle le goût. Moi je suis cinéphage, j’ai fui la réalité dans les salles obscures, et c’est là que je me suis fait mon goût, mon auto-éducation. Le cinéma que je fais en résulte. Il faut faire le cinéma qui nous correspond, ne se forcer à rien, prendre du plaisir et surtout ne pas chercher à plaire aux gens! »

(1) L’immédiat après-Première Guerre mondiale.

(2) Il s’agissait de Bouli Lanners.

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