Adèle Exarchopoulos dans L’Amour ouf: “Dans l’amour se joue très souvent quelque chose de l’ordre du fantasme”
Deuxième film réalisé en solo par Gilles Lellouche, six ans après Le Grand Bain, L’Amour ouf place François Civil et Adèle Exarchopoulos au cœur d’une grande histoire d’amour contrariée par les aléas de la vie et sa brutalité.
En tant qu’acteur, Gilles Lellouche avait déjà travaillé avec Adèle Exarchopoulos et François Civil sur le ratage BAC Nord de Cédric Jimenez, en 2020. Dans la foulée, il leur propose d’incarner un flamboyant couple de cinéma dans ce qu’il conçoit comme une « comédie romantique ultra-violente« , L’Amour ouf. Adapté du roman Jackie Loves Johnser OK? de l’auteur irlandais Neville Thompson, le film orchestre la rencontre, dans le nord-est de la France des années 80, entre deux êtres qui vont éperdument tomber amoureux en dépit de leurs origines sociales divergentes: Jackie (Mallory Wanecque puis Adèle Exarchopoulos), en effet, est issue d’une famille bourgeoise tandis que Clotaire (Malik Frikah puis François Civil) vient d’une famille ouvrière. Leur histoire semble vouée à l’échec, d’autant que les frasques criminelles de Clotaire l’envoient pour douze ans en prison. Mais, à sa sortie, celui-ci se montre déterminé à reconquérir Jackie…
« Jackie Loves Johnser OK? est un roman que Benoît Poelvoorde m’a offert il y a 17 ans, se souvient Gilles Lellouche alors qu’on retrouve l’équipe du film sur une terrasse cannoise au lendemain de sa projection en Compétition sur la Croisette en mai dernier. Je suis directement tombé fou amoureux de ce livre. Mais quand j’ai commencé à travailler dessus, je me suis rendu compte de l’ambition, de l’ampleur, voire de la démesure, que son adaptation impliquait. Or, à l’époque, je n’avais pas les moyens de monter le projet. Donc j’ai fait Le Grand Bain, qui a eu du succès, et là je me suis dit que c’était le moment ou jamais de faire ce film que je rêvais de faire depuis tellement d’années. »
Long métrage absolument dénué de temps mort, qui cherche en permanence la grosse décharge électrique, L’Amour ouf évoque à l’arrivée une tentative de fresque romantique et criminelle à l’américaine, mais avec une sensibilité française. « Oui c’est vrai, concède Lellouche, il y a sans doute quelque chose d’une ambition hollywoodienne dans ce film. Mais aussi possiblement anglaise, parce que j’adore le cinéma britannique. Et puis probablement quelque chose du cinéma de voyous propre à la tradition italienne également. En fait, je crois que le film relève surtout d’un grand mélange des genres façon patchwork, et que le genre implique fatalement un certain format. C’est-à-dire qu’un braquage de convoyeurs de fonds, par exemple, implique une imagerie qui nous renvoie forcément à un certain cinéma américain. Mais moi c’est un film que je crois fondamentalement français dans ses thématiques. Dans ce qu’il raconte sur les relations maternelles, filiales, amicales, on est très en France, en effet, me semble-t-il. Après c’est sûr que j’ai beaucoup d’amour pour le cinéma américain des années 70. Je pense aux films de Michael Cimino, comme Voyage au bout de l’enfer, par exemple. J’en ai développé une certaine fascination pour les usines sidérurgiques. D’où le fait de tourner notamment à Dunkerque, où il y a cette espèce d’alchimie chaud-froid entre une usine vraiment moche et des dunes de sable et la mer juste à côté. Le beau se confond avec le moche qui se confond avec le beau. »
Au-delà des apparences
Comme la chanson-tube de Sébastien Tellier, L’Amour ouf aurait très bien pu s’appeler L’Amour et la Violence. François Civil y campe un bad boy sexy, mais la violence y est condamnée sans équivoque. L’acteur opine: « Oui, j’aime la façon dont Gilles parvient à désamorcer les codes du genre. L’Amour ouf, pour moi, c’est un film qui nous met une gifle et puis qui ensuite nous fait une caresse. La violence, en tout cas, n’y est pas glorifiée. On comprend d’où elle vient, par contre. Clotaire, en effet, vient d’une famille et d’un milieu social qui l’ont broyé. Il est en quelque sorte la victime d’un déterminisme qui l’étouffe, et qui l’amène à ressentir beaucoup de colère. Une des idées fortes du film, me semble-t-il, consiste à dire qu’une émancipation est peut-être possible à travers l’amour. » Et Adèle Exarchopoulos d’ajouter: « Dans l’amour se joue très souvent quelque chose de l’ordre du fantasme. C’est-à-dire qu’on va y aller de ses propres projections sur l’autre. Et là, ce qui est beau dans le film, je trouve, c’est que par leur liberté et leurs émotions ils arrivent quand même à se regarder vraiment. Ce qui me touche le plus dans cette histoire, c’est que Jackie voit chez Clotaire quelque chose que lui-même est incapable de voir. L’Amour ouf est un film qui invite à regarder au-delà des simples apparences. »
Avec son budget de plus de 35 millions d’euros, sa durée de près de trois heures, ses séquences musicales dansées et chorégraphiées en collaboration avec le collectif La Horde… L’Amour ouf s’impose indéniablement comme une grosse cylindrée dans le paysage cinématographique hexagonal. Mais Gilles Lellouche insiste beaucoup sur le fait que le cœur et le moteur du film ont toujours été ses personnages et ses acteurs: « Je garde un souvenir très fort du tournage de Thérèse Desqueyroux, le dernier film de Claude Miller, il y a douze ans de cela. Claude était vraiment quelqu’un d’extraordinaire. Il m’a dit un jour: « La direction d’acteurs, elle se fait au casting« . Et il avait entièrement raison. C’est quelque chose que j’avais bien en tête au moment de choisir mes comédiens et comédiennes. Quand j’ai rencontré Mallory Wanecque, qui joue Jackie ado, elle m’a bluffé par son côté volubile, vivant, virevoltant. C’est exactement comme ça que j’avais imaginé Jackie. Idem pour Malik Frikah, qui interprète Clotaire jeune. J’ai dû voir 60 ou 70 garçons de son âge, et il n’y en a qu’un qui a trouvé la posture que je voulais. Corporellement, il avait d’emblée l’attitude que je recherchais pour Clotaire. Donc la direction d’acteurs, c’est avant tout faire les bons choix. Après, je n’ai eu qu’à les accompagner pour qu’ils restent toujours dans la piste de bobsleigh qui est leur personnage. »
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