A Complete Unknown, le biopic sur Bob Dylan avec Timothée Chalamet: qu’est-ce qui est vrai, qu’est-ce qui est faux?

Timothée Chalamet est le Bob Dylan de A Complete Unknown. L’acteur a été adoubé par Dylan himself. © Photo by Macall Polay. 2024 Searchlight Pictures
FocusVif.be Rédaction en ligne

A quel point un biopic doit-il être fidèle à la réalité? A Complete Unknown, dans lequel Timothée Chalamet incarne Bob Dylan, prend des libertés avec la réalité. Après tout, Dylan l’a souvent fait aussi…

Bob Dylan, c’est comme un verre de Guinness: un goût amer qu’on finit par apprécier. Avec le risque qu’on en redemande. C’est de cela qu’il est question dans A Complete Unknown, le biopic que lui consacre James Mangold.

Le réalisateur se focalise sur la même période que No Direction Home, l’excellent documentaire de Martin Scorsese sorti en 2005, et s’appuie sur Dylan Goes Electric! d’Elijah Wald, publié en 2015. Trois œuvres, un même axiome: comment Robert Zimmerman, un jeune Juif issu d’une ville minière proche de la frontière canadienne, est-il devenu la voix de la contre-culture des années 1960 et une des figures fondatrices du rock? Comment un gamin de 19 ans, qui maîtrisait à peine quelques accords sur une guitare acoustique, a-t-il pu évoluer des vieilles rengaines folk aux chansons engagées, avant d’atteindre une forme de poésie expressionniste?

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Réponse en 2 heures et 20 minutes, qui retracent la période allant du 24 janvier 1961 au 25 juillet 1965. Soit le moment où Dylan prend un taxi vers New York et son premier concert au Gerde’s Folk City, en passant par la crise des missiles de Cuba en 1962, la marche sur Washington en 1963, et cette fameuse nuit de juillet 1965. La nuit où Bob Dylan, accueilli en messie pour la troisième année consécutive au Newport Folk Festival, monte sur scène avec une guitare électrique, fait exploser les codes et vaciller le folk sur ses fondations. Une partie du public l’ovationne, l’autre, la plus bruyante, le hue –l’envie d’un deuxième verre de Guinness viendra plus tard, ou pas.

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Bob Dylan l’illusionniste

«Bob Dylan est né à Duluth, Minnesota, en 1941. Il a grandi à Gallup, Nouveau-Mexique, et avant de venir à New York cette année, il a vécu en Iowa, dans le Dakota du Sud, le Dakota du Nord et au Kansas. A 14 ans, il voyageait avec des forains, s’accompagnant à la guitare et au piano.» (Livret du programme du Carnegie Chapter Hall, 4 novembre 1961, New York)

Cracheurs de feu, avaleurs de sabres, femmes à barbe, hommes-serpents: le jeune Robert Zimmerman en a vu défiler à Duluth, sa ville natale du Minnesota, à chaque fois que la foire annuelle s’y arrêtait. Des figures singulières, des créatures métamorphes comme il en découvrirait plus tard dans la mythologie irlandaise. Son ami d’enfance Mark Spoelstra dira de lui qu’il «s’est transformé en une sorte de personnage de théâtre. La première fois que j’ai parlé avec lui, il était en train de jouer un rôle.»

Faut-il préciser qu’en 1961, Dylan, affabulateur à ses heures, n’avait jamais mis les pieds au Nouveau-Mexique, encore moins voyagé avec des forains? Cet univers d’illusionnistes est pourtant la clé de voûte de Rolling Thunder Revue: A Bob Dylan Story, le documentaire de Scorsese sur la caravane gitane de Dylan en 1975-1976. Témoignages fantaisistes, trucages, images d’archives de spectacles de cirque: de quoi faire jaser les «dylanologues» des jours, voire des semaines, durant. «Mais qu’a voulu dire le maître cette fois?» Alors que la réponse est là, dès la première scène: celle d’un magicien qui fait disparaître un homme assis sur une chaise. Rien dans les mains, rien dans les poches, pfiou, évaporé. Il faut se méfier du petit cercle d’exégètes qui, depuis 1961, analysent chaque ligne de texte, chaque cri poussé sur scène, et désormais chaque maladresse postée sur X comme s’il s’agissait de vers sacrés.

Bob Dylan et ses mentors

«Un film sur moi va sortir, A Complete Unknown (quel titre!). Timothée Chalamet tient le rôle principal. Timmy est un acteur brillant, donc je suis certain qu’il sera parfaitement crédible pour m’incarner. Ou pour incarner une version plus jeune de moi. Ou pour incarner une autre version de moi.» (Bob Dylan sur X, le 4 décembre 2024)

Dès la sortie du film, le réflexe de faire appel à la vérité historique a fusé. De la même manière que les riffs de la Fender Stratocaster de Dylan avaient divisé au cours des années 1960, A Complete Unknown divise son public. Ceux qui entreront dans la salle avec l’intention d’en pointer les aberrations auront de quoi s’amuser; il faut bien l’admettre, James Mangold prend des libertés.



La plupart sont purement formelles. Peu importe que Dylan n’ait pas été seul dans son taxi en 1961, qu’il n’ait pas passé la nuit chez Pete Seeger, que Suze Rotolo ait étudié plus de trois mois en Italie en 1962 – tant qu’on peut entendre dans Boots of Spanish Leather, qu’il a écrite à cette époque, à quel point elle lui manque. James Mangold coupe et colle, accélère et ralentit, fusionne et supprime des personnages, jongle avec les setlists et les dates. Si cela donne de la cohérence et du rythme au film, on signe des deux mains.

Que Johnny Cash apparaisse le fameux soir de 1965 alors qu’il n’était pas à Newport cette année-là, c’est un peu limite. Que quelqu’un dans le public crie «Judas!», et que Dylan rétorque « I don’t believe you. You’re a liar », ça coince carrément (on sait que cela s’est produit à Manchester le 17 mai 1966). Reste que l’esprit est respecté.

Détail qui a son importance: Dylan a été étroitement impliqué dans la création du film. Il a passé quatre longues séances avec Mangold, lu le script à voix haute avec lui, réécrit des dialogues et exigé à la fin qu’une scène totalement fictive soit ajoutée. On parie une Guinness qu’il s’agit de celle où Dylan entre dans l’émission télé de l’icône folk Pete Seeger et joue une chanson avec un bluesman imaginaire. Une transition maladroite pour évoquer l’adoubement espéré par Dylan des grands noms qu’il admire.

Bob Dylan le solitaire

«How does it feel, how does it feel? / To be on your own / With no direction home / A complete unknown / Like a rolling stone.» (Bob Dylan, Like a Rolling Stone, 1965)

Oublions pour un temps les œuvres qui entendent à tout prix coller à la réalité. Car en fin de compte, A Complete Unknown n’est pas l’histoire d’une guitare électrique, mais celle d’un homme qui lutte contre la solitude. Un musicien qui a trouvé des fragments de lui-même dans la musique de Woody Guthrie et l’humanité de Pete Seeger, mais a senti qu’il ne pourrait que les décevoir. Qui avait les mots pour désavouer l’ancienne génération, mais pas forcément la volonté d’être la voix de la jeunesse. Et qui, pour cette raison, n’a eu d’autre choix que de prendre ses distances autant avec les pères et qu’avec leurs enfants, et de faire des choix personnels –avec obstination, avec âpreté, avec un mépris du danger. L’image finale, Dylan filant à toute allure sur sa Triumph, est l’ombre portée de son fameux accident en 1966, le début d’années passées en retrait.

How does it feel to be on your own? (en français, qu’est-ce que ça fait d’être seul?) Cette question, emballée dans un foulard de magicien, fait sans doute de A Complete Unknown le film le plus «dylanesque» qu’il soit possible de réaliser sur Bob Dylan.

A Complete Unknown

Biopic musical de James Mangold. Avec Timothée Chalamet, Edward Norton, Monica Barbaro. 2h20.

La cote de Focus: 3,5/5

Après Walk the Line, James Mangold s’aventure à nouveau sur les terres du biopic musical. Il fait le choix d’une mise en scène des plus classiques, pour tenter d’appréhender la double contrainte posée par la représentation du mythe Dylan: façonner l’image d’une idole déjà devenue elle-même image, et courir après la vérité d’un homme perpétuellement en fuite. On ne sait que peu de choses de la vie intime de Dylan, on ne verra pas son enfance, et ses relations sentimentales ne sont traitées que via le prisme de leur apport à sa créativité. Reste alors sa musique, comment elle préexiste au mythe et se réinvente quand on voudrait la figer. Et c’est la musique avant tout que Timothée Chalamet parvient à incarner, échappant au mimétisme, proposant sa propre lecture du mythe pour donner envie de s’y replonger.

A.E.

Dylan
A Complete Unknown, le biopic de James Mangold, prend des libertés avec la réalité. Bob Dylan l’a fait aussi…
© Photo by James Mangold.

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