Critique | Livres

Chronique BD: La Carte des jours

Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

CONTE | L’illustrateur anglais Robert Hunter ausculte le temps qui passe par le bout surréaliste de la lorgnette. Une bouffée de poésie à inhaler les yeux grands ouverts.

Chronique BD: La Carte des jours

Pas besoin d’être fétichiste pour ressentir des frissons en découvrant un album frappé du blason Nobrow. Basée à Londres, cette maison d’édition bilingue qui publie au compte-gouttes des livres pour enfants, des bouquins d’art et d’illustration pratique le métier en orfèvre. Chaque nouveau titre est un petit bijou graphique qu’on a envie d’exhiber. Si aujourd’hui, tous les éditeurs font des efforts sur l’emballage, l’indépendant Cornélius comme les manufactures Delcourt, Nobrow pousse le vice un cran plus loin en flirtant avec une forme d’artisanat dont la charte éthique impose des critères de fabrication durable: papier FSC, encres végétales, impression en tons directs, etc.

Revers de la médaille, l’aspect visuel prime parfois sur la charpente narrative. C’était le petit reproche qu’on faisait en filigrane à l’album précédent de Robert Hunter, Le Jeune fantôme, balade poético-méditative sur les traces d’un apprenti spectre et prétexte à une méditation élégante sur la mort. Ce qui n’enlevait rien au plaisir d’avoir découvert un illustrateur hors pair, cousin de Blexbolex (édité aussi chez Nobrow) pour l’élégance des formes et de Lorenzo Mattotti pour le festival chromatique. C’est donc avec une certaine curiosité qu’on attendait la suite.

Delicatessen

La suite, c’est La Carte des jours. Le trait raffiné, l’esthétique rétro et les couleurs tamisées sont toujours au rendez-vous. Le petit plus, c’est un récit musclé qui, sans perdre ses accents fantastiques, repose désormais sur des fondations solides. Soit l’histoire d’un jeune garçon, Richard, qui se souvient d’un été peu ordinaire passé chez son grand-père Frank, collectionneur méticuleux d’horloges de parquets. Surprenant son aïeul qui sort d’une des boîtes, il ne résiste pas à l’envie d’aller voir ce qui se cache dans les profondeurs des pendules. Il y découvrira un monde artificiel habité par le Visage qui n’est autre que la graine qui a ensemencé la vie sur Terre. Emu par le sort de cette tête sans corps éperdument amoureuse du soleil, Richard accepte de l’aider à retrouver l’astre aimé. Sans en mesurer les conséquences…

Louchant vers les contes fantastiques de notre enfance, ce songe éveillé est pavé de questionnements sur le temps qui passe, sur la valse des saisons et sur l’amour autodestructeur. La vision singulière de l’illustrateur anglais, aussi habile derrière un crayon que derrière les fûts de son groupe François & The Atlas Mountains, touche par sa délicatesse. On a l’impression de fouler un gazon philosophique taillé avec un soin extrême. Et s’il faut parfois escalader des textes un rien trop ampoulés, le monde mystérieux qui se dévoile ici fouette l’imagination. Les premières planches expliquant la création de l’univers sont magnifiques avec leurs explosions florales et leurs acrobaties géométriques qui rappellent les mandalas.

Un pied dans la fable, l’autre dans l’écologie, La Carte des jours transcende les catégories habituelles en faisant souffler une brise au charme désuet dont on ressent les bienfaits pour peu qu’on accepte de larguer les amarres de la raison, du cynisme et de la vraisemblance. Avec à la clé, un voyage hypnotique.

  • La Carte des jours de Robert Hunter, éditions Nobrow, 54 pages.

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