Charly Delwart, créateur de la série « Sous contrôle »: « Faire de la comédie politique était mon obsession depuis longtemps »
L’écrivain Charly Delwart réussit son passage en comédie politique avec Sous contrôle, pour Arte. D’une rare pertinence, diablement rythmée, la série fait éclater le talent de Léa Drucker.
En bombardant dans Sous contrôle une figure de l’humanitaire (Léa Drucker) ministre des Affaires étrangères en pleine crise d’otages au Sahel, le romancier et désormais créateur de série Charly Delwart nous lance dans un incroyable (mais vraisemblable) voyage en absurdie politique. Suivez le guide.
Par son type d’humour, Sous contrôle fait penser à Veep, la série d’Armando Iannucci. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’explorer ce territoire peu ou pas exploité par la fiction française?
Avec Veep, même s’il y a une arche majeure par saison, on est plus dans un format sitcom. Je voulais vraiment aller vers du récit, tout en conservant cet humour féroce. Le matériau de fiction de départ, c’est évoquer le terrorisme et sa réponse politique. Le processus devait se jouer dans les cinq premières minutes. La scène d’introduction de Sous contrôle est effectivement capitale car elle crée un pacte avec les spectateurs: voilà la comédie dans laquelle vous entrez. Elle rappelle les codes de Veep, mais aussi de la précédente série d’Armando Iannucci, The Thick of It. Il n’y a pas beaucoup de références de ce type en séries télé. On en trouve davantage au cinéma, comme Four Lions et son groupe de terroristes particulièrement pathétiques.
Vous avez tenu à rester en dehors des limites de la satire?
Contrairement à Veep, on a décidé qu’on ne taperait pas sur les politiques. On est dans une comédie de bureau, au sens où on est à la fois au Quai d’Orsay et dans les coulisses d’une prise d’otages au Sahel. La contrainte était de rire des ravisseurs et non des otages. De parler d’hommes et de femmes politiques faillibles à l’image de Marie Tessier (incarnée par Léa Drucker, NDLR), directrice d’ONG propulsée ministre des Affaires étrangères et qui n’a pas toujours le bon mode d’emploi de sa nouvelle fonction. C’est un récit sur la complexité de la prise de décision politique, sur le monde des arbitrages, de la realpolitik, très différent de l’humanitaire. Marie est un personnage positif, engagé, compétent, humaniste, intègre, pragmatique. À côté d’elle, je n’avais pas envie de bras cassés mais de gens compétents même si pleins de failles.
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Comment faire d’une prise d’otages une situation de comédie?
Le point de départ de l’histoire, c’est un article sur les otages d’Areva enlevés à Arlit, au Niger, en 2010. Ce type de situation, soit ça s’arrange tout de suite, soit ça prend un temps long. Dans ce cas-ci, il y a eu un changement de présidence en 2012, et donc de vision stratégique. On était passé de la présidence Sarkozy à celle de Hollande, qui avait décidé que la France ne paierait désormais plus de rançon. Ça donne une situation où il faut convoquer les familles, leur annoncer qu’on ne va plus payer. Ce qui est un mensonge rhétorique, en réalité. Et puis, j’ai puisé dans plein d’images collectives de prises d’otages: l’arrivée à l’aéroport de Villacoublay, les portraits géants des otages affichés sur les bâtiments; les décomptes des jours dans les JT, des récits de captivité… Ça donne plein de situations qui paraissent absurdes et qui pourtant sont vraies. Ce qui m’intéressait aussi c’était de dégager les règles: doit-on parler des otages? De rançon? Négocier? Avec qui? Jouer la carte médiatique? C’est aussi l’occasion d’évoquer l’échelon européen, la dimension interministérielle des crises, l’hyperprésidence. C’est déjà compliqué de régler une prise d’otages, alors quand il y a d’autres ministères ou d’autres pays impliqués, c’est encore pire. Rien qu’au niveau français, un tel dossier peut faire l’objet de différends entre les Affaires étrangères et la Défense. C’est le cas quand Marie s’empare de la question des otages et néglige les autres dossiers dont elle doit s’occuper. À l’image d’un monde politique qui a ses absurdités, ses changements incessants de stratégie.
Le décalage entre la difficulté du politique à résoudre les problèmes du monde, et cette obsession risible de donner l’image qu’on contrôle la situation est-elle aussi un ressort du récit?
Le pouvoir grise, mais la fonction politique est hautement compliquée et tout le monde a un avis dessus. Je trouvais ça intéressant de répondre à la question “qu’est-ce qu’on ferait à leur place?”. C’est pour ça que je voulais un personnage qui a une idée très claire de ce qu’elle veut, de la manière dont elle conçoit les choses, qui n’a aucun doute sur ses compétences, mais qui se retrouve dans des dossiers, des arbitrages et des contraintes impossibles, sur lesquels elle est briefée et débriefée à longueur de journée. Sans compter qu’elle doit en permanence reporter aux médias. La série montre à quel point on attend des politiques qu’ils soient infaillibles, alors même que le matin on peut se lever avec une gastro, qu’on a des soucis de couple, d’enfant. Tout ce monde a plein de bonnes -ou de mauvaises- raisons d’être faillible.
À quel point passer de l’écriture littéraire à l’écriture de série vous a obligé à changer votre manière d’opérer?
Je suis habitué à travailler seul, dans un dialogue avec mon éditrice. Je ne voulais pas que mon idée de départ soit dénaturée, donc j’étais moi-même assez control freak. Ça a été une chance de pouvoir travailler avec Arte, car c’est aussi un interlocuteur unique, qui m’a laissé écrire entièrement le scénario avant de commencer à parler de la réalisation, du casting. J’ai pu suivre la production dans son intégralité, choisir avec eux le réalisateur, Erwan le Duc, être présent sur le tournage, au montage.
La comédie fonctionne sur les rythmes. Quel lien établissez-vous entre elle et votre dernier livre, Que ferais-je à ma place? où vous répondez à 70 questions apparemment anodines mais drôlement existentielles?
Que ferais-je à ma place? est au départ un quiz existentiel qui me permet de prendre de la distance par rapport à des questions qui me taraudent. Je suis très consommateur de stand-up et de son rapport à la réalité. Mais je voulais pousser mes raisonnements au bout, que l’ensemble dessine une logique ou une manière de penser. Il y a un systématisme, une règle du jeu dans ce livre, un peu comme dans l’écriture d’une série. Mais le rythme n’y a pas la même fonction. Dans la comédie, il y a un besoin de performer. Il faut que les gens rient. Dans mon livre, l’humour a davantage une fonction de dédramatisation.
Pourquoi d’après vous la comédie, les comiques ou le stand-up prennent de plus en plus la place du décryptage journalistique quand il s’agit d’exposer des sujets politiques délicats?
La comédie, disait Peter Ustinov, est “une manière drôle de dire des choses sérieuses”. Faire de la comédie politique était mon obsession depuis longtemps. C’est un territoire infini, qui permet de s’intéresser à beaucoup de sujets et qui est peu investi en réalité dans la fiction française. La politique est un monde de l’urgence, c’est intéressant d’en montrer les codes, les logiques, les absurdités. Comment prend-on les décisions et qu’est-ce qui les influence? C’est une réalité qui est très éloignée de la mienne au quotidien et qui m’intéresse dans ses rouages. Ce qui est bien avec la fiction de comédie, c’est qu’elle n’est pas tenue de dire quelque chose de définitif. C’est la notion de point aveugle, développée par le romancier espagnol Javier Cercas, qui fait que la fiction échappe à toute résolution. Elle offre des éléments, mais pas de conclusion. À la fin de la saison, on peut tout à fait se demander ce que le personnage de Marie va tirer de cette expérience, car ce n’est pas montré. Il faut laisser des portes ouvertes pour que le spectateur, avec les éléments à sa disposition, puisse tisser sa propre conclusion.
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