Cédric Klapisch et Salade grecque: de l’insouciance à la conscience politique (interview)
En glissant du cinéma vers le petit écran, Cédric Klapisch offre, avec la série Salade grecque, plus qu’un bonus à sa trilogie démarrée avec L’Auberge espagnole en 2002: un passage de l’insouciance à la conscience politique.
Vingt ans après, c’est au tour des enfants de Xavier (Romain Duris) et Wendy (Kelly Reilly) de faire leur expérience collective dans Salade grecque (lire la critique page 48). Mia, 22 ans, est en Erasmus à Athènes. Son frère Tom, 26 ans, la rejoint pour gérer un immeuble dont ils ont hérité de leur grand-père dans la capitale grecque. Lui, le start-upper, réalise que sa sœur a abandonné ses études, à l’insu de la famille, pour devenir activiste en faveur des migrants. La confrontation des projets de vie, des opinions, des valeurs s’épanouit sur fond de crise européenne. L’occasion pour Cédric Klapisch de convoquer un quintette de jeunes scénaristes (Agnès Hurstel, Charlotte de Givry, Paul Madillo, Thomas Colineau et Eugène Riousse) pour y greffer un ensemble quasi exhaustif de questions générationnelles cruciales: crises migratoires, politique et économique, crise du couple, transidentité, violence envers les femmes. Retour avec lui sa coréalisatrice (et épouse) Lola Doillon sur une fin de cycle transgénérationnelle et politique.
La ville d’Athènes a-t-elle influencé le scénario ou, au contraire, le scénario a-t-il imposé la capitale grecque?
Lola Doillon: En premier, on a demandé aux cinq jeunes scénaristes de moins de 30 ans qui ont écrit la série de choisir les thèmes qui traversent leur génération.
Cédric Klapisch: Dès le début du projet se posait la question de savoir où se situerait l’histoire: un retour à Barcelone? Une nouvelle ville? Dès qu’on a envisagé Athènes, beaucoup de choses ont collé: la crise migratoire -thème cher aux scénaristes-, la crise européenne, la transmission. La Grèce nous a semblé le meilleur pays pour parler de ça en Europe.
Faire parler la jeune génération, celle des enfants de Xavier et Wendy, est-ce confronter l’image de l’Europe proposée dans L’Auberge espagnole à celle d’aujourd’hui, beaucoup moins idéalisée, frappée par les crises migratoires, économiques et politiques?
C.K.: L’idée était de proposer un regard croisé entre la génération qui avait 25 ans dans les années 1990 et celle qui a le même âge aujourd’hui. Confronter ce qui a changé depuis L’Auberge espagnole avec des choses qui fondamentalement sont restées les mêmes, ça nous paraissait intéressant.
L.D.: C’est la fin de l’insouciance mais ces problématiques d’aujourd’hui touchent tout le monde. Et d’autant plus les jeunes, à qui on demande de réagir, mais sans trop déborder du cadre.
C.K.: Cette notion qu’ils ont leur avenir en main pose plein de questions en réalité. Elle soulève notamment le problème des relations entre la politique et la jeunesse, et la nécessité que ressent cette jeunesse de réagir et de s’engager sur beaucoup de causes différentes.
Mia surtout, puis Tom à sa suite, sont plus conscients que leurs parents des grandes problématiques qui secouent leur monde, et aussi du paradoxe qui est le leur: jeunes gens issus d’une famille bourgeoise, héritiers d’un immeuble athénien, ils peuvent se permettre des allers et retours en avion pour fêter Noël en famille tout en s’occupant de migrants.
L.D.: Ils ont conscience d’être des enfants de bourgeois, mais n’acceptent pas le legs parental de la même façon. Pour Mia, ça reste tout de même très compliqué de devoir le gérer. Elle le refuse au départ, arrête ses études pour s’engager, mais n’ose pas le dire à ses parents.
C.K.: Tom est fier d’être bourgeois, quand Mia ne l’est pas du tout. Ce décalage-là est potentiellement un moteur de comédie pendant huit épisodes.
L.D.: Ce qui n’empêche pas que, bourgeois ou pas, chacun aborde la problématique à sa façon. Tom en montant une start-up écologique, Mia en s’investissant dans l’accueil et l’insertion des migrants. Chacun à leur manière, ils ont envie de changer les choses.
Passer du cinéma à la série pour boucler l’histoire de la famille Rousseau, ça permet de prendre plus de temps pour acter en profondeur la transformation des personnages et de leurs relations?
C.K.: C’est toute la nécessité d’une série: faire en sorte que les personnages évoluent beaucoup d’un épisode à l’autre. Tom vit un changement gigantesque entre le premier et le dernier épisode. C’est ce qui est plaisant quand on aborde une série: on a le temps d’aller en profondeur dans les conflits et l’intimité psychologique des personnages. Ça permet aussi de déployer un processus de travail très collectif qui correspond à l’histoire: les acteurs qui incarnent des colocataires vivaient ensemble durant le tournage. Certains disaient vivre un nouvel Erasmus, réussi celui-là. Il y a, d’un autre côté, un travail très dense de la part de Megan Northam. Son personnage de Nina traverse un feu d’artifice émotionnel sur l’ensemble de la saison. Ce qui lui a permis de maintenir cette intensité, c’est de pouvoir s’isoler du reste du groupe tout en profitant de l’énergie collective.
Comme la trilogie de films, la série est traversée par des couples qui se font, se défont, se redéfinissent, se réinventent. Le couple est-il une figure incontournable, indépassable?
C.K.: Notre thème principal, c’est comment les gens arrivent à vivre ensemble. Le couple fait pleinement partie de cette question, de cette recherche. Et quand on a 20-30 ans, qu’est-ce qu’on fait sinon chercher? Avec qui on va vivre, en couple ou collectivement? Pourquoi on papillonne et pourquoi on choisit cette personne-là? J’ai souvent dit sur la trilogie de Xavier qu’elle représentait une génération qui avait intégré la notion de mobilité. Mobilité des personnes, du téléphone, mobilité relationnelle et donc amoureuse. Cette génération et celles qui ont suivi ont vécu avec une notion de mobilité que n’ont pas connue les précédentes. Ce sont des questions cruciales. Et puis, comme l’amour est à la base de toute chose, autant en parler, non?
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