Ceci n’est pas de la télé

The Wire

Retour sur l’incroyable success story de la petite chaîne du câble US qui a révolutionné la façon de concevoir des séries.

La saga HBO

De Jean-Vic Chapus, Matthieu Rostac et Axel Cadieux, Éditions Capricci, 210 pages.

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Le 8 novembre 1972, jour de lancement d’un HBO qui se nommait originellement The Green Channel, l’ouest de la Pennsylvanie est encore sous les eaux suite au passage de l’ouragan Agnès. Ils sont 365 à avoir souscrit un abonnement et, sur les toits, on paie des pauvres mecs détrempés à serrer des antennes entre leurs mains pour qu’elles puissent diffuser sous un vent à décorner un boeuf. La première soirée spéciale proposée par la petite chaîne à péage? Un festival de polka local retransmis en intégralité. Sûr que ça fait rêver… Si les longs métrages se succèdent dans la lucarne, c’est bien le sport qui donnera le premier coup d’accélérateur à l’affaire. Fin 1975, la troisième confrontation de prestige entre Joe Frazier et Mohamed Ali aux Philippines y est vendue comme un blockbuster avant l’heure sous le titre Thrilla in Manila. Les abonnements décollent. Dès 1976, la barre symbolique du million de fidèles est dépassée. Entre films, shows comiques, retransmissions sportives et documentaires, HBO ne fait pourtant guère de bruit dans les années 80. « The revolution will not be televised« , chantait Gil Scott-Heron à l’entame des seventies, mais les pontes de Home Box Office entendent bien lui donner tort. Au début des années 90, sous l’influence conjuguée de trois ovnis –Miami Vice sur NBC, The Simpsons sur Fox et Twin Peaks sur ABC- c’est l’épiphanie: il est possible de faire de l’art à la télévision. Et HBO ne va pas se gêner, tiens, qui se transforme en véritable laboratoire de création où le format sériel s’accommode parfaitement d’une véritable politique des auteurs: pas d’interventionnisme de la chaîne, les pleins pouvoirs aux raconteurs d’histoires!

La suite est peu ou prou connue. Dream On, étrange sitcom grivoise rythmée par des extraits de vieux divertissements en noir et blanc, puis surtout Oz, drame carcéral d’une subversion inouïe, ouvrent une voie royale pour des productions maison ambitieuses et sans entraves. Elles ont pour nom The Sopranos, Six Feet Under, Deadwood ou The Wire, sont pensées comme des pavés littéraires, de véritables romans balzaciens modernes, et conjuguent réalisme, goût du risque, violence et immoralité, le tout emballé avec une énorme exigence d’écriture. En pariant sur l’intelligence du spectateur plutôt que sur son temps de cerveau disponible, HBO bouleverse tous les codes en place et devient la chaîne de télé la plus cool du monde.

Fulgurant âge d’or originel, premiers revers (les mégalomaniaques Rome et Carnivàle), perte de vitesse (montée en puissance de FX et Showtime, atterrissage de Mad Men et Breaking Bad chez la concurrente AMC) puis renaissance quasi inespérée (Boardwalk Empire, la première saison de True Detective, la déferlante Game of Thrones)… Co-signé par Jean-Vic Chapus, Matthieu Rostac et Axel Cadieux, tous les trois journalistes à l’épatant mensuel So Film, le livre défend ce postulat assez gonflé: « HBO est la dernière grande aventure en date du cinéma US. » Ce que résume au fond déjà parfaitement le fameux slogan de la chaîne: « It’s not TV, it’s HBO. » Émaillé d’entretiens fouillés, de chiffres et d’anecdotes, un ouvrage qui se lit comme on dévore l’une de ses innombrables séries phares: fiévreusement.

Nicolas Clément

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