Ce que les œuvres d’Éric Manigaud nous disent de la colonisation
Éric Manigaud livre un nouveau lot de dessins puissants qui exhibent la passion triste du colonialisme dans tout ce qu’elle a de mortifère et d’écocidaire.
Qu’ils soient à la mine de plomb ou à la poudre de graphite -un long et pénible processus de création qui apparente l’artiste à une sorte de “gueule noire” du dessin-, les travaux d’Éric Manigaud (Saint-Étienne, 1971) n’ont de cesse de porter la violence du monde à notre connaissance. Adossée à des images d’archives dont il modifie l’échelle et redistribue les densités de façon significative, cette œuvre “avance en crabe” -le mot est de Manigaud lui-même. C’est vrai: il y a plus de dix ans, quand il dessinait des jungles, dans la foulée d’Au cœur des ténèbres, le roman de Conrad, l’intéressé creusait déjà un sillon similaire, celui du colonialisme perçu à la fois comme bras armé du capitalisme d’extraction frénétique et coup de semonce d’un racisme d’État à venir. Ce racisme systémique, il le connaît par cœur, qu’il prenne la forme de corps jetés dans la Seine le 17 octobre 1961 ou du tristement célèbre discours de Dakar de Nicolas Sarkozy.
Pour sa nouvelle proposition, qui se déroule en même temps à Anvers et à Paris (galerie Sator, jusqu’au 22 juillet), Éric Manigaud va bien au-delà de la métaphore. Il souligne de façon frontale la dimension de “concurrence européenne” à l’œuvre dans la mise à sac du Congo. Le croisement, documenté avec rigueur à coups d’archives photographiques de l’AfricaMuseum de Tervuren et de la propre collection de cartes postales du virtuose, laisse sans voix. Komunuma, exposé dans la capitale française, donne à voir le volet belge de cette apocalypse planifiée, tandis qu’à Anvers, la galerie Fifty One déroule une série d’œuvres pointant l’expertise française en matière de destruction. C’est particulièrement de l’expansion du réseau ferroviaire dont il est question. Régulièrement présenté comme “un bienfait”, si pas une largesse du colonisateur, alors qu’en réalité la construction avec pertes et fracas -pour les populations locales s’entend- d’un second réseau français inutile puisque parallèle à celui des Belges dit le caractère strictement économique de l’opération. Présentés avec leur titre d’époque, les poignants graphites sur papier et écrans digigraphiques déroulent le cortège désespérant et prophétique -à l’image de ce pangolin légendé L’Afrique qui disparaît– des maux semés par une civilisation de malheur.
Congo Océan, Éric Manigaud, à la galerie Fifty One, Anvers. Jusqu’au 15/07. www.gallery51. com
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