ALORS QU’IL S’EST LONGTEMPS MONTRÉ DISCRET, LE CASQUE AUDIO A FAIT SA RÉAPPARITION DANS LES RUES. MIEUX: ADOPTÉ PAR LES STARS, IL EST DEVENU UN ACCESSOIRE MODE INCONTOURNABLE. DÉCRYPTAGE.

On ne rigole pas avec l’esprit olympique. Encore moins avec ses sponsors. A Londres, l’été dernier, la police des marques a veillé au grain, contrôlant que seuls les « partenaires officiels » de l’événement apparaissent sur les images télé, les tenues des athlètes… L’émoi fut donc grand quand les cerbères ont vu plusieurs membres de l’équipe olympique anglaise se balader avec un casque audio siglé Beats: le plongeur Tom Daley, la joueuse de tennis Laura Robson… La marque américaine n’avait pas fait les choses à moitié: des représentants Beats ont fait le tour des hôtels de la délégation britannique, proposant aux athlètes un modèle spécial JO, gravé de l’Union Jack. Dans l’univers visuel hypercontrôlé des sponsors olympiques, Beats avait trouvé la faille: y étaient bien cadenassés les logos portés par les sportifs de la tête aux pieds, mais pas autour du cou ou sur les oreilles… Court-circuitant le canal traditionnel (et les droits conséquents à payer pour faire partie du cénacle des sponsors officiels), Beats s’est offert une belle publicité à peu de frais.

Il n’est pas le seul. Du bassin de natation olympique aux couloirs du stade, les athlètes ont pris le pli de se balader « casqués », chacun affichant sa marque favorite. Les experts du CIO auraient pu voir venir: cela fait plusieurs années maintenant que le casque audio n’est plus un simple appendice au baladeur. Le casque, nouvel accessoire mode? Qui l’eût cru. Aujourd’hui, on le trouve d’ailleurs aussi bien dans les magasins d’hi-fi que dans des boutiques de fringues, type Urban Outfitters ou WeSC, marque de vêtements suédoise ayant développé ses propres casques…

L’objet représente un enjeu économique de plus en plus important. Aux Etats-Unis, selon une étude de marché réalisée par NPD Group, les ventes de casque audio ont augmenté de 73 % en 2012! Et on ne parle pas des petits écouteurs, mais bien de modèles à plus de 100 dollars. Une aubaine pour les grandes chaînes culturelles qui ont trouvé là un nouveau gadget technologique susceptible de compenser en partie les pertes dues à la nouvelle donne 2.0: crise du disque, concurrence des magasins virtuels… Chez HMV, on l’a peut-être compris un peu trop tard. Même en développant un rayon spécifique pour les casques audio début 2012, le géant britannique n’a pas pu éviter le dépôt de bilan. Ce qui ne l’aura pas empêché malgré tout d’écouler plus de 500 000 casques au cours des cinq semaines précédant Noël, révèle le Guardian…

Du côté de la Fnac aussi, l’accessoire a cartonné. Contrairement à HMV, la grande surface culturelle semble elle avoir senti monter la vague bien à temps. A Bruxelles, côté City 2, c’est un rayon entier qui est dédié aux casques audio. « Cela fait près de 2 ans maintenant qu’on a développé l’offre, petit à petit, explique Matthieu Venmans. On a fait nos études, analysé le potentiel. Dès les premiers magasins tests, cela a cartonné! » Une explication? « L’explosion du marché des smartphones, des baladeurs MP3, des tablettes… Il y a de plus en plus de possibilités « nomades » d’écouter de la musique. D’où la volonté aussi de bénéficier d’un meilleur confort d’écoute, en choisissant un casque qui protège mieux l’oreille. Après, il y a un effet de mode évident… » La preuve: le long de l’étalage, les modèles sont plus lookés les uns que les autres. Une quinzaine de bornes permettent de brancher directement son baladeur pour tester le casque sélectionné. « Regardez! » Devant chaque station, un miroir…

Taille XL

Le casque audio n’a pourtant pas toujours été un gadget fashion. Encore moins identitaire. Né il y a une centaine d’années (Nathaniel Baldwin est crédité de la trouvaille, qu’il refilera à l’US Navy), l’accessoire trouve une première fois le chemin du grand public grâce au premier modèle stéréo sorti par John C. Koss en 1958. Il faudra cependant encore du temps pour distiller non seulement l’idée que l’écoute musicale puisse être individuelle, mais également vagabonde.

Dans les années 80, les premiers casques de walkman proposent encore un coussin en mousse. Mais très vite, l’arceau se réduit au strict minimum, les écouteurs étant désormais enfoncés directement dans les oreilles. Cachez ce casque que je ne saurais voir? Etonnamment, en pleine décennie bling bling, la discrétion donnait en effet le ton… Quand Apple sort son baladeur numérique, en 2001, il accompagne l’iPod d’une paire d’écouteurs basiques, au design épuré blanc. C’est à la fois la confirmation de la tendance « vivons casqués, vivons cachés », mais aussi paradoxalement un premier signe ostentatoire: aussi simples soient-elles, les deux « oreillettes » immaculées de la marque à pomme se repèrent tout de suite dans la rue, le métro, etc.

On est cependant encore loin du « défilé de mode » actuel. En quelques années, le casque a repris des couleurs. Et de la valeur: difficile de trouver un modèle correct en dessous des 100 euros. On peut y voir une certaine logique: après tout, à quoi bon dépenser plusieurs centaines d’euros pour un téléphone ou un baladeur si c’est pour le raccorder à deux misérables oreillettes… N’empêche: à une époque où tout se miniaturise, le casque est l’un des seuls accessoires à avoir gagné du volume. Une question de confort d’écoute donc. Une question de marketing aussi. Voire d’espace d’affichage? Après tout, il est plus facile d’ajouter le logo d’un artiste sur un casque que sur une paire d’oreillettes maigrelettes…

God is a DJ

Une autre théorie: et si le boum des casques audio avait également à voir avec l’explosion du rap et des musiques électroniques? Le rock portait la guitare en bandoulière, le casque lui est l’outil-emblème des DJ’s, ces nouvelles superstars. Ce n’est d’ailleurs peut-être pas un hasard si l’une des marques qui fait le plus parler d’elle, Beats, a été lancée par un rappeur: Dr Dre. L’histoire démarre en 2008. Dr Dre est alors approché par une marque de sportswear qui lui propose de dessiner une collection de chaussures. Dre en parle à Jimmy Iovine, ponte de l’industrie musicale, ancien producteur (pour U2, Simple Minds, Dire Straits…). Iovine lui répond alors: « Fuck sneakers, let’s make speakers. »

Idée judicieuse. Aujourd’hui, le duo possède l’une des marques de casques audio les plus porteuses, chamboulant complètement le marché. Réalisant quelque 40 % des ventes aux Etats-Unis, Beats a vu ses revenus passer de 298 à 519 millions de dollars en 2012. Producteur légendaire, héros du gangsta rap, Dr Dre s’est rendu célèbre avec son collectif NWA ou ses collaborations avec Eminem, 50 Cent… Pourtant, l’an dernier, c’est grâce à ses casques qu’Andre Young de son vrai nom s’est retrouvé en tête des musiciens les mieux payés. Et tant pis si les produits Beats ne sont pas forcément les plus « soniquement » spectaculaires, portés sur les basses. « Pour un audiophile, c’est de la bouillie« , ose-t-on chez Noir et Blanc, insitution bruxelloise de l’hi-fi, du côté de la chaussée de Charleroi. « Cela passe pour des musiques comme le r’n’b, nuance-t-on un peu plus loin, chez New Music, chaussée d’Ixelles. Mais pas si l’on veut aller davantage dans les détails sur des musiques comme le jazz ou le classique. »

Soit. Si Beats ne fera pas se pâmer les oreilles les plus exigeantes, il a bel et bien ouvert une brèche dans laquelle ils sont de plus en plus nombreux à s’engouffrer. Les collègues rappeurs de Dre en premier. Soul par exemple est la marque développée par Ludacris, et pour laquelle… courent des sportifs comme Usain Bolt ou le milieu du Barça, Fabregas. 50 Cent contrôle lui SM Audio, Jay Z a collaboré avec Skullcandy, et RZA a développé le WeSC Chambers. Mais on ne s’agite pas seulement dans le milieu du hip hop: Lady Gaga, Justin Bieber, David Guetta… Tous ont mis leur image au service d’un produit audio. Récemment, Carla Bruni est apparue dans une publicité pour le Zik de la marque Parrot, modèle haut de gamme dessiné par Philippe Starck. A l’autre bout du spectre sonore (…), Motörhead a mis au point ses propre Motörheadphönes (lire page 43). Même les morts portent le casque: les oreillettes Miles Davis ont une forme de trompette à sourdine, tandis que les héritiers de Bob Marley ont sorti leur propre ligne de casques audio…

La guerre des casques est donc lancée. A chacun son favori, celui qui lui correspond le mieux. Une sorte de nouvel étendard. Ou encore, selon les mots du critique anglais Alexis Petridis, le casque comme « équivalent du t-shirt rock, pour une ère où les tribus ont moins d’importance, où plus personne ne se définit vraiment encore par un style de musique favorite« . Pour savoir qui je suis, ne me demande plus ce que j’écoute, mais avec quoi je l’écoute…

TEXTE LAURENT HOEBRECHTS

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