Lisette Lombé
Carte blanche à Lisette Lombé: Sur la ligne de jachère
En juillet 2017, fragilisée par des problèmes de santé, j’ai fait une retraite de quelques jours à l’abbaye Notre-Dame de Brialmont, en région liégeoise. À la fin de mon séjour, j’ai répondu à une série de questions que je vous partage ici. Qu’est-ce qui va m’aider à me délester du passé? Qu’est-ce qui va m’aider à me sentir plus en vie? Qu’est-ce qui me donnera le sourire jusque sur mon lit de mort? Qu’est-ce qui va m’aider à vieillir sereinement? Qu’est-ce qui va donner du sens à mon existence? Je vous invite à répondre aussi à ces questions, le plus spontanément possible.
À l’époque, j’ai noté sous chaque phrase une réponse identique: l’écriture. Je n’ai pas évoqué mes enfants ou l’amitié ou l’amour. C’est à la fois étrange et pas tellement étonnant. Alors que ma vie, comme toute existence, a pris bien des tournants inattendus en six ans, le fil de la poésie est resté tendu et je sens, dans mon ventre, qu’il le restera au finish. Je relis aujourd’hui ces mots à haute voix: l’écriture, l’écriture, l’écriture… Ça sonne comme un mantra.
Je sais que beaucoup pensent que la poésie, même la plus engagée, la plus pugnace, la plus frontale, ne sert à rien. Elle ne peut pas stopper les guerres, elle ne peut pas protéger les gens des injustices, elle ne peut pas sauver le monde. À quoi bon les beaux verbes si on parle dans le désert, si on prêche des convaincus, si on rimaille hors sol, dans l’entre-soi. Je suis d’accord avec tout ça. J’ai peiné à me lancer dans cet édito, vu le contexte sociétal, national et international. Que dire qui ne soit pas déplacé, trop lyrique ou trop plombant? J’ai repensé à cette retraite de 2017 et à ces dizaines de feuilles blanches noircies. Rien dans cette pile d’assez percutant pour faire un nouveau livre mais des retrouvailles avec une fécondité poétique. C’est l’action qui avait finalement eu raison des questions. Écriture automatique plutôt que rêvasseries, mouvements de la main plutôt que doutes.
Toucher les gens, les faire se sentir vivants, souffler sur les braises solidaires, protéger cette part de nous qui continue à espérer, à y croire.
C’est ça! Se retrousser les manches. Poigner dans la matière. Créer entre musique et bruits, divertissements et folie des hommes, danse et silence, solstice d’hiver et replis. Toucher les gens, les faire se sentir vivants, souffler sur les braises solidaires, protéger cette part de nous qui continue à espérer, à y croire. Métier de poétesse parmi d’autres métiers, beaucoup moins pénible, beaucoup moins ingrat que certains jobs, beaucoup plus précaire et stressant que d’autres. Mission de vie. Ne pas galvauder cette expression. Penser plus grand que soi. Penser projets concrets, utiles. 2024. Casquette de Poétesse nationale sur la tête. Une casquette de plus. Vêtements sportswear. Baskets aux pieds. Tourner les pages. Entrer dans le vif du sujet. Tracer. C’est parti! Oui, c’est parti!
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